(Québec) Québec va doubler les droits de scolarité imposés aux étudiants venant d’autres provinces canadiennes qui fréquentent une université anglophone.

Pour les étudiants étrangers qui choisissent d’être formés en anglais, la facture va être salée. La décision entraîne ironiquement le report d’un plan sur la promotion du français de 50 millions en cinq ans que l’Université McGill voulait présenter cette semaine.

Le choc est grand dans les trois universités anglophones du Québec qui craignent de perdre des étudiants et des revenus.

« Ça va avoir potentiellement un impact budgétaire catastrophique pour notre université, un impact destructeur. On est très inquiets », lance le principal et vice-chancelier de l’Université Bishop’s, Sébastien Lebel-Grenier.

Un peu moins de 30 % des quelque 3000 étudiants de cet établissement de Sherbrooke viennent d’autres provinces canadiennes ; environ 15 % de sa clientèle sont des étudiants étrangers.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, et son collègue ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, annonceront ce vendredi à Montréal les modalités de la hausse des droits de scolarité. Cette décision, dont La Presse faisait état jeudi, s’inscrit dans un plan d’action sur le français du gouvernement Legault.

Selon les informations obtenues auprès de sources du milieu universitaire, les droits de scolarité passeront de 9000 $ à environ 18 000 $ pour les étudiants d’autres provinces canadiennes qui choisissent de fréquenter une université anglophone (McGill, Concordia ou Bishop’s). Le gouvernement va récupérer les fruits de cette augmentation.

« Ce que le gouvernement veut faire au Québec, c’est de rendre deux fois plus coûteux d’étudier ici (pour un étudiant des autres provinces) qu’ailleurs au Canada », estime Sébastien Lebel-Grenier. Selon lui, les droits de scolarité actuels de 9000 $ correspondent à la moyenne canadienne.

Dans ses règles budgétaires annuelles aux universités, le gouvernement souligne lui-même que « depuis le trimestre d’automne 1997, les étudiants canadiens et les résidents permanents du Canada qui ne sont pas résidents du Québec paient des droits de scolarité globalement comparables à ceux en vigueur dans les universités ailleurs au Canada ».

Pour les étudiants étrangers, la décision du gouvernement Legault est plus complexe. Il va réglementer à nouveau leurs droits de scolarité – les frais avaient été déréglementés sous le gouvernement Couillard, permettant ainsi aux universités d’imposer le montant de leur choix, une demande de longue date de l’Université McGill.

Selon des sources du milieu universitaire, Québec fixera un plancher pour les droits de scolarité et, surtout, une quote-part importante qui devra être remise au gouvernement. On calcule que les universités anglophones devront remettre au gouvernement quelques milliers de dollars par étudiant.

La cagnotte serait redistribuée aux universités francophones, ce qui laisse croire à la création d’une forme de péréquation.

Nommé par le gouvernement Legault en décembre, le président de l’Université du Québec, l’ex-député péquiste Alexandre Cloutier, fait pression sur le gouvernement depuis le printemps et dénonce un sous-financement des établissements de son réseau. Il chiffre le manque à gagner à 100 millions de dollars par année.

Le mécanisme retenu par le gouvernement « pourrait faire en sorte que les revenus que détiennent les universités [anglophones] vont être réduits, qu’il y aura une ponction gouvernementale significative », confirme Sébastien Lebel-Grenier.

On s’attend à ce que la facture imposée aux étudiants étrangers soit revue à la hausse dans les universités anglophones pour compenser la ponction gouvernementale.

À l’heure actuelle, les frais s’élèvent à plus de 27 000 $ pour un étudiant étranger, sauf pour un Français et un Belge qui paient la même chose qu’un Canadien hors Québec (9000 $). Les droits de scolarité d’un étudiant québécois se chiffrent à 2880 $ par an.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry

Sébastien Lebel-Grenier déplore que le gouvernement n’ait transmis jusqu’ici que des « informations parcellaires » aux universités sur sa décision. Pascale Déry lui a indiqué que le gouvernement était par ailleurs sensible à la situation de Bishop’s.

En entrevue à La Presse, Jean-François Roberge insistait surtout sur les 32 000 étudiants venant d’autres provinces et de l’étranger qui fréquentent les deux universités anglophones du centre-ville de Montréal chaque année et qui « bien souvent s’expriment en anglais au quotidien ».

« Si on veut changer le profil linguistique de Montréal, arrêter le déclin à Montréal, il faut s’intéresser à la question du rééquilibrage des réseaux universitaires », plaidait-il. La moitié des étudiants étrangers et d’autres provinces fréquentent une université anglophone.

L’annonce du gouvernement Legault survient au moment précis où l’Université McGill devait présenter un plan sur la promotion du français.

Selon nos informations, l’université préparait depuis quelques mois ce plan visant à franciser ses étudiants étrangers et à offrir davantage de cours de français pour son personnel. Elle prévoyait un investissement de 50 millions en cinq ans à cette fin.

Le principal et vice-chancelier de McGill, Deep Saini, avait envoyé une invitation pour l’annonce, le 11 octobre, de ces « engagements de l’Université en matière de français ». Or les personnes invitées ont reçu un courriel vendredi dernier annonçant que l’annonce était reportée « en raison de circonstances indépendantes de [la] volonté » de l’université.

D’après nos informations, le gouvernement informait alors l’université qu’une décision la touchant était sur le point d’être rendue publique.

« L’Université McGill a été alertée de changements pouvant avoir un impact sur sa santé financière au cours des derniers jours », confirme-t-elle dans un courriel transmis à La Presse.

« Devant ce constat, la direction de l’Université a choisi, par mesure de prudence, de reporter l’annonce de l’investissement et de ses engagements en matière de français prévu le 11 octobre, en attendant de mieux comprendre les impacts sur son cadre financier. […] Nous attendons davantage d’information pour comprendre pleinement les répercussions financières de ces modifications au financement des universités. »

Elle dit espérer que les changements qui seront annoncés par le gouvernement « ne nuiront pas à la renommée de nos programmes et à la qualité de nos recherches. C’est tout le Québec qui s’en retrouvera pénalisé ».