N’ayons pas peur des mots ! À côté de la campagne municipale de Montréal, la campagne du fédéral a eu l’air, jeudi, de celles qui se jouent dans les commissions scolaires.

Il y a eu beaucoup d’action, de revirements de situation et, surtout, de la poigne et de l’engagement.

Au risque de me faire accuser d’être un « vendu à Projet Montréal », après m’être fait dire pendant des mois que j’étais « une guidoune pro-Coderre » (salutations à tous mes amis sur Twitter !), je ferai mon boulot de chroniqueur et je vous dirai que j’ai beaucoup aimé ce que j’ai vu jeudi.

La journée a commencé par un appui indéfectible de Valérie Plante à Will Prosper, son candidat vedette à la mairie de Montréal-Nord. L’homme s’est retrouvé à la une du Journal de Montréal parce qu’il aurait fouillé dans une banque de renseignements criminels et qu’il aurait ensuite communiqué avec un membre d’un gang de rue alors qu’il était au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), en 1999.

Lors d’un point de presse, en matinée, où il était question de guerre aux pesticides et où le rôle du glyphosate a pris le bord, Valérie Plante a fait face à une salve de questions des journalistes et a défendu son candidat avec aplomb.

Je me suis mis à sa place. Elle devait être en beau joual vert. La veille, elle avait découvert des pans peu glorieux du passé de son candidat vedette, celui qu’elle souhaitait voir déloger la mairesse Christine Black, candidate d’Ensemble Montréal.

Jusqu’ici, Projet Montréal avait pu bénéficier des faux pas de Denis Coderre. Il y a eu l’exclusion d’Ali Nestor, qu’Ensemble Montréal imaginait comme conseiller spécial en matière de sécurité publique et de la diversité au sein du parti – peu de temps après cette annonce, des allégations de voies de fait et d’agressions sexuelles visant Nestor ont amené Ensemble Montréal à éjecter sa recrue.

Il y a eu aussi cette photo de Denis Coderre en compagnie de jeunes rappeurs qui, on l’a appris plus tard, avaient des accointances avec des groupes criminels.

Projet Montréal s’était toutefois gardé une petite gêne quand est arrivé le fameux « cellulairegate » de Denis Coderre, car leur cheffe était elle-même au cœur d’un « terrassegate ».

Mais jeudi, en après-midi, Denis Coderre a foncé dans le tas. Selon lui, l’administration Plante est « dépassée par les évènements » et Will Prosper n’est pas « digne » de la fonction de maire d’arrondissement.

Lorsque plus tard en après-midi on a appris que la mairesse allait tenir un point de presse en compagnie de Will Prosper, les chroniqueurs des radios et des télés se sont enflammés. Le candidat allait-il abdiquer ? J’avoue que je l’ai cru un instant.

Ce point de presse, qui a commencé avec 25 minutes de retard et qui a souffert de son empiétement sur les bulletins de 17 h (les attachés de presse vont apprendre) n’a fait que réaffirmer la confiance que Valérie Plante accorde à son candidat.

Méchant coup de poker !

Je vous l’ai déjà dit : cette campagne campe de plus en plus Projet Montréal dans ses valeurs et ses idées, et Ensemble Montréal dans les siennes. C’est ce qui la rend palpitante.

Évidemment, la question du jour fut : pourquoi Valérie Plante n’a pas fait comme la plupart des chefs de parti qui découvrent qu’un de leurs candidats a un passé trouble, c’est-à-dire s’en débarrasser ?

Elle a dit qu’elle préférait s’en remettre aux principes de l’État de droit dans lequel nous vivons. En effet, Will Prosper n’a fait l’objet d’aucune accusation et ne possède aucun casier judiciaire en lien avec cette affaire.

Certains s’étonneront de cette décision de la part de celle qui a exclu trois élues de son parti depuis son élection, dont la mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Sue Montgomery, sur la base d’un rapport des ressources humaines de la Ville de Montréal.

En gardant son candidat auprès d’elle, Valérie Plante affirme qu’elle croit à la rédemption de ceux qui ont commis une erreur dans leur vie. Selon elle, il ne fait aucun doute que Will Prosper, après cet épisode vécu à l’âge de 25 ans, a changé.

Et c’est ce que le principal intéressé nous a dit lors du point de presse en fin de journée.

Mais si Will Prosper a reconnu ses erreurs du passé (il avoue avoir fait des recherches, mais nie toujours avoir communiqué l’information qu’il a trouvée), pourquoi ce réalisateur et militant antiraciste issu des minorités visibles a-t-il fait un tel croc-en-jambe à sa cheffe à près de deux mois du scrutin ?

Il lui en doit toute une.

Chaque campagne nous fait découvrir les zones d’ombre de certains joueurs. Comment enquêter adéquatement sur des douzaines et des douzaines de personnes pour un parti ? Cela est impossible.

Will Prosper n’a-t-il pas été candidat pour Québec solidaire, en 2012, sans que cet aspect de son passé soit révélé au grand public ?

Valérie Plante a confirmé jeudi qu’elle n’était pas au courant de la manière dont Will Prosper avait quitté la GRC. C’est franchement malheureux.

Qu’il s’agisse de la scène fédérale, provinciale ou municipale, quand un parti recrute un candidat, il y a une étape où un membre lui demande : « Est-ce qu’il y a quelque chose que nous devrions savoir ? » C’est là que la franchise de la recrue doit s’exprimer.

C’est là que Will Prosper aurait dû aborder la chose avec l’équipe de Projet Montréal. C’est sans doute sa grande erreur dans cette affaire. Cela aurait évité à son parti d’avoir aujourd’hui à gérer une crise majeure.

Cela dit, il sera intéressant de voir au cours des prochaines semaines quels seront les effets de cette affaire. Seront-elles néfastes ou, au contraire, contribueront-elles à rehausser l’image d’un candidat qui se présente, faut-il le rappeler, dans un arrondissement qui a des défis incommensurables sur le plan social ?

Il faudra maintenant que Will Prosper montre ce qu’il a véritablement dans le ventre et qu’il fasse mieux que sa défense de jeudi, lue sur un bout de papier.

Les électeurs de Montréal-Nord souhaitent un rapprochement entre les citoyens et une lutte solide contre le crime organisé. Ils seront peut-être nombreux à croire que Will Prosper, celui qui symbolisait ce rapprochement, n’est plus l’homme de la situation.

Ou le contraire.

Le pouvoir de l’électeur, c’est la conclusion de cette journée marquée par un duel de haut niveau.