L’efficacité des 44 caméras de surveillance policière installées à Montréal est remise en question. Selon des experts, elles ne permettent pas d’atteindre deux objectifs du SPVM : rassurer les citoyens et réduire la criminalité.

« Considérant l’énorme coût des caméras, je n’en vois pas bien l’utilité au regard d’autres actions qui seraient beaucoup plus efficaces pour diminuer les désordres », affirme Line Beauchesne, professeure titulaire au département de criminologie de l’Université d’Ottawa.

La Presse a étudié l’impact des caméras de surveillance installées aux abords de la place Émilie-Gamelin, rue Sainte-Catherine Est, entre les rues Berri et Saint-Hubert. Les enjeux liés à la consommation de drogues et aux problèmes de santé mentale à cet endroit sont bien connus. Trois des quatre coins du parc sont équipés de caméras, lesquelles ont été installées avant 2021, confirme le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Par ailleurs, 24 des 44 caméras de sécurité urbaines utilisées par le corps policier sont situées à moins de 1,5 kilomètre du parc.

Afin de déterminer si l’installation des caméras aux abords du parc a mené à une réduction des actes criminels, La Presse a comparé la moyenne du nombre d’infractions recensées entre 2015 et 2020 au nombre d’infractions recensées en 2021, année à partir de laquelle on peut avoir la certitude que les caméras étaient présentes. Le lieu des actes criminels détectés et l’emplacement des caméras du SPVM sont des données accessibles au public.

De 2015 à 2020, le nombre de crimes détectés près des quatre coins du parc est resté relativement stable, à l’exception d’une baisse importante enregistrée au coin est en 2020, première année pandémique. En 2021, les trois coins du parc dotés de caméras ont enregistré une hausse des infractions de 39 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. De son côté, le coin exempt de caméras a présenté une hausse des infractions recensées de 184 %. Il y a donc une différence entre les zones couvertes ou non par des caméras. Mais il y a néanmoins hausse de la criminalité partout.

Quant au but de réduire la violence armée, Irvin Waller, professeur émérite de l’Université d’Ottawa et auteur du livre Science and Secrets of Ending Violent Crime, affirme que l’installation des caméras est « en grande partie inutile ».

L’emplacement des caméras est public et des affiches annoncent leur présence sur le terrain, ce qui laisse croire que la dissuasion est recherchée. Mais Irvin Waller doute que les caméras mènent à une réduction des évènements violents.

Les situations qui mènent à des coups de feu impliquent généralement des gens en colère qui n’ont pas planifié leurs gestes, donc ils ne seront pas dissuadés par des caméras.

Irvin Waller, professeur émérite de l’Université d’Ottawa

Il cite l’exemple de caméras installées par certains corps policiers américains qui s’activent au son d’une décharge d’arme à feu. Celles-ci n’ont pas entraîné une réduction des incidents, selon le professeur.

Toujours selon Irvin Waller, les méthodes pour réduire les crimes violents sont connues. « La sensibilisation auprès des groupes de jeunes hommes impliqués dans la violence dans les quartiers défavorisés est la méthode la plus efficace pour réduire la violence de manière significative. » Les arrestations ciblées effectuées dernièrement par le SPVM semblent faire écho à ces méthodes.

Lisez l’article « Lutte contre les fusillades : des arrestations ciblées qui ont porté leurs fruits »

En ce qui a trait au sentiment de sécurité des gens, les témoignages des personnes interrogées par La Presse aux abords des caméras se ressemblent. « Les caméras n’ont aucun impact, affirme un gardien de sécurité d’un commerce dont l’entrée est surveillée par une caméra. Il pourrait y avoir des affiches de 20 pieds par 20 pieds [qui annoncent la présence de caméras] et les gens vendraient [de la drogue] quand même », ajoute-t-il.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Policiers du SPVM intervenant à la place Émilie-Gamelin

Gérant du café Lulu, Marwan Khoury explique qu’il doit, trois ou quatre matins par semaine, « replacer les tables et les chaises de sa terrasse » que des personnes « lancent par terre ». Et pourtant, la terrasse est dans la ligne de mire d’une caméra du SPVM.

Le corps policier indique que la surveillance des images des caméras est assurée par des policiers ou des cadets, qui peuvent transmettre les informations aux équipes présentes sur le terrain. Le SPVM se dit par ailleurs satisfait des résultats de l’utilisation de ces appareils. « Au fil des ans, nous avons pu constater leur utilité, entre autres pour les enquêtes criminelles. En temps réel, elles peuvent aussi aider les policiers et policières sur le terrain dans certaines situations », a indiqué le corps policier dans une réponse envoyée par courriel.

Le SPVM estime que les caméras représentent un outil supplémentaire pouvant s’avérer utile. « En termes d’efficacité, nous estimons qu’il est bénéfique de pouvoir avoir recours à l’ensemble des caméras, selon les besoins et les situations. Le commentaire que nous entendons de plusieurs partenaires est qu’ils encouragent la police à poursuivre son travail de sécurisation des quartiers et à prendre les moyens qu’il faut pour y arriver. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les caméras peuvent tout de même être utiles aux policiers, croient les experts consultés.

Où les caméras sont-elles efficaces ?

Les caméras peuvent tout de même être utiles aux policiers, croient les experts consultés. Elles peuvent notamment permettre de réduire les infractions de la route, précise Irvin Waller. « Les accidents et la vitesse sont réduits significativement lorsque des caméras sont installées près des routes. Elles permettent ainsi de sauver des vies. »

Des caméras placées dans des endroits stratégiques peuvent également aider à réduire les vols dans les véhicules et certaines infractions planifiées, ou encore identifier l’auteur d’un crime après les faits, selon les deux experts. Les nombreuses caméras privées déjà en place auxquelles les policiers ont généralement accès devraient cependant être suffisantes pour atteindre ces objectifs, signale Irvin Waller.

D’après Line Beauchesne, professeure à l’Université d’Ottawa, les ressources consacrées aux caméras devraient être redirigées « vers les relais sociaux et une meilleure formation de première ligne des policiers ».

« La police ne prévient pas le crime, affirme-t-elle. Son rôle est de diminuer le désordre et de sécuriser les lieux. Ce qui prévient le crime, c’est de diminuer les inégalités sociales et de bonifier les programmes sociaux. Les policiers le savent, mais ils n’ont pas le choix de réagir aux désordres en attendant. »

Peter, qui travaille à l’angle de la rue Sainte-Catherine et du boulevard Saint-Laurent depuis 25 ans, assure que les caméras installées près de l’intersection « n’ont rien changé ». « Pour régler les problèmes du secteur, il faut traiter les gens comme des humains, ce que les policiers ont commencé à faire. »

Quatre grands objectifs

Selon le site web du SPVM, quatre grands objectifs sont recherchés par leurs caméras urbaines :

– servir dans la lutte contre la criminalité, notamment la lutte contre la violence armée ;

– avoir un effet bénéfique sur le sentiment de sécurité des gens ;

– arrêter les responsables d’actes criminels qui viennent d’être commis ;

– aider les policiers et policières lors de leur travail sur le terrain dans certaines situations.