La vie d’une fillette de 3 ans a été transformée par une délicate opération au cerveau. Un avenir sombre l’attendait. La voilà plutôt qui rit, qui babille et qui se promène partout. Voici son histoire.

La première fois que le DAris Hadjinicolaou a vu Élizabeth, elle ne souriait pas, elle ne parlait pas, elle ne bougeait pas, elle n’établissait pas de contact visuel. « Les parents avaient perdu leur fille », résume le neurologue.

Élizabeth Gosselin aura 3 ans le lendemain de Noël. C’est une fillette bavarde, souriante et extrêmement charismatique. Pendant que sa maman nous raconte les montagnes russes qu’a été sa courte vie – « elle a vécu plus de choses que tout le reste de la famille » –, la petite fait des allers-retours sur son déambulateur dans un couloir de l’hôpital Sainte-Justine en babillant. « Mamie ! Maman ! Merci ! Bienvenue ! »

Rien à voir avec l’enfant décrite par le DHadjinicolaou.

Élizabeth est née prématurément le 26 décembre 2020 au terme d’une grossesse « parfaite », dit sa mère, Laurianne Taillefer-Bilodeau. À l’hôpital de Saint-Eustache, les médecins ont constaté que les intestins de la fillette étaient à l’extérieur de son abdomen. Elle a été transférée au centre hospitalier Sainte-Justine à Montréal pour y être opérée. Jusque-là, rien ne laissait présager un autre problème. C’est pendant des tests postopératoires que l’équipe médicale s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas.

Le bébé avait des taches au cerveau. Diagnostic : accident vasculaire cérébral périnatal. Sur le coup, les parents n’ont pas compris l’ampleur de la situation.

Les AVC, qui surviennent lors d’une rupture ou du blocage d’une artère du cerveau, ne sont pas si rares chez les nouveau-nés, explique le DHadjinicolaou. En fait, c’est dans les 24 premières heures de vie que l’être humain risque le plus d’en souffrir. Mais souvent, précise le médecin, les séquelles sont légères.

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Laurianne Taillefer-Bilodeau regarde sa petite Élizabeth s’amuser dans un couloir de l’hôpital Sainte-Justine.

À sa sortie de l’hôpital, plus de deux mois après la naissance d’Élizabeth, la famille ne savait pas trop à quoi s’attendre. « Ils nous avaient dit qu’elle avait le côté gauche semi-paralysé. Ils ne savaient pas si elle allait marcher. Ils nous avaient aussi prévenus qu’elle ferait peut-être de l’épilepsie. »

Le vertige

Laurianne était à la maison quand elle a remarqué que les yeux d’Élizabeth « partaient par en arrière » pendant quelques secondes. « Puis le bras s’est mis à suivre. Puis ç’a été la jambe. » La fillette s’est mise à faire 20 crises par jour. Une tempête perpétuelle dans son cerveau dont les conséquences étaient gravissimes allait jusqu’à entraîner une régression motrice, sociale, verbale. « Si on ne traite pas, il peut y avoir des effets irréversibles », explique le DHadjinicolaou.

C’est ce qui arrivait à sa patiente lorsqu’il l’a rencontrée, il y a un an environ. La petite avait essayé plusieurs médicaments, mais rien ne fonctionnait.

Non seulement les crises l’empêchaient de progresser, mais elles la faisaient aussi reculer. Une vie sans contacts sociaux, sans communication, verbale ou non, sans capacité de se déplacer ou de faire des mouvements volontaires l’attendait.

À la maison, les choses étaient particulièrement difficiles, confie sa mère, qui a dû démissionner de son travail pour s’occuper de sa fille. « J’ai eu des hauts et des bas, mais j’ai été beaucoup à terre. »

Le DHadjinicolaou a alors parlé à la famille d’une intervention aussi rare qu’étourdissante : une hémisphérectomie. Simplement dit, il proposait de déconnecter la moitié droite du cerveau, celle qui a subi l’AVC et qui causait les crises d’épilepsie. Il se fait une dizaine de ce type d’interventions par année dans tout le Québec, presque toujours chez des enfants, dont la plasticité du cerveau permet une meilleure récupération.

