Il fallait vraiment aimer le hockey.

Pour boucler ses bagages une première fois à 16 ans et partir jouer dans une autre province. Pour le refaire à 23 ans, sans un sou en poche, et tenter une carrière dite professionnelle. Pour travailler toute la journée dans une garderie, s’entraîner tard le soir et disputer des matchs sans être payée. Pour faire le saut derrière le banc avant 30 ans. Pour animer des séances de travail au milieu de la nuit pendant les Jeux olympiques. Ou pour faire ses valises une troisième fois, emménager à Montréal et diriger une (vraie) équipe professionnelle en apprenant une nouvelle langue à toute vitesse.

Le récit de la carrière de Kori Cheverie, entraîneuse-chef de l’équipe montréalaise de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), a quelque chose d’essoufflant. Pas dans la forme, remarquez. En ce mardi matin glacial de la fin du mois de janvier, dans un café de la rue Wellington, à un jet de pierre de l’Auditorium de Verdun, la discussion est cordiale, presque feutrée.

Derrière une tasse de café noir (elle nous fait part de la nature de sa boisson en français), la dirigeante de 36 ans est dynamique, mais pas exubérante. Le regard, comme la poignée de main, est décidé. On comprend rapidement qu’elle prendra tout le temps nécessaire pour répondre aux questions… mais qu’elle n’a pas de temps à perdre pour autant.

Le travail, depuis son arrivée dans la métropole à la fin de l’été, occupe la quasi-totalité de son quotidien. La veille de notre rencontre, elle s’était accordé une rare journée pour découvrir la ville. Elle a arrêté son choix sur le Vieux-Montréal, qu’elle se désolait de ne pas avoir exploré davantage plus tôt, elle qui désire connaître « l’histoire et l’héritage » de sa ville d’adoption.

Cet apprentissage, toutefois, doit se faire à temps très partiel. Car bâtir une équipe de toutes pièces élimine essentiellement toute notion de congé, encore davantage quand on conjugue cette tâche à celle d’entraîneuse adjointe de l’équipe nationale.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les joueuses de l’équipe féminine de hockey de Montréal écoutent attentivement l’entraîneuse-chef Kori Cheverie à l’entraînement.

Lorsque les joueuses ne sont pas à l’aréna, le personnel d’entraîneurs en profite pour se réunir, analyser, planifier.

« Il faut faire des efforts réels pour se séparer du travail, note-t-elle. C’est difficile. »

Le fardeau est toutefois moins lourd lorsque ce travail, c’est le hockey, et que le hockey, c’est toute une vie.

Sur le tard

Née à New Glasgow, en Nouvelle-Écosse, Kori Cheverie a grandi en jouant au baseball, au basketball et au soccer. Ce n’est que sur le tard, à 10 ans, qu’elle s’est initiée au hockey, un sport que ne pratiquait personne dans sa famille proche.

Aussi loin qu’elle se souvienne, elle a aimé patiner. Elle décrit la scène la plus canadienne qu’on puisse imaginer en racontant combien elle aimait s’élancer sur l’étang gelé avec sa sœur – « c’était peut-être davantage un ruisseau », concède-t-elle en riant.

Étonnamment, la franchise de films The Mighty Ducks (Jeu de puissance, en français) l’incite à « prioriser » le hockey. À l’époque, voir des filles jouer dans une équipe de garçons l’émeut très peu : c’est en fait sa réalité depuis toute petite.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE DISNEY+

Le film The Mighty Ducks, avec Emilio Estevez

Le hockey réunissait tout ce qu’elle aimait dans le sport. « J’étais très compétitive, et je le suis encore, dit-elle. Je n’aimais pas perdre. »

Le problème, et il est de taille : le hockey est très coûteux. Avec sa mère, qui élevait seule ses trois enfants, elle a conclu un marché : si la jeune Kori réunissait la somme nécessaire pour s’acheter un équipement, elle recevrait l’inscription en cadeau.

La fillette a donc organisé une vente-débarras qui lui a rapporté… 90 $. Elle a trouvé quelqu’un qui lui a vendu un sac d’articles usagés à ce prix. Et sa mère a honoré sa part de l’entente.

