La police souhaite que l’établissement soit sanctionné

Giuseppe Focarazzo, soupçonné par la police de blanchir l’argent sale de la mafia et des motards, 12 fois en 5 ans. Pietro D’Adamo, chef de l’un des clans de la mafia montréalaise les plus forts selon la police, 8 fois. Marco Pizzi, chef de clan de la mafia dans le nord-est de Montréal, 6 fois. Leonardo Rizzuto, cochef du clan des Siciliens et fils cadet du défunt parrain Vito Rizzuto, 4 fois. David Castelli, président des Marauders, club école des Hells Angels de Montréal, 10 fois. David Lefebvre, membre des Hells Angels de Montréal, 3 fois. Et on en passe.

Depuis 2019, environ 80 individus reliés au crime organisé, soit des mafieux, des motards, des membres de gangs de rue ou de réseaux de fraudeurs, ont été observés par la police au restaurant Moretti, situé rue Wellington, dans le quartier Griffintown, à Montréal.

Au cours des cinq dernières années et demie, les policiers de l’escouade Éclipse, spécialisée dans la collecte de renseignements sur le crime organisé et la surveillance des établissements avec des permis d’alcool, l’ont visité à près de 400 reprises, dont environ 90 fois à chacune des années 2022 et 2023, soit à une fréquence d’un jour sur quatre.

« Depuis 2019, le Moretti est le deuxième endroit licencié sur lequel nous faisons le plus de rapports après Chez Parée [bar de danseuses] », a déclaré le policier Sébastien Brunet, membre de l’escouade Éclipse, lors d’un témoignage devant la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), il y a un mois.

« On le visite toutes les semaines. Au moins une fois par semaine pour ma part », a renchéri son collègue, François Tottera.

C’est un endroit connu depuis plusieurs années. Parmi la clientèle qui le fréquente, il est commun de voir des individus liés à différentes souches du crime organisé.

Le policier François Tottera, membre de l’escouade Éclipse

Depuis 2019, quelques évènements de violence sont survenus à l’intérieur ou à l’extérieur du restaurant Moretti.

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Le 23 juin 2019, Salim Touaibi cherche, dans la cuisine du Moretti, son arme à feu cachée, à sa demande, par un employé. Trois ans plus tard, Touaibi a été accusé du meurtre de Meriem Boundaoui, et cette vidéo a été présentée durant le procès.

Entre autres, deux clients, dont un mineur, ont demandé à un employé de l’établissement de cacher une arme à feu lors de la visite des policiers.

Le 11 novembre dernier, des coups de feu ont été tirés dans les vitrines du restaurant.

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Le 11 novembre dernier, des coups de feu ont été tirés dans les vitrines du Moretti.

« Tout ça me fait dire qu’il y a un enjeu de sécurité publique à cet endroit-là, encore aujourd’hui. C’est un type de clientèle qui peut se préparer à faire face à des menaces et avoir une arme à feu ou du [gaz poivré]. Cette clientèle ne contrôle pas le moment où ces menaces vont se concrétiser. La population non criminalisée peut être à risque. Lorsque je vois la récurrence de cette clientèle durant des années, ça m’amène à des craintes de sécurité publique », a témoigné Hugo Passos, agent enquêteur de la Moralité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Aveuglement volontaire

La RACJ a convoqué le propriétaire du Moretti, Nicola Monaco.

MJoliane Pilon, du contentieux de la RACJ, demande que les permis d’alcool de l’établissement soient suspendus durant au moins 40 jours.

« Il n’est pas question de dire que M. Monaco fréquente des gens du crime organisé, mais cette clientèle est toujours présente à son établissement », a dénoncé MPilon, déplorant qu’il n’y ait ni détecteur de métal, ni fouille, ni identification pour éviter la présence de ces individus dans le restaurant.

« Je ne dis pas que cette clientèle a la mainmise sur l’établissement. Je ne sous-entends pas que M. Monaco connaît chaque individu personnellement », a poursuivi MPilon, selon qui le comportement du propriétaire face à cette problématique relève de l’aveuglement volontaire ou de l’insouciance.

Lorsque [le propriétaire] voit la fréquence avec laquelle Éclipse se présente et lorsqu’on voit des gens aussi connus que les Rizzuto, il est impossible de fermer les yeux sur cette clientèle.

MJoliane Pilon, du contentieux de la RACJ

« Ce n’est pas un repaire de criminels. Ce n’est pas un endroit où les bandits tiennent des meetings. C’est un établissement prisé sur le territoire de Montréal. Il y a des gens criminalisés, selon la police, mais il y a aussi des gens qui ne le sont pas », a répliqué l’avocat du Moretti, MDavid Beaudoin.

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Le restaurant Moretti

L’avocat a plaidé que son client avait collaboré de nombreuses fois avec les policiers et avait demandé à ses employés de les appeler au besoin.

Il a ajouté qu’aucun client n’a porté de signes distinctifs indiquant qu’il appartenait à un groupe criminel.

Il a accusé les policiers de lâcher des noms (de faire du name dropping) et a déploré que les témoins n’aient pas donné plus de détails sur les antécédents et la criminalité des clients du restaurant dont les noms ont été cités durant les audiences.

« Leonardo Rizzuto, est-ce que c’est réellement le parrain ? On ne le sait pas ! », a lancé l’avocat, qui a demandé une suspension des permis d’une durée de 25 jours.

Les permis d’alcool du Moretti ont déjà été suspendus durant 45 jours pour des manquements aux consignes sanitaires constatés par les policiers durant la pandémie de COVID-19.

Les juges administratifs MNatalia Ouellette et MGuillaume Brien ont pris la cause en délibéré.

Avec la collaboration de Mayssa Ferah, La Presse

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