Se pourrait-il que le projet Royalmount soit pris dans une spirale du genre « on a dit au départ que c’était nul, on continue de dire que c’est nul parce que tout le monde répète en chœur que c’est nul » ?

Dans les faits, ce projet de 1,7 milliard de dollars (pour sa première phase), de la firme Carbonleo, a beaucoup évolué depuis les premiers dessins d’il y a cinq ans. Accusés d’avoir créé un concept jugé trop bling-bling, les promoteurs ont été à l’écoute des critiques et ont apporté un nombre important de modifications.

J’ai rencontré Claude Marcotte qui, avec Andrew Lutfy et Nicolas Désourdy, est à la tête de ce projet qui avait à l’origine une vocation purement commerciale et qui prendra vie à la jonction des autoroutes 15 et 40. Sur un toit offrant une vue imprenable sur le site, il m’a décrit ce qu’était Royalmount et ce qu’il est devenu.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Claude Marcotte, vice-président exécutif de Carbonleo, promoteur du projet Royalmount

Découvrant les premières maquettes, les maires de l’agglomération, la mairesse Valérie Plante en tête, de même que le gouvernement provincial ont brandi un drapeau jaune. Au début de 2019, la Commission sur le développement économique et urbain a recommandé que le projet soit suspendu et que les concepteurs retournent faire leurs devoirs.

On a dit : « Il faut mettre du résidentiel ! » Les promoteurs ont ajouté cinq tours qui accueilleront au total 3250 appartements dont les prix varieront de 800 000 $ à 1,4 million de dollars. Pour cela, ils doivent toutefois obtenir un dézonage (leur terrain est zoné industriel).

On a dit : « Il ne faut pas répéter les erreurs de Griffintown ! » Les promoteurs ont ajouté une école (des discussions avec la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys ont actuellement lieu), une garderie, un centre communautaire, une bibliothèque et une clinique.

On a dit : « Il faut favoriser l’utilisation des transports en commun ! » Les promoteurs ont décidé de construire à leurs frais une passerelle qui reliera directement la station de métro De la Savane au cœur commercial de Royalmount. Ce ponceau doté d’une signature architecturale coûtera environ 35 millions de dollars.

« Ce projet a viré boutte pour boutte, m’a dit Claude Marcotte. Humblement, ceux qui ont exprimé des critiques avaient 100 % raison. On s’est associés à L Catterton [bras financier du géant du luxe LVMH] et ça nous a donné un autre souffle. On est allés à Paris, à Singapour, à New York et dans d’autres villes pour voir les projets immobiliers multifonctionnels les plus innovants. »

Au bout du compte, le projet Royalmount est devenu « une ville dans une ville ». On ne cesse de clamer qu’il faut créer des secteurs basés sur le concept de la « ville des 15 minutes ». Royalmount est devenu exactement cela.

Les résidants pourront compter sur des commerces locaux, une salle de spectacle (complémentaire à celles que l’on trouve au centre-ville), de nombreux bureaux, un hôtel, des restos, une ferme urbaine, un aquarium, un marché public et un parc linéaire (à la manière du High Line de New York) qui surplombera la piazza.

IMAGE FOURNIE PAR ROYALMOUNT

Illustration du projet Royalmount

Les promoteurs prêtent une attention particulière au caractère écologique du projet en lui conférant une approche écoresponsable. En créant de nombreux espaces verts et en verdissant les toits et les terrasses (l’horticulteur Albert Mondor est impliqué dans ce projet), on veut faire de ce lieu un vaste îlot de fraîcheur.

Une culture du non

Bien sûr que l’on souhaite que les non-résidants viennent en grand nombre. Près de 170 boutiques et magasins verront le jour à Royalmount, dont une cinquantaine qu’on ne trouve pas encore à Montréal.

Outre des enseignes « grand public », on trouvera plusieurs grands noms du luxe. Claude Marcotte a refusé de dévoiler les marques qui s’y installeront, mais il est permis d’imaginer que ça tournera autour de Vuitton, Burberry, Van Cleef & Arpels, Tiffany et Prada.

Tout cela sent le gros fric, me direz-vous. Vous avez raison. Je vous soumets une autre question : se peut-il que le caractère « luxueux » de Royalmount nuise à son image ? Claude Marcotte le croit.

La culture du non est forte au Québec. Quand on voit un projet ambitieux avec de l’argent privé, on se dit que ça vient nécessairement de gros méchants. Nous sommes réfractaires au changement. Cela dit, les critiques nous permettent de faire de meilleurs projets et d’atteindre une meilleure acceptabilité sociale.

