« Tout ce que je souhaite, c’est être respecté », témoigne Richard Gauthier, un septuagénaire forcé de manger son repas dans le corridor de sa résidence pour aînés depuis plus d’un an, en raison de travaux d’urgence dans la salle à manger.

Quand il a déménagé à Habitat Fullum, Richard Gauthier espérait y rester le plus longtemps possible. Cette résidence pour aînés a été aménagée dans l’ancienne maison des Sœurs de la Providence, non loin du métro Papineau, à Montréal.

L’immeuble patrimonial a été rénové en 2014 pour accueillir 62 studios et des logements pour aînés, propriétés d’Espace La Traversée, un organisme à but non lucratif. Le même bâtiment accueille aussi des bureaux d’autres organismes et une ressource intermédiaire (RI) pour personnes en perte d’autonomie.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD GAUTHIER

Cette colonne endommagée dans la chapelle qui servait de salle à manger à Habitat Fullum a mené à des travaux de sécurisation d’urgence des lieux.

Or, il y a un peu plus d’un an, le 26 janvier 2023, une colonne endommagée a rendu nécessaires des travaux de sécurisation d’urgence dans l’ancienne chapelle historique, qui servait de salle à manger.

« Vers 5 h du matin, les locataires ont entendu un craquement important dans la maison », explique François Tremblay, directeur général d’Espace La Traversée. Sur l’une des colonnes de l’ancienne chapelle, le plâtre était tombé et elle présentait un « écart important », ajoute-t-il.

Fermeture d’urgence

L’aile C du bâtiment, où se trouvent la chapelle, des espaces de bureau, des chambres de la RI et sept appartements de la RPA, a été fermée d’urgence. Une firme d’ingénierie a été chargée d’analyser la situation.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’aile C du bâtiment, où se trouve l’ancienne chapelle, est désormais condamnée et a été barricadée.

Faute d’espace, les repas des locataires ont commencé à être servis dans un corridor du rez-de-chaussée. Six tables et une vingtaine de chaises y sont maintenant installées. Le corridor aux murs peints en bleu foncé et en blanc est éclairé par des néons. Les repas sont servis à partir de réchauds attenants à la cuisine.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB D’ESPACE LA TRAVERSÉE

Cette chapelle patrimoniale servait jusqu’à il y a un an de salle à manger aux locataires de la RPA Habitat Fullum.

Un contraste frappant avec la superbe salle à manger, dont les photos sont toujours en ligne sur le site d’Espace La Traversée, reconnaît le directeur général.

C’est le seul endroit assez grand pour accueillir tout le monde. […] Je suis très conscient que ce n’est pas la panacée, mais c’est ce qu’on avait à offrir aux gens. Je partage tout à fait le désarroi de certaines personnes, et je trouve qu’ils sont patients.

François Tremblay, directeur général d’Espace La Traversée

Un an plus tard, la situation commence toutefois à exaspérer certains locataires, qui ignorent totalement combien de temps elle va durer, dénonce Richard Gauthier.

En attente de réponses

« Est-ce qu’à la suite d’un manque d’investissement, ils vont fermer notre RPA ? Est-ce que nous serons obligés de nous reloger en pleine crise de logement pas facile à vivre ? », se demande celui qui a une formation en génie civil.

L’homme de 75 ans dit avoir tenté d’obtenir des réponses d’Espace La Traversée dans les derniers mois, sans succès. « Ils ne nous ont pas rencontrés [pour nous tenir au courant des avancées], et c’est ça que je trouve inconcevable ! s’exclame-t-il. Parce que je comprends qu’il n’y a pas de place. »

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À Habitat Fullum, les repas sont maintenant servis à partir de réchauds attenants à la cuisine.

François Tremblay affirme pour sa part que de l’aide et de l’accompagnement ont été offerts aux résidants touchés. Quant à une possible fermeture : « on n’a jamais envisagé ça, et on ne l’envisage pas », assure-t-il.

La situation est toutefois complexe. Des ingénieurs, des avocats et des assureurs sont impliqués dans le dossier : « Est-ce que c’est la faute des personnes qui ont fait les rénovations entre 2012 et 2016 ? Est-ce que [les assurances] vont payer ou pas ? On est en train d’avoir des réponses, mais ça a pris énormément de temps. »

Une hypothèse sur la table est que le poids de l’espace au-dessus de la chapelle – autrefois occupé par des dortoirs – est devenu trop important pour la capacité des colonnes de plomb, précise le directeur général.

« On a demandé aux ingénieurs d’avancer plus rapidement, pour qu’on trouve le moyen de faire la réparation », assure-t-il. « Est-ce qu’on en a pour quelques mois, une année, une année et demie ? Moi, j’espère que oui. Il faut que les travaux soient faits. »

Salle à manger comprise dans le bail

Les locataires de la RPA ont accès à sept repas par semaine pour un supplément à leur loyer. Ces repas sont censés être servis dans une salle à manger accessible aux visiteurs, comme le précise l’annexe du bail de M. Gauthier, consultée par La Presse.

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L’entrée du corridor qui sert désormais de salle à manger

M. Gauthier n’exclut pas de faire appel au Tribunal administratif du logement pour faire avancer le dossier. Le 28 janvier, il a aussi déposé une plainte au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal à ce sujet. « Le silence [de la direction générale] contribue à alimenter notre angoisse », peut-on y lire.

Mercredi, un café-rencontre a été organisé entre des employés de la RPA et les locataires. Un communiqué de François Tremblay concernant la salle à manger a aussi été envoyé aux locataires vendredi, après que La Presse a contacté l’organisme.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Une rencontre a eu lieu avec les locataires de la RPA Habitat Fullum le 31 janvier dernier.

« On ne veut pas annoncer n’importe quoi, souligne prudemment M. Tremblay. On ne veut pas s’avancer sur des dates, mais on veut dire les choses honnêtement. »

« Ce que je demande, c’est de la transparence », dit M. Gauthier. « Et qu’on réfléchisse à la façon dont on traite nos aînés. On vient de sortir d’une pandémie, on a passé deux ans à manger dans des boîtes à lunch, dans nos appartements. Et là, il y a ça qui nous arrive. »

Espace La Traversée en bref

L’organisme à but non lucratif gère un parc immobilier résidentiel de 20 immeubles.

Ces immeubles sont destinés à « des personnes vivant avec une problématique de santé mentale, de déficience intellectuelle, en perte d’autonomie liée au vieillissement ou à une difficulté d’adaptation sociale », précise le site web de l’organisme.

L’organisation est aussi impliquée dans un vaste projet immobilier communautaire dans la maison mère de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne, à Lachine.