La nouvelle tarification imposée par Québec aux étudiants de l’extérieur de la province choque les milieux universitaires anglophones, qui s’attendent à perdre des étudiants et beaucoup d’argent.

Ce qu’il faut savoir

  • Dès l’automne 2024, les étudiants venus des autres provinces devront payer des droits de scolarité annuels d’environ 17 000 $, pratiquement le double du tarif actuel. Les étudiants étrangers devront acquitter un minimum de 20 000 $.
  • La mesure s’applique aux étudiants du 1er cycle et du 2cycle professionnel. Les étudiants de pays pour lesquels il existe des ententes, dont la France et la Belgique, ne seront pas touchés. Les francophones hors Québec qui étudient dans un programme bénéficiant d’une exemption non plus.
  • Québec prévoit récolter ainsi plus de 110 millions de dollars pour les réinvestir dans le réseau des universités francophones.

« C’est certain qu’il y aura un effet très négatif du point de vue financier pour les trois universités anglophones », a affirmé le recteur et vice-chancelier de l’Université Concordia, Graham Carr, en entrevue avec La Presse.

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Le recteur et vice-chancelier de l’Université Concordia, Graham Carr

Vous ne pouvez pas facturer n’importe quoi et penser que les étudiants vont venir !

Graham Carr, recteur et vice-chancelier de l’Université Concordia

À l’Université McGill, le principal et vice-chancelier, Deep Saini, s’est dit « très déçu » de l’annonce. « Notre équipe s’emploie maintenant à analyser les conséquences de ces décisions », a-t-il indiqué dans une déclaration écrite.

Le principal et vice-chancelier de l’Université Bishop’s, Sébastien Lebel-Grenier, s’était dit inquiet jeudi, craignant « un impact budgétaire catastrophique pour notre université, un impact destructeur ».

Le nouveau « tarif plancher » imposé aux étudiants canadiens non résidents du Québec aura pratiquement pour effet de doubler leurs droits de scolarité, a annoncé vendredi la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, confirmant ainsi les informations publiées par La Presse la veille.

La facture passera de 8992 $ à environ 17 000 $ par an dès l’automne prochain, a indiqué la ministre.

La mesure s’applique aux étudiants du 1er cycle et du 2cycle professionnel.

Un « choc », a réagi le vice-président aux affaires externes de l’Association étudiante de l’Université McGill, Liam Gaither.

« Si le gouvernement veut introduire des hausses de frais de scolarité, il faut avoir le consentement de la population étudiante, parce qu’on se souvient de 2012 et de comment ça s’est passé », a-t-il souligné à La Presse, en évoquant la « mobilisation générale » du printemps érable.

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Le vice-président aux affaires externes de l’Association étudiante de l’Université McGill, Liam Gaither

Sans consentement, c’est comme un acte de guerre envers les étudiants !

Liam Gaither, vice-président aux affaires externes de l’Association étudiante de l’Université McGill

Les étudiants étrangers se verront également imposer un tarif plancher d’environ 20 000 $, sur lequel Québec percevra un montant forfaitaire par étudiant – une ponction gouvernementale à laquelle les universités n’étaient plus soumises depuis la déréglementation du précédent gouvernement libéral. Il s’agira d’une somme d’environ 3000 $, indique-t-on au cabinet de la ministre.

Les personnes qui étudient déjà au Québec ne seront pas touchées par ces mesures et auront accès aux tarifs actuels jusqu’à l’obtention de leur diplôme.

Les trois universités anglophones réussissent à gagner, avec les étudiants de l’extérieur de la province, des revenus beaucoup plus élevés que les établissements francophones. La ministre Déry vise donc « un meilleur équilibre » en redistribuant des sommes dans le réseau francophone.

À 17 000 $ par an, les droits de scolarité imposés aux étudiants des autres provinces correspondent à ce que leur formation coûte à l’État québécois, et permettront de « récupérer » environ 110 millions par an, estime la ministre. À cela s’ajoutera le montant forfaitaire perçu pour chaque étudiant étranger, dont le total attendu n’a pas été dévoilé.

D’une pierre deux coups

Ces mesures pourront aussi « rééquilibrer l’équilibre linguistique montréalais qui a été brisé ces dernières années », a plaidé le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge.

« Est-ce qu’on souhaite avoir 10 000, 20 000, 30 000 personnes qui viennent de l’extérieur, que ce soit des étudiants étrangers ou des étudiants canadiens hors Québec, qui ne parlent pas français, qui viennent s’installer au centre-ville de Montréal ? C’est une question, je pense, qu’on doit se poser. »

Une remarque « un peu dégoûtante », juge l’étudiant de McGill Liam Gaither, qui s’est exprimé à titre personnel sur ce point. « Qu’il n’y a pas assez de français dans les rues de Montréal, je pense que ce n’est vraiment pas une remarque que des ministres du gouvernement devraient faire », a commenté ce natif du Québec.

Les millions redirigés vers le réseau universitaire francophone pourront notamment servir à accueillir davantage d’étudiants étrangers francophones, a indiqué la ministre de l’Enseignement supérieur.

Les étudiants du reste du Canada rapporteront beaucoup moins que prévu parce que les droits de scolarité de 17 000 $ les inciteront à aller dans d’autres provinces, pense toutefois le recteur de l’Université Concordia.

Il n’y aura que des pinottes à l’avenir, parce que les étudiants ne viendront pas !

Graham Carr, recteur et vice-chancelier de l’Université Concordia

La nouvelle politique « va céder à Toronto encore plus de talents qu’on essayait d’attirer à Montréal », craint M. Carr, qui espère voir les chambres de commerce et les entreprises appuyer les universités anglophones.

« Comme fier Québécois né au Québec, ça me fait mal que nous en soyons arrivés à un moment où le Québec a décidé de mettre une cible sur les têtes et les cœurs des trois universités anglophones. Ce n’est pas juste, parce que nous donnons beaucoup de choses positives à Montréal et au Québec. »

Les nouveaux tarifs constituant des planchers, les universités auront le droit d’imposer des droits de scolarité encore plus élevés aux étudiants concernés. Des étudiants étrangers paient déjà des droits plus élevés que le plancher annoncé de 20 000 $. À Concordia, les droits annuels tournent autour de 22 000 $ à 28 000 $, selon les programmes. À McGill, les droits de scolarité pour les étudiants entrés à l’automne 2023 oscillent entre 25 000 et 65 000 $.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse