Une procureure intimidée et harcelée, des employés injuriés, menacés, invités à se battre, agressés physiquement… À Montréal et à Québec aussi, le personnel est pris à partie par des citoyens, ont confirmé ces villes à La Presse.

Ce qu’il faut savoir

Des employés municipaux des villes de Montréal et de Québec sont la cible d’insultes, de menaces, de rage au volant et parfois même d’agressions physiques dans l’exercice de leurs fonctions.

Au moins quatre cas d’employés municipaux pris à partie par des citoyens ont été assez graves pour être soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

À Montréal, un de ces cas a même mené à des accusations au criminel. Une citoyenne est visée par deux chefs d’accusation, pour harcèlement criminel et intimidation d’une personne associée au système judiciaire.

En décembre 2021, une jeune femme de 21 ans a intimidé une avocate de la Ville de Montréal et l’a menacée « de causer [sa] mort ou des lésions corporelles ». Arrêtée quelques semaines plus tard, elle a été accusée de harcèlement criminel et d’intimidation d’une personne associée au système judiciaire, puis libérée moyennant une caution 200 $. Ne s’étant pas présentée en cour la semaine dernière, elle fait aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt, indique son dossier au palais de justice de Montréal.

« Il y a un ou deux autres dossiers dont un de nos procureurs est plaignant et qui fait l’objet d’une enquête » du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), a ajouté un porte-parole de la Ville de Montréal, Gonzalo Nuñez, par courriel.

Ça brasse aussi à Québec. Depuis l’été dernier, deux dossiers d’employés pris pour cibles par des citoyens ont été soumis au DPCP « pour analyse en vue de porter des accusations », signale un porte-parole de la Ville, Jean-Pascal Lavoie.

Lisez notre dossier « Les villes contre-attaquent »

À Montréal comme dans d’autres municipalités interrogées récemment par La Presse, on souligne que « ce ne sont que des cas d’exception ». Ces exceptions ne peuvent toutefois pas être prises à la légère. Les Villes, comme tous les employeurs, sont tenues de protéger leurs employés du harcèlement et de la violence.

Il arrive que des membres du personnel de la Ville soient injuriés, menacés et même agressés physiquement dans l’exercice de leur travail.

Gonzalo Nuñez, porte-parole de la Ville de Montréal

À Montréal, la Procédure suite à une agression physique ou verbale, qui donne la marche à suivre lorsqu’un employé est victime d’une telle agression, est en vigueur depuis 2017.

Depuis, « on note près de 10 cas » où le Contrôleur général de la Ville de Montréal « a écrit au citoyen concerné pour le mettre en demeure de cesser le harcèlement ou l’envoi de messages non acceptables ».

Les gestionnaires dont les employés signalent des abus peuvent aussi envoyer de telles mises en demeure, ajoute la Ville, sans préciser le nombre de cas.

Montréal a également créé un groupe de travail afin de trouver d’autres pistes de solution, « car on nous rapporte que ce type d’évènements se reproduit, et ce, malgré les mesures de sécurité déjà mises en place ».

Le « bouclier » de Québec

Des insultes, les employés de la Ville de Québec « en subissent malheureusement tous les jours » et « il y en a même qui subissent des menaces physiques, des comportements de rage au volant, des gestes agressifs », a dénoncé le maire Bruno Marchand dans une vidéo-choc diffusée en mai dernier. La Ville avait alors annoncé un « projet bouclier » pour soutenir les employés.

CAPTURE D’ÉCRAN

Le maire Bruno Marchand dans une vidéo diffusée par la Ville de Québec

Regardez la vidéo « L’incivilité envers les employés, c’est assez ! » diffusée par la Ville de Québec

Durant ses six premiers mois d’activité, du 1er juillet au 31 décembre dernier, le « comité bouclier » a reçu sept signalements, dont les deux dossiers qui ont été soumis au DPCP, montre le premier bilan fourni à La Presse.

« Ça ne veut surtout pas dire » que seulement sept employés municipaux ont été la cible d’incivilités de citoyens, estime le porte-parole de la Ville, en soulignant que les présentations aux directeurs de service ont été faites seulement à la fin de juin.

Dans un des cas soumis au DPCP, un citoyen a composé le 311 alors qu’il était au volant pour se plaindre de la poussière excessive et a proféré des menaces. L’autre cas est celui d’un citoyen qui a déplacé du matériel de sécurité aux abords d’un chantier, puis s’en est pris à l’employé qui a filmé la scène, suscitant une intervention immédiate de la police.

D’autres employés ont été pris à partie sur la voie publique, montrent les résumés d’incidents fournis par la Ville.

Lors de l’inspection de la vanne d’une conduite municipale, « un citoyen mécontent a été incivil », a fait un doigt d’honneur à un col bleu et, lorsque ce dernier a parlé d’appeler la police, il l’a invité à se battre.

« Plus tard, il est revenu sur les lieux en invitant à nouveau l’employé à se battre, mais a quitté [les lieux] rapidement à l’approche des policiers. Ces derniers ont rendu visite au citoyen. »

Un automobiliste n’a « immobilisé son véhicule qu’une fois rendu “collé” sur le panneau d’arrêt tenu par le signaleur ».

Dans ces deux cas, les employés ont préféré ne pas porter plainte.

La Ville envisage toutefois de créer une disposition qui permettrait de remettre des constats d’infraction à des citoyens qui déplacent du matériel de sécurité aux abords des chantiers, mentionne M. Lavoie. Un tel recours est encore « en analyse » et « n’a pas été soumis aux autorités politiques », précise le porte-parole de la Ville.

« Pour l’année 2024, on aimerait faire connaître davantage le rôle et la portée du comité bouclier, dit M. Lavoie. J’imagine que plus il sera connu, plus il sera utilisé, plus les employés auront le réflexe de signaler à leur gestionnaire, et les gestionnaires d’enclencher le processus. »

Pas la même protection pour les élus

« Les élus·es municipaux ne sont pas catégorisés en tant qu’employés des municipalités. Par conséquent, ils et elles ne sont pas soumis aux règlements sur le harcèlement au travail établis par les municipalités pour protéger leurs employés des citoyens et maintenir un environnement de travail respectueux », souligne un rapport publié par la Fédération québécoise des municipalités (FQM) vendredi.

Or, près de la moitié (47 %) des élus qui ont participé à l’enquête commandée par la FQM ont été victimes de harcèlement psychologique au moins une fois dans leur carrière, montre le rapport préparé par une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke. Leur sondage, auquel ont répondu 615 élus entre le 8 mars et le 3 mai 2023, était le deuxième du genre en six ans.

« En 2023, le harcèlement psychologique est non seulement plus présent qu’auparavant dans la vie des élus·es, mais il demeure aussi l’enjeu le plus souvent souligné », signalent les chercheurs.

« Les types de harcèlement les plus fréquemment rapportés par les répondants dans leurs témoignages sont la diffamation et la violence verbale. Il est également question de harcèlement physique et sexuel, bien que dans une moindre mesure. »

Consultez le rapport de la Fédération québécoise des municipalités