Quand j’ai vu la photo qui orne la plateforme électorale du chef conservateur, Erin O’Toole, j’ai immédiatement pensé à Denis Coderre et à ses inséparables espadrilles Jordan, celles qu’il portait lors de la soirée organisée par l’Institut du Nouveau Monde, le 11 août dernier.

Dans les deux cas, je n’ai pu m’empêcher de voir là une (trop) évidente opération de branding de politiciens. Or, le branding cesse d’être du branding quand on ne voit que cela.

« L’élégance cesse quand on la remarque », disait Jean Cocteau.

La même maxime pourrait s’appliquer au remodelage d’image auquel s’adonnent certains politiciens depuis quelques années.

Leur but, subtil comme un autobus de campagne, est d’offrir une image « jeune, cool et dynamique » d’eux-mêmes. Car l’objectif que se fixent la plupart du temps ces politiciens se résume à cela : retrouver une forme de jeunesse.

Mais pour qui font-ils cela ? Pour quoi ? Pour séduire les jeunes électeurs désabusés ? Pour prouver qu’ils sont encore capables de courir un marathon ?

Il fallait être aveugle (ou naïf) pour ne pas avoir deviné pourquoi Justin Trudeau s’est soudainement débarrassé de sa barbe grisonnante il y a quelques semaines.

Caméléon rusé et séducteur, le premier ministre canadien sait se doter d’une apparence rassurante et paternelle au moment opportun et devenir « jeune, cool et dynamique » quand vient le temps de reprendre les armes.

La tendance au branding des politiciens est l’une des composantes du marketing politique. Ce phénomène est apparu il y a plusieurs décennies et a émergé (serez-vous surpris ?) des États-Unis. Chez nous, comme ailleurs, les politiciens sont aujourd’hui frappés par cette folie du marketing en politique.

Nous avons pu le constater, une fois de plus, avec le « loto-vaccin », concept emprunté à nos voisins du Sud.

Le branding des politiciens a recours aux mêmes techniques marketing et publicitaires utilisées pour relancer les marques commerciales. En d’autres mots, à l’instar des produits de consommation dont on actualise et refait l’image, les politiciens passent sous le bistouri des faiseurs d’image.

La marque Kraft Dinner fait vieillotte ? Allez hop, ça devient KD. Un chef de parti fait trop sérieux avec ses vestons ? Allez hop, on lui met un t-shirt moulant et on crée une couverture qui ressemble à une publicité de supplément alimentaire pour la musculation.

On parle des politiciens, mais on pourrait aussi évoquer les chefs d’entreprise et les leaders dans divers domaines qui se prêtent au jeu de la transformation extrême pour convaincre leurs employés qu’ils sont l’homme ou la femme de la situation.

Nous-mêmes, dans la vie de tous les jours, nous nous imposons un personal branding au quotidien. Et ce ne sont pas les outils qui manquent : gym, coiffeurs, maquilleurs, retouche de photos, chirurgie esthétique, botox, collagène et tutti quanti.

Ce qui est renversant, c’est que cette tendance au marketing en politique est née pour lutter contre le fameux cynisme ambiant tant décrié par les politiciens et les observateurs de la scène politique.

Or, ces opérations de marchandisage des candidats ne font qu’accentuer ce que certains appellent le « malaise démocratique » que l’on pourrait définir par le sentiment d’inconfort que nous éprouvons à l’endroit du fonctionnement de la démocratie.

Je suis tombé sur la thèse d’Émilie Foster, députée de la CAQ dans Charlevoix–Côte-de-Beaupré, qui a pour titre : Une analyse des perceptions citoyennes à l’égard du marketing politique. Examen de l’hypothèse du « marketing malaise » 1. Elle a été déposée à l’Université Laval en 2018. C’est une lecture fort enrichissante.

Même si les participants rencontrés par l’auteure ont eu tendance à confondre le marketing tactique, qui repose sur des plans de promotion ou de communication, et le marketing stratégique, qui est bâti sur les principes de la segmentation des marchés, le ciblage, le positionnement et le branding, on se rend compte que le public perçoit négativement la présence du marketing en politique.

Le bruit ambiant causé par la forte présence des réseaux sociaux fait en sorte que des politiciens sont tentés… d’en faire trop.

Certains sont prêts à commettre les pires bassesses pour se faire entendre, particulièrement auprès des jeunes. Ils vont vers les youtubeurs et les influenceurs pour leur confier des choses qui n’ont rien à voir avec leurs idées et leurs valeurs (épisode navrant d’Emmanuel Macron au concours d’anecdotes avec Mcfly et Carlito).

La forme écrase alors le fond.

De campagne en campagne, qu’elle soit municipale, provinciale, fédérale ou présidentielle, les filets du marketing prennent une ampleur incommensurable. Cela se fait graduellement sans qu’on s’en rende compte.

Les politiciens ne cherchent plus à convaincre par leurs idées. Ils sont pris dans une quête perpétuelle et maladive du « J’aime » et d’une coolitude qui, lorsqu’elle est rapiécée et patentée, est d’une désolante ringardise.

Les politiciens savent que pour une bonne part des électeurs, le choix dans l’isoloir se fait sur la base de l’image qu’ils projettent.

Et ça, c’est déprimant pour ceux qui font ce même geste démocratique à partir d’un truc vieux et dépassé que sont les idées.

1. Lisez la thèse d’Émilie Foster