(Québec) Un obus qui s’est révélé crucial dans la guerre d’Ukraine est fabriqué dans une usine québécoise, mais sa production n’a pas augmenté d’un iota depuis le début de l’invasion russe, au grand dam de plusieurs acteurs du monde militaire.

« C’est probablement la marchandise militaire la plus prisée sur la planète en ce moment. Tous les alliés qui utilisent l’obus de 155 mm cherchent actuellement des obus de 155 mm. Pourquoi n’y a-t-il pas d’urgence pour augmenter la production ? », a demandé, incrédule, le député conservateur Pat Kelly lors d’une récente réunion du Comité permanent de la défense nationale.

Sur les champs de bataille ukrainiens, cet obus que produisent plusieurs pays alliés – et notamment au moins une usine québécoise – est très recherché. Il n’est pas le plus sophistiqué ni le plus précis et d’autres ont une plus grande portée, comme l’Excalibur. Mais son coût relativement bas en fait une arme de choix.

Les Ukrainiens tirent entre 6000 et 8000 obus de 155 mm chaque jour. Les Russes répliquent avec 40 000 tirs d’artillerie, selon une députée ukrainienne citée par Associated Press.

Pour fournir Kyiv, les alliés de l’OTAN ont donc puisé dans leurs réserves. Le calibre de 155 mm est le standard atlantique. Le Canada a fourni à l’Ukraine 40 000 de ces obus depuis février 2022, à peine de quoi alimenter les artilleurs ukrainiens une semaine.

Les alliés ont aussi décidé d’augmenter la production de cet obus. Les États-Unis veulent faire passer leur production de 20 000 par mois à 95 000 d’ici 2025.

3000 obus par mois

Au Canada, la Défense nationale se procure ces puissants obus auprès de General Dynamics Produits de défense et systèmes tactiques-Canada (GD-OTS). L’entreprise emploie 1200 personnes dans ses trois usines de Repentigny, Salaberry-de-Valleyfield et Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec.

Le fabricant ne précise pas laquelle, ou lesquelles, de ses usines québécoises produit le projectile. Mais GD-OTS Canada produit 3000 obus de 155 mm par mois, tous au Québec, s’il faut en croire les propos du chef d’état-major de la Défense, Wayne Eyre.

Le général Eyre a indiqué la semaine dernière au Comité permanent de la défense nationale que la production canadienne n’avait pas augmenté du tout depuis l’invasion russe de l’Ukraine, à son grand dam.

« Nous n’avons pas produit une ronde supplémentaire de munitions dans ce pays depuis février 2022. Alors oui, ça m’inquiète beaucoup », a lancé le général Eyre aux élus membres du comité.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef de l’état-major canadien, le général Wayne Eyre

Si on veut s’assurer de soutenir l’Ukraine à long terme, l’accélération de la production d’obus d’artillerie est extrêmement importante.

Le général Wayne Eyre, chef de l’état-major canadien

« À toutes les rencontres de chefs d’état-major de l’OTAN auxquelles j’assiste, tous les alliés parlent de ce problème, et avec raison, a ajouté le militaire de haut rang. On regarde tous les manières d’augmenter la production. C’est de plus en plus inquiétant, car on remarque que les Russes sont en train de se reconstituer plus rapidement que nous l’avions prévu. »

L’industrie tient Ottawa responsable

Comment expliquer que la production d’obus de 155 mm n’a pas augmenté dans les usines québécoises de GD-OTS Canada alors que l’allié ukrainien en réclame à grands cris ? Le fabricant d’armes n’a pas souhaité répondre aux questions de La Presse, le syndicat des employés non plus.

Mais selon l’association qui représente l’industrie militaire canadienne, Ottawa tarde à accorder des contrats fermes aux fabricants canadiens pour augmenter la production.

« On n’est pas sur le pied de guerre. Nos industries n’ont pas été mises sur le pied de guerre par le biais de commandes fermes du gouvernement », a dit mardi Christyn Cianfarani, présidente de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité (AICDS) au Comité permanent de la défense nationale.

L’AICDS indique qu’augmenter la production demande des investissements importants amortis sur 15 ou 20 ans. Or, Ottawa tarde à signer des contrats aussi longs qui permettraient d’augmenter la cadence, a accusé Mme Cianfarani.

Une variante plus efficace

Mais la quantité d’obus de 155 mm produits dans les usines québécoises de GD-OTS n’est pas le seul enjeu. Ottawa aimerait que ces usines produisent une variante encore plus prisée du 155 mm. Depuis des années, le Canada produit la variante M107. La guerre en Ukraine a mis en lumière l’efficacité de la variante M795, qui est celle utilisée par les États-Unis.

« J’ai eu l’occasion de visiter cette usine de munitions [à Repentigny], ainsi que celle de Salaberry-de-Valleyfield, à l’automne 2022. Cette usine produit le M107, d’une portée plus courte que l’obus que nous aimerions qu’elle produise, c’est‑à‑dire le M795. Le travail se poursuit à cet égard », avait déclaré en mai dernier le général Eyre.

La société General Dynamics produit des obus de 155 mm M795 dans ses usines des États-Unis. Cette variante a une portée de 22,5 km contre 17,5 km pour le M107, selon le site de l’entreprise américaine.

Mais modifier les chaînes de production des usines québécoises pour produire cette variante va probablement nécessiter des sommes considérables. La Défense nationale dit être en pourparlers avec GD-OTS Canada, qui compte 16 lobbyistes inscrits au registre fédéral, dont son directeur général, René Blouin.

« Augmenter la production de 155 mm est un long processus qui demande des investissements. Il y a des discussions en ce moment pour améliorer la production, mais ce n’est pas un ajustement facile », a reconnu la semaine dernière le sous-ministre à la Défense nationale Bill Matthews.

Sans l’Occident, l’Ukraine n’aurait qu’« une semaine à vivre », selon Poutine

PHOTO GRIGORY SYSOYEV, ASSOCIATED PRESS

Le président russe, Vladimir Poutine, jeudi à Valdaï

Le président russe Vladimir Poutine a estimé jeudi que l’Ukraine n’aurait qu’« une semaine à vivre » sans les livraisons d’armes occidentales, dont Kyiv dépend pour son effort militaire. « Lorsque les stocks d’armes [occidentales livrées à l’Ukraine] seront épuisés, ils n’auront plus qu’une semaine à vivre », a déclaré M. Poutine lors du forum international Valdaï, estimant que les stocks « s’épuisent aussi en Europe ».

Agence France-Presse