Dès ses débuts au hockey organisé, il est clair qu’elle est douée. « Organisé » est sans doute un grand mot pour décrire le volet féminin à New Glasgow à la fin des années 1990. À l’adolescence, elle rejoint l’équipe provinciale puis participe aux Jeux du Canada, en 2003, au sein de la même délégation qu’un jeune homme de son âge nommé Sidney Crosby.

À cet évènement, elle constate que certaines de ses coéquipières se préparent à partir jouer en Ontario. Elle décide de faire de même et termine son secondaire loin de la maison. De retour dans sa province natale, elle s’inscrit en criminologie à l’Université Saint Mary’s, à Halifax.

À ce point du récit, La Presse souligne qu’il n’est pas banal que l’équipe de Montréal ait aujourd’hui une entraîneuse diplômée en criminologie et une directrice générale, Danièle Sauvageau, qui a fait carrière au SPVM et à la GRC.

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La directrice générale de l’équipe de hockey féminin de Montréal, Danièle Sauvageau, et l’entraîneuse-chef Kori Cheverie

Cheverie sourit et note que les deux s’entendent effectivement comme larronnes en foire.

On est dans la business d’étudier les gens. Toutes les deux, on cherche à trouver ce que nous disent les joueuses avec leur non-verbal, leur langage corporel. On essaie de comprendre ce qui se passe, de comprendre les gens. C’est en faisant ça qu’on tire le maximum de chacune.

Kori Cheverie

À Toronto

Après une prolifique carrière de cinq saisons au hockey universitaire, Cheverie joue son va-tout. Sans un sou en poche, et en ne sachant trop où elle va même se loger, elle remplit sa voiture et quitte la Nouvelle-Écosse pour tenter sa chance chez les professionnelles. Direction : Toronto.

Ici aussi, le sens des mots doit être précisé. La défunte Ligue canadienne, qui a existé de 2007 à 2019, a joui d’une bonne réputation, mais elle n’avait de professionnel que l’étiquette. Les joueuses n’ont été payées qu’au cours des deux dernières saisons d’existence du circuit, et encore, on parlait de quelques milliers de dollars. « Au moins, on ne payait pas pour jouer, c’était déjà bien », affirme-t-elle, sans ironie.

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En 2016, quelques semaines avant son 29e anniversaire, et alors qu’elle connaissait encore du succès sur la glace, Kori Cheverie décide d’accrocher ses patins pour passer directement au coaching.

S’il existe un contraire au glamour, elle en a fait l’expérience. Établie chez sa grand-tante de 87 ans, elle assurait sa subsistance en travaillant dans une garderie, comme elle le faisait déjà chaque été avec sa mère, éducatrice en petite enfance.

« C’était vraiment dur », confirme celle qui, après sa journée au boulot, devait attendre à 21 h 30 pour s’entraîner avec les Furies de Toronto.

La somme d’efforts à investir, juste pour aller s’entraîner, c’était énorme. Je pense que ça m’a aidée à travailler ma patience et à me donner la perspective de ce à quoi ressemble un vrai emploi, un emploi difficile.

Kori Cheverie

En 2016, quelques semaines avant son 29e anniversaire, et alors qu’elle connaissait encore du succès sur la glace, Cheverie décide d’accrocher ses patins.

« J’étais rendue à un point de ma carrière où je devais prendre une décision », dit-elle. Cette réflexion, des centaines d’autres joueuses de son âge y ont été acculées au fil des années. Continuer ou pas ? Si oui, pour combien de temps ? Dans quelles conditions ? En passant six ans dans la ligue, elle a fait partie des joueuses les plus endurcies : ses 152 matchs en saison la placent au 10e rang de l’histoire du circuit.

Ayant déjà touché au rôle d’entraîneuse au hockey mineur, elle voyait des « occasions » se présenter dans ce créneau.

« Je sentais que plus longtemps j’attendais, moins elles seraient là. J’ai décidé de passer directement au coaching, et c’est aujourd’hui mon travail à temps plein. C’était une très bonne décision. »