Vous êtes-vous déjà cassé un os ? Ça fait mal, n’est-ce pas ? Imaginez subir 157 fractures dans les 24 premières années de votre vie.

« S’il y a bien une personne qui m’inspire dans la vie, c’est moi. »

Jani Barré a des os de verre. C’est la façon simple de dire qu’elle est atteinte de l’ostéogenèse imparfaite (OI), « une maladie génétique rare et permanente qui empêche la formation des os solides », selon l’hôpital Shriners de Montréal, pionnier dans la recherche sur l’OI.

« Je me suis cassé les jambes une cinquantaine de fois, les bras une cinquantaine de fois. Je me suis fracturé le cou au moins 20 fois. Ça, c’est dangereux. C’étaient des niaiseries : parfois, je faisais juste tourner le cou trop vite, et clac ! »

Aujourd’hui, à 44 ans, Jani Barré pratique la boxe – oui, oui ! Plus fascinant encore : elle est la première femme au Canada à avoir réalisé un marathon en fauteuil roulant standard. Pour tout dire, elle a terminé neuf marathons à travers le monde ; il ne lui en manque qu’un pour atteindre l’objectif de dix qu’elle s’était fixé. À celui de Londres, en avril 2024, elle entend faire son entrée dans le Livre Guinness des records.

Ces exploits, Barré les a réalisés grâce à sa résilience. Une résilience telle qu’elle mérite qu’on s’y attarde…

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Jani Barré est originaire de Saint-Hyacinthe. « Je connais tout le monde ici ! », nous lance-t-elle pendant notre promenade rue des Cascades, au centre-ville. Pendant qu’elle roule à bord de son fauteuil vers le café Van Houtte, quelques passants la saluent.

« Salut, Jani ! Ça va ? », lui lance une dame.

« Numéro un ! »

C’est probablement ce qui est le plus frappant, chez Jani Barré : sa joie de vivre et son positivisme. Deux qualités qu’elle aurait très bien pu perdre au fil des années…

L’histoire de Jani Barré commence quand elle voit le jour, le 24 juillet 1979. « Félicitations ! Vous avez un beau bébé en parfaite santé ! », dit le médecin aux parents.

« Mes parents m’ont ramenée normalement. Je braillais, ma fille ! Mon père dit qu’il faisait des jokes avec ça. Il avait même dit en blague à ma mère : “Mon Dieu, on n’est pas chanceux, on n’a pas une enfant ben ben sociable, elle est braillarde !” », raconte la Maskoutaine.

La petite Jani hurlait tellement que ses parents ont décidé, au bout de quelques mois, de retourner à l’hôpital. Des radiographies ont permis de constater que la fillette souffrait de diverses fractures.

Direction hôpital Sainte-Justine, où les médecins ont rapidement mis le doigt sur le problème : l’enfant était atteinte de l’ostéogenèse imparfaite.

Autrement dit, les parents avaient entre les mains un bébé en porcelaine. « Les médecins ont dit : “Votre enfant se casse à rien” », dit Jani, relatant ce que ses parents lui ont raconté.

C’était le début d’une enfance marquée par beaucoup de souffrance et de visites à l’hôpital, mais aussi beaucoup d’amour.

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La petite Jani se fracturait un ou deux os par semaine, parfois plus. « Ce n’est même pas une expression : j’ai passé la moitié de ma vie à l’hôpital. »

« Bébé, je me cassais toute seule dans ma bassinette. […] Ma mère a été obligée de tout barricader avec des oreillers. »

À 3 ans, on lui a inséré des tiges de métal dans les tibias ; elle a passé une année complète couchée sur le dos, les jambes attachées dans les airs.

Jusqu’à 10 ans, Jani était « en mode survie ». Si elle tombait en marchant, elle se fracturait un membre. Si bien que dès la maternelle, elle s’est retrouvée en fauteuil roulant.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jani Barré

C’était une sécurité de m’asseoir dans une chaise. Quand j’ai commencé l’école, à cause des assurances, il fallait que je sois assise et attachée pour qu’il ne m’arrive rien.

Jani Barré

« Quand j’étais au primaire, un hiver, j’étais à l’école, j’avais une tuque sur la tête. Il y a un petit garçon qui voulait me faire une petite joke ; il voulait juste me cacher les yeux avec ma tuque. Il m’a cassé le cou. »

Il demeure que Jani Barré était une enfant souriante, avec une belle attitude malgré tout. Et ça, insiste-t-elle, elle le doit à ses parents, qui ont toujours été « extrêmement positifs ». « J’ai été chanceuse, merci la vie », laisse-t-elle tomber.

À l’âge de 5 ans, Jani a été transférée à l’hôpital Shriners de Montréal, un endroit « extraordinaire ». Là-bas, elle s’est fait plusieurs amis vivant avec le même problème de santé qu’elle. « Ma gang, c’étaient eux. »

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La frustration est venue en vieillissant. À 12 ans, Jani n’était plus en mesure de se lever de son lit sans se fracturer une clavicule. C’est à ce moment-là qu’elle a exprimé à ses parents son désir de mourir.

Ses parents ont rendu visite à son médecin, à l’hôpital Shriners. Ça tombait bien, parce que l’établissement de santé venait tout juste d’essayer un nouveau traitement sur une souris aux os fragiles ; les résultats étaient positifs. Les parents de Jani, n’ayant rien à perdre et tout à gagner, ont donc accepté que leur fille soit cobaye.

Jani a rencontré la souris en pleine santé, qui courait vite dans sa roue. « As-tu le goût de lui ressembler ? », lui a demandé son médecin. Cette souris, affirme Jani, a été sa première idole.

