Les écoles se rabattent trop sur les dessins animés, films et jeux vidéo pour occuper ou récompenser les élèves – qui se voient déjà exposés aux écrans à outrance –, s’inquiètent plusieurs comités de parents.

« Comme parents, on ne s’attend pas à ce que nos enfants se fassent garder par une tablette électronique, plaide la présidente de la Fédération des comités de parents du Québec, Mélanie Laviolette. Ça doit rester exceptionnel, mais mes propres enfants m’ont dit qu’ils avaient vu le même film six fois dans une année ! »

Des écoliers se trouvent postés à toutes sortes d’occasions devant des films ou des plateformes de jeux. En classe. À la collation ou au dîner. À la récréation quand il pleut. Puis au service de garde.

« Est-ce que ça prendrait un grand mouvement des différents comités de parents ? », s’interroge Mme Laviolette, qui aimerait sonder ses délégués régionaux cet automne.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Mélanie Laviolette, présidente de la Fédération des comités de parents du Québec

Pour l’instant, suggère-t-elle, les parents inquiets peuvent « envoyer un petit courriel pour ouvrir le dialogue avec le titulaire de leur enfant. Ça peut avoir beaucoup d’effet ».

Prié d’intervenir par son propre regroupement de comités de parents, qui a adopté une résolution l’an dernier, le Centre de services scolaire (CSS) des Bois-Francs s’est tourné vers le CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, pour qu’il l’aide à concevoir un guide intitulé L’utilisation du numérique en loisirs ou récompense, est-ce un bon choix ?.

Mis en ligne le 24 octobre, ce document basé sur la recherche rappelle au personnel des écoles comment et pourquoi la surexposition au numérique se révèle néfaste et lui suggère de favoriser le dessin, le bricolage, les jeux de société, la lecture, le sport, etc.

La directrice générale adjointe du CSS des Bois-Francs, Marylène Plante, confirme qu’un coup de barre s’imposait. « On voulait vraiment une diminution de l’utilisation des écrans comme divertissement ou récompense. […] [Le personnel] doit se coordonner pour faire en sorte que l’élève ne soit pas exposé de façon intense pendant deux jours. »

« Avant, au service de garde, il y avait peut-être une petite tendance à amener automatiquement les élèves à l’informatique les jours de pluie, dont le midi. Là, c’est limité. Et quand une personne doit faire de la suppléance à la dernière minute, sans planif, les directions d’école peuvent lui fournir des outils pour ne pas aller vers l’écran. Les élèves ont déjà vu tous les films, alors ils trouvent ça plate ! Ils préfèrent les activités interactives avec l’enseignant. »

Trois films un vendredi

D’autres centres de services scolaires ont demandé à obtenir le guide des Bois-Francs, indique Mme Plante.

Étienne Bergeron, qui enseigne l’univers social, s’en réjouit, car des parents lui écrivent de partout depuis qu’il combat publiquement la surexposition aux écrans.

Plusieurs enfants voient jusqu’à trois films le vendredi. Certains ont même écouté Les Boys en éducation physique au lieu de bouger !

Étienne Bergeron, enseignant en univers social

Découvrir que des élèves ont accès à des plateformes anglophones de jeux rudimentaires – comme www.friv.com et y8.com – trouble encore plus l’enseignant de Warwick. « J’y vois zéro valeur pédagogique, et pourtant, c’est commun, parce que les jeunes placés devant un écran ne se bousculent pas et ne dérangent pas. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

L’enseignant Étienne Bergeron

Or, après 15 à 20 minutes d’interaction ludique avec un écran, « un pic de sevrage » de dopamine peut survenir à l’arrêt, prévient le guide des Bois-Francs. L’élève devient alors plus irritable et impulsif, tout en étant moins attentif, et il décroche par conséquent de son apprentissage ou du lien avec l’adulte.

Le cumul d’intermèdes semblables est encore plus nuisible, ajoute Sandrine Fortin, agente de recherche au CIUSSS.

On sous-estime les retombées psychologiques et physiques de la surexposition et ses symptômes, comme des maux de tête. Il faut considérer ce qui se passe à la maison, dans l’autobus et à l’école pour ne pas dépasser les limites recommandées.

Sandrine Fortin, agente de recherche au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec

Après avoir consulté des dizaines d’experts, le ministère de la Santé et des Services sociaux a conclu que les milieux éducatifs doivent « éviter d’utiliser les écrans comme récompenses ou pendant une activité comme la collation ». Il le précise dans la « Stratégie québécoise sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes 2022-2025 », où il annonce la publication d’un cadre de référence qui balisera cet usage selon l’âge, afin de « réduire les risques ».

« Il est trop tôt pour s’avancer davantage sur le contenu » de ce cadre, nous a écrit un porte-parole du Ministère. Il renvoie plutôt à d’autres guides, qui indiquent qu’utiliser les écrans pour calmer les enfants ou les récompenser « peut compromettre le développement de la régulation de leurs émotions ». Et que la distraction qu’ils occasionnent à table « peut enfreindre les capacités à être à l’écoute de ses signaux de faim et de satiété ».

Le ministère de l’Éducation n’a pas répondu à nos questions.

« Il faut faire confiance à nos enseignants »

Les deux grandes fédérations syndicales qui représentent les enseignants du secteur public ne contestent pas l’adoption de guides sur les écrans, à condition qu’ils ne briment pas l’autonomie professionnelle.

« Il peut y avoir 100 bonnes raisons pédagogiques de mettre un film, alors on ne peut pas porter un jugement sans connaître le contexte », affirme Annie Primeau, vice-présidente à la vie professionnelle à la Fédération autonome de l’enseignement.

« Un tas d’apprentissages sociaux importants se font autour des activités ludiques. Montrer un film un vendredi et en reparler le lundi, ça fait travailler le langage et la mémoire. Et quand tout le monde n’est pas assis à son petit bureau, dans son petit “territoire”, l’enfant apprend à ne pas déranger ou cacher ses copains. »

Même son de cloche à la Fédération des syndicats de l’enseignement. « Il faut faire confiance à nos enseignants, déclare sa présidente, Josée Scalabrini. Même un jeu vidéo comme récompense peut être utile pédagogiquement parlant, s’il motive le jeune à bien travailler. »

Consultez le nouveau guide du CSS des Bois-Francs Consultez la résolution du comité de parents de ce CSS
En savoir plus
  • 2021 : 44 % 2022 : 45 % 2023 : 39 %
    Proportion de parents ayant répondu que le temps d’écran de leur enfant représentait l’un de leurs plus grands défis
    Sondage Léger marketing réalisé pour la Fédération des comités de parents du Québec
    Moins de 1 heure par jour pour les 2 à 5 ans. 2 heures par jour pour les 5 à 17 ans
    Temps maximal d’écran de loisirs, peu importe le lieu
    Société canadienne de pédiatrie et Société canadienne de physiologie de l’exercice