L’année 2023 a été dure, très dure pour les agriculteurs du Québec. Crise dans l’industrie du porc, champs inondés, gel hâtif, sécheresse, érables à sec : la Financière agricole du Québec versera plus de 1 milliard de dollars pour compenser les pertes et soutenir le revenu des producteurs assurés auprès d’elle.

Il s’agit du plus gros « décaissement » de la Financière agricole depuis la crise économique de 2008. La moyenne des versements des 10 dernières années était de 439 millions.

La Financière agricole du Québec est un organisme public qui relève du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Elle administre une série de programmes de sécurité du revenu et d’assurance pour les agriculteurs, en plus de contribuer au financement des entreprises agricoles. Les deux plus importants sont le Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA), qui couvre surtout des productions animales, et l’assurance récolte (ASREC), qui dédommage les agriculteurs des pertes au champ.

La part du lion – soit 467 millions – sera accordée par l’ASRA, financée aux deux tiers par les contribuables. Environ 380 millions sont destinés aux producteurs de porcs qui traversent une tempête si importante qu’un mécanisme de retrait de la production a été instauré l’an dernier pour diminuer le nombre d’éleveurs dans la province. L’ASRA est déclenchée lorsque les revenus que les producteurs reçoivent sont en deçà de leurs coûts de production.

Versements record

La crise du porc pèse donc très lourd et exacerbe une situation rendue déjà difficile par une météo déboussolée. Et signe d’une année désastreuse dans les champs : les sommes versées par l’assurance récolte sont les plus importantes depuis la création du programme en 1967. Des versements de plus de 201 millions sont projetés, alors que la moyenne des 10 dernières années était de 66,6 millions.

Des versements qui n’apaisent pas la grogne au sein des associations de producteurs, qui tonnent haut et fort que le programme d’assurance récolte n’est plus adapté aux nouvelles réalités climatiques.

Frappés par une sécheresse historique, des producteurs de foin de l’Abitibi estiment par exemple ne pas avoir été indemnisés à la hauteur de leurs pertes. Ils craignent pour la survie de leurs entreprises si l’année 2024 est aussi désastreuse.

« Je suis venu au monde sur la ferme familiale, j’ai repris la ferme de mon père il y a 27 ans et je n’ai jamais vu une sécheresse de même », raconte Rémi Morin, maire de Sainte-Hélène-de-Mancebourg et éleveur de vaches de boucherie. Il raconte qu’il pouvait insérer son bras dans les fissures dans sa terre causées par la sécheresse.

« À la fin de l’année, [la Financière agricole a calculé] qu’on avait 37 % de pertes [dans ma région], mais chez nous, j’ai 70 à 80 % de pertes. Et le premier 15 %, c’est nous autres qui l’assumons, c’est la franchise. »

Comme plusieurs de ses collègues, il a vendu une partie de son troupeau.

C’est comme si ta maison passe au feu et que l’assureur décide de te payer juste le quart, et le reste, tu te débrouilles. C’est ça qui est arrivé chez nous.

Rémi Morin, maire de Sainte-Hélène-de-Mancebourg et éleveur de vaches de boucherie

En Abitibi, les producteurs de foin ont été indemnisés à hauteur de 6,8 millions, un record, alors que la moyenne annuelle se situe autour de 1,7 million.

En dépit de cette somme, une récente publicité de la Financière agricole du Québec a suscité un déferlement de commentaires indignés de la part de producteurs abitibiens.

Un déluge de pertes dans les champs

L’Association des producteurs maraîchers du Québec estime aussi que les sommes qui seront versées par l’assurance récolte seront insuffisantes pour éponger les dommages causés par les pluies diluviennes de juillet et un gel historique survenu au printemps. Elle demande depuis des mois une aide d’urgence.

« On a très rarement vu des dégâts comme ça dans les champs. L’eau qu’on a eue, ça a demandé beaucoup de travail d’essayer de récupérer ça, cette saison-là. On a beaucoup d’agriculteurs qui ont fini la saison très fatigués », raconte la productrice maraîchère Geneviève Guinois-Côté.

La jeune productrice maraîchère cultive des laitues et des fines herbes. Or, les fines herbes ne sont tout simplement pas assurables. « Avec les changements climatiques […] le programme ne fonctionne plus à mon avis pour tous les agriculteurs du Québec. Avec mes fines herbes qui ne sont pas assurables, c’est difficile aussi de demander à une entreprise d’être innovante. »

Alors que les changements climatiques menacent notre garde-manger, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec s’est engagé en novembre à « revisiter » le programme d’assurance récolte d’ici la saison 2024-2025. Une « nouvelle version du programme » est donc prévue pour la saison 2024-2025. Le programme est financé à 60 % par les contribuables et à 40 % par les producteurs.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Champ inondé dans la région de Mirabel en avril 2023

« Le bon coup du ministre, c’est qu’il a lancé un programme de réforme de l’assurance récolte », dit Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec.