Le traitement, qui lui était injecté par intraveineuse chaque jour pendant trois jours, une fois par mois, faisait augmenter la densité osseuse de Jani. Ç’a duré huit ans.

« Là, je suis super fière de te dire pourquoi j’ai arrêté d’en prendre après huit ans : c’est parce que j’ai touché la ligne de la normalité. »

Le traitement a permis d’épaissir le contour de ses os, même si ceux-ci sont toujours vides à l’intérieur. « Il faut vraiment un plus gros coup avant que je passe à travers. »

Aujourd’hui, Jani est fière de nous annoncer qu’elle célèbre 20 ans sans fracture.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jani Barré

Inspirer le plus de gens possible

Jani Barré a toujours adoré le sport, « ça bouillonne en dedans », même si elle est limitée dans ce qu’elle peut faire. Son père, Bernard Barré, baigne dans le milieu de la boxe au Québec depuis de nombreuses années.

« Depuis que j’ai 5 ans que mon père m’emmène voir de la boxe. Il collait mon petit fauteuil roulant sur le bord du ring. »

Quand ses os ont atteint le seuil de la « normalité », Jani a fait ce qu’elle avait toujours rêvé de faire : pratiquer la boxe. Son père faisait office d’entraîneur. « Tranquillement, il m’a montré à donner des coups sur les sacs. Je ne tapais pas fort ! »

Petit à petit, la sympathique femme a bâti des muscles autour de ses os. Ça lui a pris deux ans avant qu’elle ne fasse un combat dans un ring ; c’était le premier combat de boxe québécois impliquant deux femmes en fauteuil roulant.

C’était un combat inspirant plus qu’autre chose. Moi, j’allais là pour inspirer, pour démontrer que, même en fauteuil roulant, on peut boxer.

Jani Barré

À ce jour, Jani a pris part à trois duels.

Avec sa maladie, Jani Barré a tout vécu à retardement. Sa crise d’adolescence est arrivée vers la trentaine. Elle s’est mise à consommer drogues, cigarettes et alcool en grande quantité. C’était un peu comme sa « révolte ». « Je n’étais pas malade de ma maladie. J’étais malade dans ma tête », résume-t-elle en pointant sa tempe.

Elle est maintenant complètement sobre depuis le 8 septembre 2014. Et l’écriture de son livre 157 fractures : Histoire vraie, en collaboration avec son père, lui a ensuite permis d’accepter. Accepter tout ce qu’elle est et ce qu’elle a vécu.

Et puis il y a les marathons.

Petit saut dans le temps. En 2010, Jani avait commencé à rouler des 5 km, puis des 10 km, jusqu’à réussir des demi-marathons. C’est en 2018 qu’elle a terminé son premier marathon, devenant la première Canadienne à réussir pareil exploit en fauteuil roulant standard.

« Parfois, il y a des gens qui me disent : “Jani, tu n’aimerais pas ça avoir un vélo qui roulerait plus vite, une roue en avant ?” Si je fais ça, il est où, mon défi personnel ? »

Son premier marathon était celui de Montréal. Alors qu’il ne lui restait que trois kilomètres, elle a décidé que ce serait le début de quelque chose. Son premier marathon de 10 à travers le monde.

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Jani Barré au marathon de Montréal en 2018

La vie m’a mise en fauteuil roulant et ça adonne bien, j’aime ça rouler !

Jani Barré

Ce qu’il faut savoir, c’est que Jani possède la moitié moins de souffle qu’une personne dite « normale » ; à l’âge de 16 ans, elle a subi une opération importante parce que son corps était trop affaissé en raison de la mollesse de ses os. Aujourd’hui, elle est complètement redressée grâce aux tiges de métal qui lui ont été installées, mais son souffle est encore affecté.

Jani a terminé neuf marathons depuis 2018 ; Montréal, Las Vegas, Ottawa, La Havane, Miami, Los Angeles, Honolulu, Paris et New York. Le 21 avril 2024, elle fera celui de Londres.

Elle est d’ailleurs toujours à la recherche active de grands commanditaires pour la soutenir.

Même quand elle aura atteint son objectif, Jani entend bien continuer à faire des marathons tant et aussi longtemps que sa santé le lui permettra. « Bien honnêtement, les marathons me sauvent la vie », laisse-t-elle tomber.

« Si je ne casse plus présentement, c’est parce que je suis super sportive. »

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Quand on a joint Jani Barré au téléphone pour planifier l’entrevue, quelques jours avant notre rencontre, sa joie était vive. C’est que l’athlète au parcours atypique a un grand désir : celui d’inspirer.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jani Barré

Ma mission, c’était de traverser tout ce que j’avais à traverser. Mais mon intention de vie, c’est d’inspirer le plus de gens possible.

Jani Barré

« Même dans mes marathons, ce qui est beau, c’est que j’en motive toute une gang en arrière. Qu’importe où je vais, ils sont plusieurs derrière à courir et à se dire : “Ce n’est pas une p’tite fille en chaise roulante qui va me dépasser certain.” »

Voilà près d’une heure trente qu’on discute avec celle qui est aussi conférencière depuis sept ans. Le café s’est vidé petit à petit. En fin d’entrevue, la Maskoutaine nous parle d’une citation écrite par son père et qu’elle porte aujourd’hui sur son corps. Elle va comme suit : « La force de l’esprit aura toujours préséance sur son enveloppe terrestre. »

« C’est la meilleure citation qui peut me décrire, continue-t-elle. Tout est dans la tête. Oui, je m’entraîne, mais j’ai les os vides. Si je suis capable de faire ça, tu es capable de faire ça. »

Tenez-vous-le pour dit.