Les températures douces mènent la vie dure à la pêche blanche. Rarement une saison aura été aussi courte, ce qui cause d’importantes pertes financières pour certaines communautés où se pratique ce sport traditionnel.

Bon an, mal an, environ 1000 cabanes sont montées sur les glaces de la baie des Ha ! Ha !, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où se trouve le plus important site de pêche blanche en eau salée au monde. Dotés de rues et de stationnements pour les voitures, deux villages miniatures et éphémères y attirent des visiteurs des quatre coins de la province pour taquiner le poisson de fond.

Or, faute d’un couvert de glace suffisant cette année, soit d’environ 12 pouces, la Ville de Saguenay a annoncé, « le cœur gros », la semaine dernière, qu’il ne serait pas possible de procéder à leur installation.

« La sécurité est le principal critère qui a été pris en compte pour en venir à ce choix. Les dernières mesures de glace et le temps doux annoncé dans les prochains jours empêchent d’entrevoir une date d’ouverture », peut-on lire dans un communiqué diffusé par la Ville.

Bénévole depuis 24 ans et président du conseil d’administration de l’organisme chargé de gérer ces petits villages, Contact Nature, Dany Tremblay confirme qu’il s’agit d’une première. « Je ne me souviens pas d’avoir vu ça », dit-il.

Un souvenir confirmé par l’historienne Russel-Aurore Bouchard, qui, au fil de ses recherches, a établi le début de la pêche blanche comme « phénomène social » au Saguenay–Lac-Saint-Jean au début des années 1980.

« Ça crie un peu à La Baie, il y a des gens qui ont investi dans leurs commerces, il y a tout un circuit », ajoute-t-elle, confirmant que la nouvelle a pris de court de nombreux citoyens férus de ce sport et qui paient, année après année, pour réserver un site pour leurs cabanes.

Des pertes financières

« C’est comme si tu annonçais à quelqu’un qui va au même site de camping tous les ans depuis 20 ans, le jour où il tombe en vacances, qu’il ne peut pas cette année », résume le propriétaire de L’Aventure de l’ours noir, Marc-Olivier Noël.

Pour ce pourvoyeur qui loue chaque année 16 des sites à l’Anse-à-Benjamin, la nouvelle a eu l’effet d’une douche froide. Informé quelques jours avant l’annulation que le couvert de glace serait suffisant, il explique avoir fait remorquer toutes ses cabanes en bordure de la baie, au coût de 2300 $.

Une somme qu’il risque de ne pas revoir, tout comme les milliers de dollars de réservations perdues ou l’argent dépensé d’urgence pour se doter de cabanes portatives ou en toile, la pêche sur glace étant toujours permise à partir d’installations temporaires et aux risques et périls des pêcheurs.

Et Marc-Olivier Noël n’est pas le seul à souffrir de cette annulation, plusieurs commerces de La Baie, la municipalité voisine, profitant chaque année du passage de nombreux visiteurs venus des quatre coins de la province pour y taquiner le poisson de fond, explique Dany Tremblay.

« Mettez 1000 cabanes, les gens demeurent plus longtemps, ils vont y passer des semaines complètes. Ils ont besoin de plus de nourriture, il y a de la visite, une cabane peut loger cinq ou six personnes, les pourvoyeurs qui ont une quarantaine de cabanes en location, c’est des revenus », énumère-t-il.

Une saison écourtée

À Sainte-Anne-de-la-Pérade, en Mauricie, où se trouve un autre mythique site de pêche blanche, celui où on attrape les petits poissons des chenaux, la saison est bien en marche.

Sauf qu’elle a débuté trois semaines en retard, le peu de glace accumulé en début de saison ayant été emporté par le redoux avant le temps des Fêtes. « On a commencé le 15 janvier, ça va être une demi-saison pour nous cette année », confirme le porte-parole de l’Association des pourvoyeurs de la rivière Sainte-Anne, Steeve Massicotte.

PHOTO ANNE-SOPHIE THILL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des cabanes à pêche à Sainte-Anne-de-la-Pérade, le 27 janvier dernier

Après deux saisons difficiles (2022-2023 ayant aussi été écourtée), il ajoute avoir hâte d’« avoir un hiver un peu plus normal ». Car les conséquences financières d’un tel retard sont importantes, dit-il.

« On coupe en deux. Les retombées économiques, pour la Mauricie, au lieu d’être 6 millions de dollars, c’est 3 millions. Pour les pourvoyeurs, on couvre nos frais. On sauve les meubles un petit peu », explique Steeve Massicotte.

Comme tous les ans, la saison de la pêche aux petits poissons des chenaux prendra fin dimanche, moins d’un mois après avoir débuté.

PHOTO ANNE-SOPHIE THILL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des poissons récoltés à Sainte-Anne-de-la-Pérade, le 27 janvier dernier

D’autres ont toutefois eu plus de chance jusqu’ici. Un autre village de pêche blanche important, celui de Gatineau, situé en banlieue de la ville du même nom, ne semble pas avoir souffert outre mesure des aléas de la météo.

Le fait que les quelque 200 cabanes qui le composent soient dressées sur les glaces d’une baie, en bordure de la rivière des Outaouais, où « il n’y a pas de courant, pas de vague », pourrait expliquer son succès, croit son propriétaire, Brian Nixon.