La Ville de Saint-Jérôme agit-elle dans l’illégalité en démantelant systématiquement les campements de sans-abri sur son territoire ? La question sera débattue en Cour supérieure, à Montréal, ce vendredi matin. Une décision juridique qui pourrait avoir des répercussions ailleurs dans la province.

L’itinérance est un dossier chaud à Saint-Jérôme. Après avoir reçu un rapport accablant du Centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes des Laurentides l’automne dernier, la plus grande municipalité des Laurentides se retrouve devant les tribunaux ce vendredi matin.

Un organisme juridique de défense des droits des personnes itinérantes plaide que la Ville contrevient aux droits fondamentaux des sans-abri, car elle n’offre pas de solution de rechange adéquate aux campeurs expulsés.

La ville ne compte que six lits d’urgence, pour une population d’environ 40 à 50 personnes sans domicile fixe vivant dehors.

De plus, le fonctionnement du seul refuge d’urgence, la Hutte, fait en sorte que certaines personnes ne peuvent y accéder, par exemple si elles ont les capacités affaiblies ou ont des enjeux de comportement, indiquent les documents juridiques consultés par La Presse.

Malgré tout, la Ville s’est dotée de règlements municipaux interdisant à toute personne de dormir « sur les rues, trottoirs, parcs, terrains de jeux ainsi qu’à toute autre place publique », peut-on lire.

En 2022, la municipalité a aussi interdit l’érection de campements à toute autre fin que récréative. Depuis, les campements des personnes en situation d’itinérance sont régulièrement démantelés, dénoncent des intervenants et personnes itinérantes du milieu cités par le recours.

Incarcérés pour amendes impayées

C’est la Clinique juridique itinérante (CJI) qui mène la bataille juridique pour faire invalider ces règlements municipaux qui, selon elle, contreviennent aux droits fondamentaux des personnes en situation d’itinérance.

En plus des démantèlements et du manque de ressources, la CJI déplore que plusieurs sans-abri jérômiens aient été incarcérés après qu’ils eurent été incapables de payer des amendes reçues en contravention des règlements municipaux.

Ces amendes vont de 150 $ pour une première infraction à plusieurs milliers de dollars.

La CJI est l’organisme de défense de droit qui a défendu les campeurs sous l’autoroute Ville-Marie à Montréal, en 2023. Ces derniers ont finalement été évincés en juillet pour permettre des travaux du ministère des Transports, après plusieurs mois de sursis.

Lisez « Autoroute Ville-Marie : le campement de sans-abri démantelé »

Les règlements municipaux à Saint-Jérôme « mettent la vie, la liberté et la sécurité [des personnes sans-abri] en danger d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale », indique la CJI dans son action juridique.

Ni la CJI ni le maire de Saint-Jérôme, Marc Bourcier, n’ont voulu commenter le dossier jeudi étant donné les procédures judiciaires en cours.

La Ville critiquée par le passé

Ce n’est pas la première fois que la Ville de Saint-Jérôme est critiquée pour sa gestion de l’itinérance.

Les personnes sans domicile fixe y sont victimes de maltraitance systémique et organisationnelle, si l’on en croit un rapport du Centre d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (CAAP) des Laurentides, ainsi que le rapportaient des médias locaux à la fin septembre. Selon ce rapport, il y aurait des dizaines de sans-abri dans les rues de la ville qui ne cadrent pas dans les ressources existantes.

Le rapport s’appuie sur des entrevues avec les gens de la rue, des policiers, des intervenants sociaux et du personnel du CISSS des Laurentides.

Le dossier a été déposé au Protecteur du citoyen, rapportait alors une journaliste du réseau CIME.

Dans une entrevue accordée à la même journaliste fin novembre, le maire de Saint-Jérôme, Marc Bourcier, a défendu le modèle de lutte contre l’itinérance de la ville. « Il n’y a pas de campements à Saint-Jérôme, on ne veut pas de campement dans les parcs, pour des questions de sécurité », a-t-il notamment assuré.

L’exemple de l’Ontario ?

À la fin du mois de janvier 2023, un juge ontarien a statué qu’il était inconstitutionnel d’empêcher une personne de vivre à l’extérieur s’il n’y avait pas d’endroit accessible et disponible à l’intérieur.

La décision a empêché la région de Waterloo d’expulser une cinquantaine de personnes vivant sur un terrain vague. En raison du manque de places en refuge, le règlement local contrevenait aux droits fondamentaux des sans-abri, a statué ce juge.

« Il y a fort à parier qu’en cas de contestation, la Cour supérieure arriverait à une conclusion similaire à celle de l’Ontario [et, précédemment, de la Cour d’appel de Colombie-Britannique] », avait alors indiqué à notre chroniqueur la professeure du département de sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Lucie Lamarche.

Lisez la chronique « Planter sa tente à Montréal pour de bon ? »