Des députés provinciaux et fédéraux ainsi que des organismes communautaires unissent leurs voix pour presser le gouvernement Trudeau de suspendre d’urgence le renvoi de la préposée aux bénéficiaires Deborah Adegboye et sa famille, menacés d’expulsion vers le Nigeria le 5 avril prochain.

« On est ici pour dire à Marc Miller [ministre fédéral de l’Immigration] que ça n’a aucun sens de forcer Deborah et sa famille à partir, alors que son histoire est un exemple et un modèle d’intégration, de persévérance et de travail », a martelé vendredi le chef adjoint du NPD et député de Rosemont, Alexandre Boulerice, lors d’une conférence devant les bureaux montréalais de M. Miller.

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Le député solidaire de Saint-Henri–Sainte-Anne Guillaume Cliche-Rivard et le député de Rosemont et chef adjoint du NPD Alexandre Boulerice

La semaine dernière, La Presse rapportait que des patients et des amis se mobilisaient pour qu’une famille d’« anges gardiens » originaire du Nigeria puisse demeurer au pays. Sans action immédiate, la préposée aux bénéficiaires Deborah Adegboye, son mari et leurs trois enfants seront expulsés du Canada vendredi prochain.

Mme Adegboye, qui assure des soins à domicile à titre de préposée engagée par le CLSC de Pierrefonds, est entrée au Canada par le chemin Roxham en 2017, avec son conjoint et leur premier enfant, avec l’objectif de demander l’asile. Sa famille fuyait ainsi des menaces religieuses subies au Nigeria.

Le mari de Mme Adegboye, qui ne donne pas son nom par crainte de représailles, est chrétien. Or, sa famille désapprouve cette religion, le pressant plutôt de devenir prêtre en chef d’un culte. Son frère est mort à la suite d’un rite de ce culte obscur. Il a alors été désigné pour prendre la relève. Or, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté leur demande d’asile en 2020 parce qu’elle entretenait des doutes sur la réalité de la persécution rapportée.

Québec appelé à monter le ton

« Ce sont des gens qui donnent leur temps et leur énergie corps et âme pour les Québécois. Je trouve ça aberrant qu’on envisage de les renvoyer », a de son côté jugé le député solidaire de Saint-Henri–Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard, porte-parole de la seconde opposition en matière de questions d’immigration.

L’avocat spécialisé en immigration demande à la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, d’augmenter la pression sur Ottawa. Selon lui, le gouvernement du Québec « devrait pouvoir exiger l’arrêt des procédures de déportation quand l’intérêt public le justifie ». « Ça nous prend un programme de régularisation de statuts, surtout pour nos travailleurs essentiels », a poursuivi M. Cliche-Rivard.

Aussi sur place, Deborah Adegboye a fait valoir vendredi que sa famille et elle ne demandaient qu’à évoluer dans la société.

On veut continuer de redonner au Canada, au Québec et à la communauté.

Deborah Adegboye, préposée aux bénéficiaires menacée d’expulsion

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Deborah Adegboye

« Ces gens sont importants pour nous. Et on est importants pour eux. Ils ont besoin de nous », a-t-elle dit, en parlant des patients qu’elle traite en tant que préposée aux bénéficiaires, un métier que pratique d’ailleurs également son conjoint. « Ils ne vont jamais regretter de nous avoir dans la communauté », a-t-elle ajouté en faisant référence aux autorités fédérales.

Encore et toujours, l’espoir

Depuis son arrivée au Canada, il y a bientôt sept ans, Mme Adegboye dit avoir été soufflée par « l’hospitalité et l’amour qu’on vous donne, peu importe votre couleur de peau ». « Les gens nous montrent de l’amour, ils nous accommodent et, surtout, ils nous donnent tellement d’espoir », a-t-elle témoigné, non sans émotion.

Ses trois enfants, âgés de 3, 7 et 8 ans, sont déjà inscrits à l’école en français, tandis qu’elle et son mari suivent des cours de francisation.

En plus d’avoir demandé l’asile, la famille a déjà formulé une demande invoquant des considérations d’ordre humanitaire. Les deux requêtes ont été refusées. Une autre demande est par ailleurs en cours, tout comme une demande de permis de séjour temporaire. « On demande à la ministre [Christine] Fréchette et au ministre [Marc] Miller de prendre tous les moyens possibles à ce stade-ci », affirme M. Cliche-Rivard.

« Si on [expulse] des gens comme Deborah, qui sommes-nous comme société ? Quelles sont nos valeurs ? », s’est quant à lui demandé M. Boulerice, qui promet « de harceler le ministre Miller toute la semaine s’il le faut », devant « l’urgence de la situation ».

Au cabinet du ministre Marc Miller, on nous a répondu vendredi que « la décision de renvoyer une personne du Canada n’est pas prise à la légère ». « Toute personne faisant l’objet d’une telle mesure a droit à une procédure régulière, mais une fois que toutes les voies de recours ont été épuisées, elle est éloignée du Canada conformément au droit canadien », a-t-on fait valoir.

« Nous sommes extrêmement reconnaissants envers toutes les personnes qui sont venues prêter main-forte à notre système de santé pendant la pandémie. Espérons que cette contribution sera prise en considération dans l’analyse de leur dossier, laquelle relève entièrement du fédéral », a de son côté fait valoir le cabinet de la ministre Christine Fréchette.

Avec Caroline Touzin, La Presse