Aux prises avec un fort engouement dès ses débuts avec des files interminables devant ses magasins, la Société québécoise du cannabis (SQDC) se réjouit de constater qu’elle fait maintenant « partie du paysage québécois ». Entrevue avec le président-directeur général par intérim, Robert Dalcourt, et la vice-présidente, responsabilité sociale, protection de la santé et communication, à la SQDC, Éliane Hamel, cinq ans après la légalisation du cannabis.

Cinq ans après le début de la vente libre de cannabis à la grandeur du Québec, quel bilan faites-vous de cette période charnière ?

Éliane Hamel (E. H.) : Je m’en souviens, en 2018, il y avait des craintes, les gens étaient inquiets. Est-ce qu’il va se consommer plus de cannabis au travail ? Est-ce que ça va être la débandade ? Est-ce que ça va sentir le cannabis partout dans les immeubles de logements ? Cinq ans plus tard, on se rend compte que l’apocalypse annoncée ne s’est pas avérée. Les choses se sont bien passées, puis la SQDC fait maintenant partie du paysage québécois.

Le tabou entourant la consommation du cannabis s’est adouci ?

Robert Dalcourt (R. D.) : Oui, ça s’est adouci beaucoup. Il y en a encore, mais beaucoup moins.

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Le président-directeur général par intérim de la SQDC, Robert Dalcourt, et la vice-présidente, responsabilité sociale, protection de la santé et communication, Éliane Hamel

E. H. : On le voit dans des sondages annuels que l’on fait, 78 % de la population du Québec se dit à l’aise avec le modèle québécois de distribution de cannabis. Il faut se rappeler qu’au Québec, c’est 20 % de la population que l’on estime qui consomme du cannabis occasionnellement ou de façon plus régulière. Mais presque 80 % de la population qui est à l’aise avec la façon dont on fait les choses. Je pense que c’est un beau portrait qu’on a.

Petit à petit, de nouveaux produits apparaissent sur les tablettes de la SQDC, plus récemment le hachich et la résine. Pensez-vous atteindre une limite en ce qui a trait à ce que vous pourrez vendre, par exemple, des vapoteuses ?

R. D. : C’est sûr que le marché évolue et qu’on doit évoluer aussi, mais on a toujours notre côté protection de la santé. Donc, oui, il y a des choses qui existent ailleurs au Canada qu’on n’a pas ici : les fameux comestibles, les jujubes et les chocolats. Quant aux vapoteuses, on a un avis du directeur de la santé publique du Québec qui nous dit que ce n’est pas bien pour la santé. Donc, pour l’instant, on ne peut pas aller à l’encontre de cet avis.

Quelle est la stratégie à long terme pour concurrencer les sites illégaux où beaucoup de Québécois s’approvisionnent (21 % des consommateurs de cannabis dans la dernière année) ?

R. D. : Beaucoup de gens ne savent pas que s’ils se retrouvent sur des sites de vente de cannabis autres que sqdc.ca, ce sont automatiquement des sites illégaux. Il n’y a pas grand-chose que l’on peut faire pour l’instant là-dessus. Sur la question du vapotage, c’est une situation qui est préoccupante, on le voit comme tout le monde. Maintenant, quelle est la solution appropriée ? On n’est pas l’organisation qui va prendre ces décisions-là. Il faut qu’il y ait une réflexion du côté des experts en santé publique.

Comment diriez-vous que vos clients ont évolué depuis cinq ans ?

E. H. : En 2018, quand on a ouvert, les gens étaient curieux. Ils voulaient juste voir quel genre de produit on allait offrir. Ils venaient acheter du cannabis. En cinq ans, le consommateur s’est raffiné. Ses questions vont être plus sur le produit, sur la plante, la souche, les niveaux de terpènes, etc. Il y a une discussion qui s’amorce avec les conseillers, qui est différente du début.

Est-ce que cela amène des changements dans le choix des produits ?

E. H. : Avec quelques années de recul, on est plus à même d’identifier ce que les clients recherchent. Sachant cela, on est plus en mesure d’exprimer nos besoins. Donc, deux fois par année, on fait un appel de produits en établissant certains attributs en termes de format, de catégories, de souches, etc. Puis les producteurs nous soumettent leurs produits.

R. D. : Au début, on avait seulement six fournisseurs alors qu’aujourd’hui, on en a une cinquantaine, dont à peu près un sur deux vient du Québec. D’avoir une gymnastique quotidienne, hebdomadaire des nouveaux produits devient très ardu, donc c’est pour ça qu’on s’est structuré avec deux changements par année où 10 à 15 % des articles vont sortir et d’autres, entrer. Ça offre une variété.

La SQDC estime qu’elle capte environ 56 % du marché noir, en légère baisse de 1 % par rapport à l’année précédente. Pensez-vous pouvoir faire encore mieux ?

R. D : Au début, on s’attendait à aller chercher 70-75 % du marché noir au Québec, qui était alors évalué à 150 tonnes. Dans notre plan stratégique, on a atteint les volumes de ventes qu’on croyait atteindre, mais le marché québécois était sous-évalué. C’est que les sondages pour l’évaluer avaient été faits avant la légalisation, et donc les gens n’étaient pas nécessairement à l’aise de répondre à des questions sur leur consommation. Quant à la cible, oui, je crois que c’est possible. D’ici combien d’années ? C’est dur de fixer une cible, mais je dirais 70 % dans trois ans à peu près.

La consommation de cannabis sera-t-elle aussi normalisée que celle de l’alcool ?

E. H. : C’est à voir. Je pense qu’il y a beaucoup de chemin à faire encore et l’objectif, ce n’est pas de faire en sorte qu’il y ait plus de gens qui se mettent à consommer du cannabis au Québec. Je ne pense pas qu’on va atteindre des taux plus élevés que ce qu’on a actuellement. [L’objectif,] c’est qu’on soit à l’aise d’en parler, que les gens qui en consomment ne soient pas stigmatisés et que ça fasse partie de l’écosystème québécois.

Les questions et les réponses ont été remaniées par souci de concision.