Des unités débordées, des patients éprouvés, des soins de santé mentale sous-financés : l’audience publique sur le suicide d’Amélie Champagne a jeté une lumière crue sur les conditions difficiles qui perdurent dans les urgences psychiatriques.

L’histoire jusqu’ici

11 septembre 2022

Amélie Champagne, une étudiante montréalaise de 22 ans, met fin à ses jours peu après avoir visité deux urgences psychiatriques et fait une première tentative de suicide. Elle souffrait depuis des années de multiples symptômes rappelant ceux de la maladie de Lyme.

27 septembre 2022

La coroner en chef du Québec ordonne une enquête publique, qui sera présidée par MJulie-Kim Godin.

11 décembre 2023

La première semaine d’audiences publiques débute au palais de justice de Montréal avec les témoignages de la famille de Mme Champagne.

14 décembre 2023

Des psychiatres de trois hôpitaux de Montréal et de Sherbrooke témoignent de la situation difficile qui règne, encore à ce jour, dans les soins de santé mentale au Québec.

« On essaie par tous les moyens d’éviter ce que j’appelle un traumatisme hospitalier », a résumé jeudi le DStéphane Proulx, chef de l’urgence psychiatrique de l’hôpital Notre-Dame, à Montréal.

Le DProulx a fourni cet éclairage personnel en réponse aux questions de la coroner Julie-Kim Godin.

Le 8 septembre 2022, l’urgence psychiatrique du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), où Mme Champagne avait été amenée après une première tentative de suicide, a demandé son transfert à Notre-Dame, qui dessert le territoire où résidait l’étudiante de 22 ans.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE LINKEDIN D’ALAIN CHAMPAGNE

Amélie Champagne

Ce jour-là toutefois, les 10 lits et les 2 places de débordement de l’urgence psychiatrique montréalaise étaient occupés, et 5 autres patients psychiatriques se trouvaient sur civière à l’urgence générale qui, elle, était occupée à 137 %. Des conditions « pas acceptables » pour les patients psychiatriques « qui sont en jaquette d’hôpital à travers ce dédale qu’est l’urgence de Notre-Dame » alors qu’ils ont « besoin de conditions propices » à l’évaluation et à l’observation.

Je parle de traumatisme parce que moi, si j’étais en jaquette avec des pantoufles bleues sur certaines unités, je serais traumatisé. Je pense qu’il faudrait me mettre en isolement !

Le DStéphane Proulx, chef de l’urgence psychiatrique de l’hôpital Notre-Dame

Notre-Dame a donc accepté le transfert de Mme Champagne, mais a demandé un délai, à revoir le lendemain. Une demande de délai « comme [il en a] fait encore ce matin », a affirmé le DProulx jeudi, en précisant que « ce n’est pas rare que ça s’étire jusqu’à 72 heures ».

Mme Champagne a toutefois obtenu son congé du CHUS le lendemain, de sorte que la question du transfert ne se posait plus.

Une salle d’urgence « fébrile »

Lorsque la jeune femme est arrivée au CHUS le 7 septembre 2022, elle venait de tenter de se noyer dans le lac Magog, et n’arrivait pratiquement pas à dormir depuis plus d’une semaine. Mais elle n’a pas trouvé l’urgence psychiatrique reposante non plus, et appelait ses parents plusieurs fois par jour en les suppliant de la sortir de là.

« C’était une salle d’urgence fébrile, beaucoup de patients qui avaient fait beaucoup de crises durant la nuit », a confirmé le DKhashayar Asli, qui était responsable de ce service le 8 septembre 2022. Il a néanmoins réussi à convaincre Mme Champagne d’y rester, compte tenu de son risque suicidaire.

La situation n’était pas nouvelle. Cette urgence psychiatrique de 6 places a déjà eu « plus de 20 à 25 patients […] sur civière, sur des chaises, en attente ». Mais avec la pandémie, le nombre de patients psychiatriques pouvant se trouver dans cette zone sécurisée a été limité à 12, les autres se retrouvant à l’urgence générale. Le personnel doit donc décider « quel patient ne nécessite pas de surveillance constante, […] n’est pas à risque de fuir, […] n’est pas à risque d’agressivité ».

Si le CHUS a demandé que Mme Champagne soit transférée, donc hospitalisée, près de son lieu de résidence, à Montréal, c’est en raison de l’importance de « la continuité des soins », dont les rendez-vous avec les médecins et les autres professionnels ou services après la sortie, a expliqué le DAsli. « Il faut comprendre qu’en psychiatrie, l’hospitalisation, c’est une infime partie des soins. »

« Sous-financement majeur des services »

La jeune femme a finalement quitté le CHUS le 9 septembre. Ses parents ont néanmoins repris espoir, car son père a réussi, par l’entremise d’un contact, à obtenir qu’elle soit vue au CHUM, à Montréal, au début de la semaine suivante.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Les parents d’Amélie Champagne, vendredi, lors de l’enquête publique sur la mort de leur fille

« Compte tenu de l’information que j’avais à ce moment-là […], il me semblait absolument tout à fait légitime d’avoir accès à une évaluation en bonne et due forme. […] C’est pourquoi j’avais offert à Madame et son père de mobiliser des énergies, des efforts », a expliqué le chef du département de psychiatrie du CHUM, le DDidier Jutras-Aswad, à la coroner jeudi.

Cette évaluation n’a finalement pas eu lieu, car Mme Champagne a mis fin à ses jours le dimanche 11 septembre. Le DJutras-Aswad, qui lui avait seulement parlé au téléphone, n’a donc pas voulu s’avancer sur un diagnostic lors de son témoignage. Il en a cependant profité pour dénoncer « le sous-financement majeur des services » en santé mentale et en dépendance, « un contexte où il est extrêmement difficile de bien faire [le] travail ».

Quand on regarde le poids de ces problématiques-là sur la population, qu’on regarde le financement, il n’est absolument pas proportionnel !

Le DDidier Jutras-Aswad, chef du département de psychiatrie du CHUM

L’hôpital Notre-Dame verra toutefois « une avancée majeure » au début de l’année prochaine, avec l’ajout d’une unité d’hospitalisation brève qui offrira de la thérapie comportementale, a souligné le DProulx.

Deux autres services ont également été implantés à Notre-Dame dans les derniers mois. L’équipe mobile de crise peut assurer le suivi entre le moment où un patient reçoit son congé de l’urgence psychiatrique et celui où il est pris en charge à l’externe. Et l’équipe de « l’hôpital à domicile » se rend chez des patients plusieurs fois par jour afin de mettre en œuvre leur plan de traitement à domicile « pour éviter le plus possible le traumatisme hospitalier », a expliqué le DProulx.

« Il y a certainement des efforts de rattrapage qui sont faits, mais on part de tellement loin ! », a néanmoins souligné le DJutras-Aswad, du CHUM.

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Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553)

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