Claude Marcotte, vice-président exécutif de Carbonleo, promoteur du projet Royalmount

Dans le projet résidentiel de Royalmount, rien n’a été prévu en matière de logement abordable ou social. Cela irrite au plus haut point la mairesse Valérie Plante. J’ai abordé cela avec Claude Marcotte. Ce dernier fait partie de ceux qui croient que la responsabilité de la mixité ne doit pas directement incomber aux promoteurs.

« Il faut arrêter d’utiliser le bâton pour atteindre ce but, dit-il. Ce qu’il faut faire, c’est générer de la richesse et se servir de cette richesse pour équilibrer les choses et créer une mixité dans la ville. » Précisons que ce projet sera réalisé sur le territoire de Mont-Royal. Les promoteurs n’ont donc aucune obligation en ce sens.

Le problème de congestion

Il reste l’épineuse question de la circulation dans ce secteur névralgique, un problème qui ne date pas d’hier. On craint que l’augmentation du nombre de véhicules qui convergeront vers Royalmount aggrave la situation.

Un rapport commandé à la spécialiste en urbanisme Florence Junca-Adenot, publié en mai 2019, est arrivé à la conclusion que diverses mesures devraient être mises de l’avant (le prolongement de la branche ouest de la ligne orange du métro jusqu’à la gare Bois-Franc pour une connexion avec le Réseau express métropolitain (REM), ainsi que le prolongement du boulevard Cavendish vers l’avenue Royalmount et la rue Jean-Talon) pour améliorer l’éternel problème de la jonction 15-40.

Il est intéressant de noter que cette importante réflexion devra également se faire lorsqu’on lancera le projet de lotissement des terrains de l’ancien hippodrome Blue Bonnets, situés à un jet de pierre du site de Royalmount.

En attendant que les instances reviennent avec des solutions, les concepteurs de Royalmount s’engagent à ajouter deux voies sur le chemin Côte-de-Liesse en utilisant une portion du terrain qui leur appartient. Les coûts sont évalués à 25 millions de dollars.

Moins d’œillères

Après avoir entendu un nombre incalculable d’intervenants et leurs points de vue, les promoteurs de Royalmount continuent de rencontrer des obstacles. Le dernier en date concerne l’un des voisins du site de Royalmount, la société Dollarama, qui y possède son centre de distribution.

Dollarama a fait appel à la firme de relations publiques Navigator pour mener un sondage auprès des résidants de Mont-Royal. Certaines questions, comportant des faits affolants (exemple : donnez votre appréciation sur le fait que durant la construction des tours résidentielles, des centaines de camions circuleront 24 h sur 24), ont donné des résultats qui, sans surprise, convergent vers une demande de référendum auprès des citoyens de Mont-Royal.

S’il fallait consulter les résidants au sujet de la présence des camions et des grues pour chaque projet immobilier, il n’y a pas grand-chose qui se ferait.

J’ai tenté de savoir quelle était la motivation de la famille Rossy, propriétaire des terrains et des bâtiments de Dollarama, dont certains membres sont également résidants de Mont-Royal. Chez Navigator, on m’a expliqué que la famille Rossy a simplement voulu savoir si les Monterois connaissaient bien le projet. « L’intention personnelle de la famille, je ne la connais pas », m’a dit André Turcotte, responsable du sondage.

Le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, n’a pas tellement envie de se mêler de ce dossier. Il a annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. Il laisse donc à la personne qui sera élue le 7 novembre prochain le soin de trancher sur la question du dézonage.

Claude Marcotte continue de défendre son projet en affirmant que cela serait un outil contre l’étalement urbain dont souffre Montréal. « Non seulement ça permettrait de garder des ménages ici, mais aussi de retourner chaque année environ 47 millions de dollars en revenus de taxes foncières, taxe de mutation et taxe scolaire. Le secteur commercial va rapporter 84 millions de dollars. Je précise que 60 % de ce montant ira à l’agglomération. »

Je ne suis pas en train de dire que Royalmount est la perfection même. Comme tous les autres projets immobiliers, il a ses forces et ses lacunes. Et jamais il ne pourra faire l’unanimité. Je suis en train de dire que les concepteurs de Royalmount ont fait preuve d’écoute et qu’ils arrivent avec un concept qui mérite plus d’écoute. Et moins d’œillères.