Laurianne se souvient du vertige dont elle a été saisie. Sa mère, Grayce Bilodeau, a eu le même sentiment. La mamie accompagne sa fille et sa petite-fille à tous les rendez-vous médicaux. « On avait peur qu’elle meure », souffle-t-elle.

Le 16 octobre, les Gosselin-Taillefer-Bilodeau sont arrivés à Sainte-Justine aux aurores. Laurianne n’oubliera jamais l’image de sa fille qui s’éloigne dans les bras d’une infirmière vers la salle d’opération.

Ni celle, plus de 12 heures après, d’une Élizabeth si petite dans son lit, branchée de partout, un drain lui sortant de la tête.

Près d’une trentaine de soignants ont participé, de près ou de loin, à l’intervention, coordonnée par le DHadjinicolaou et son collègue neurochirurgien Alexander Weil.

L’espoir

Deux mois plus tard, les progrès sont impressionnants. « C’est une autre petite fille », dit sa mamie Grayce.

La veille de l’entrevue, la bambine s’était levée seule sur sa jambe droite, sur le sofa. Une énorme victoire. Elle se déplace en déambulateur, en poussant avec cette même jambe.

Elle répond merci lorsqu’on lui donne quelque chose, et insiste pour qu’on lui dise « bienvenue » quand elle nous remercie. Mieux encore, elle a commencé à combiner deux mots pour s’exprimer.

Elle a aussi commencé à lever son bras gauche, ce qu’elle ne faisait pas avant.

Elle n’a plus de spasmes.

Mais surtout, elle a gagné une légèreté qu’elle n’avait pas avant. « Elle ne pouvait pas nous le dire, mais avec toutes ses crises, elle ne devait vraiment pas être bien », croit Laurianne.

Jusqu’où peut-elle progresser ? « C’est difficile à dire. Elle a vécu avec des séquelles pendant plusieurs années, répond le DHadjinicolaou. Mais elle a une famille qui se donne à 1000 %. Ils font tout ce qui est faisable. Alors elle va pouvoir atteindre son potentiel maximum de développement. »

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Élizabeth avec sa mère, Laurianne, et sa grand-mère, Grayce Bilodeau

« Laurianne est tellement dévouée, renchérit Grayce Bilodeau. Elle sacrifie tout pour sa fille. »

Élizabeth est suivie en orthophonie, en ergothérapie, en physiothérapie, en neuropsychologie, en éducation spécialisée et en neurologie. Pour ne nommer que ça.

La fillette étonne déjà. Elle aurait dû perdre un champ visuel complet après l’opération, les deux moitiés du cerveau étant chacune responsable d’une partie de la vision. Ce n’est pas arrivé. La fonction avait vraisemblablement migré dans la moitié saine. « Lorsque [un AVC] arrive si tôt dans la vie, les choses se déplacent dans le cerveau », explique le neurologue traitant.

Pour la famille, l’espoir est permis.

Sa mère souhaite à son « Élie » de marcher. « Mais surtout, je veux que sa vie soit facile. »

Ce que sa mamie espère, c’est « que les différences continuent d’être mises de l’avant » dans la société pour que sa petite-fille ne soit pas stigmatisée. « Elle va aller à l’école. On sait que les enfants, ça peut être méchant. Je remarque que même les adultes la regardent différemment quand on sort, quand on va au restaurant. On s’inquiète », dit Mme Bilodeau.

Elle ajoute : « Je suis fière d’où elle est rendue. »

En savoir plus
  • 1 sur 2300
    Au Canada, 1 nouveau-né sur 2300 subit un AVC. Cela signifie que de 200 à 300 enfants canadiens en subissent un chaque année.
    Source : Fondation des maladies du cœur et de l’AVC