« Cela dit, la saison 2023 met en péril le secteur maraîcher, et on a fait une conférence de presse le 4 août pour lancer un cri d’alarme et huit mois après, on n’est pas foutu de dire si on va nous aider avec un aménagement spécial de l’assurance récolte en attendant que le nouveau programme soit mis en place. On demande une mesure temporaire pour tenir compte de manière exceptionnelle d’une saison exceptionnelle », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, à peine 50 % des producteurs maraîchers et environ 30 % des producteurs de fraises et de framboises choisissent de s’assurer, car les critères pour être dédommagés seraient trop restreints.

Réaction du ministre

En entrevue avec La Presse, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, souligne qu’il a demandé à Ottawa de déclencher un programme d’aide appelé Agri-Relance pour venir en aide aux producteurs de foin de l’Abitibi et aux producteurs maraîchers.

Ce programme intervient lorsque la reprise des activités est remise en question à la suite d’une catastrophe. Si Ottawa refuse, il promet la mise en place d’une « nouvelle intervention ».

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne

« Ç’a été une année exceptionnelle, mais ce dont on s’aperçoit, c’est que notre écosystème de soutien, il a livré la marchandise avec des compensations exceptionnelles. Cela étant dit, on a plusieurs entreprises qui peuvent avoir des difficultés, donc on est tout le temps mobilisés pour chercher à être meilleurs et les accompagner », a-t-il expliqué.

Le ministre a d’ailleurs rencontré les producteurs abitibiens au début de la semaine pour entendre leurs doléances.

En ajoutant l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, de nombreuses entreprises agricoles peinent à joindre les deux bouts.

« On va aussi loin qu’identifier les entreprises particulières qui sont en difficulté et on vient les accompagner. L’an passé, on a identifié 712 entreprises vraiment à risque. Elles ont toutes été contactées et accompagnées. Au moment où l’on se parle, on a identifié à peu près 2000 entreprises [de plus qui ne] sont pas financées de façon optimale », a expliqué le ministre.

Le directeur général de l’Union de producteurs agricoles, Charles-Félix Ross, souligne aussi que pour le secteur maraîcher horticole, celui des fraises et framboises et les producteurs de foin de l’Abitibi-Témiscamingue, les programmes traditionnels d’assurance récolte n’ont « pas fait le travail » pour la saison 2023.

Ça fait neuf mois qu’on est en demande, et les intervenants gouvernementaux reconnaissent qu’il y a eu des pertes exceptionnelles, d’où la demande au fédéral. Mais nous, on a hâte que ça atterrisse parce qu’on n’a pas envie de faire les frais d’une chicane entre le provincial et le fédéral ou qu’on se lance la balle d’un bord et de l’autre.

Charles-Félix Ross, directeur général de l’Union de producteurs agricoles

La Financière agricole du Québec a refusé de nous accorder une entrevue. « Il s’agit d’une année avec des interventions très importantes par rapport à la moyenne des dernières années. Toutefois, en 2008, un peu plus de 1 milliard avait également été versé », a indiqué l’organisme dans une déclaration écrite.

« Nous sommes sensibles aux réactions qu’a pu occasionner la récente publication sur notre page Facebook. La relation avec la clientèle est une priorité pour l’organisation et nous comptons continuer d’accompagner nos clients à toutes les étapes de vie de leur entreprise dans le respect de nos valeurs », a ajouté la Financière agricole par courriel.

Production porcine en difficulté

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Un mécanisme de retrait de la production a été instauré l’an dernier pour diminuer le nombre d’éleveurs de porcs dans la province.

Fermeture du marché chinois, bêtes vendues aux abattoirs sous les prix du marché, conflit de travail, puis fermeture de l’usine d’abattage d’Olymel à Vallée-Jonction : les dernières années ont été éprouvantes pour les éleveurs de porcs du Québec. Le 7 août, la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec – un tribunal administratif – a donné son feu vert à un programme volontaire de retrait de la production porcine pour une période de cinq ans. Doté d’une enveloppe maximale de 80 millions, ce mécanisme de rachat collectif vise à réduire de manière importante le nombre de bêtes élevées dans la province. Le Québec produit annuellement 6,8 millions de porcs d’engraissement. Annoncé en mars, le programme visait initialement à réduire le nombre de 1,1 million pour arrimer l’offre à la demande moindre annoncée par les abattoirs. En septembre, la cible de réduction a été revue à 640 000 animaux.

Protection du revenu

La Financière agricole du Québec gère plusieurs programmes destinés à appuyer les agriculteurs. Un autre exemple de programme offert : Agri-stabilité. Il s’agit d’un programme de protection du revenu global de l’entreprise contre les risques du marché et les catastrophes naturelles. Les paiements finaux projetés pour 2023 sont de 184 millions, alors que la moyenne des 10 dernières années était de 34 millions. La Financière offre aussi des services de financement comme des garanties de prêts et des subventions à l’investissement.