« C’est inacceptable. Nous sommes exclus des discussions, des travaux, des réflexions, des décisions qui nous concernent » : près de six mois après l’annonce de l’aménagement d’une zone tampon à proximité de la Fonderie Horne, les personnes qui y résident ne savent toujours pas où, quand et comment elles seront relogées, une situation qui provoque stress et anxiété.

Ce qu’il faut savoir

La Fonderie Horne a annoncé il y a près de six mois l’aménagement d’une zone tampon dans le secteur le plus exposé aux émanations d’arsenic, notamment.

Les résidants des quelque 80 immeubles de cette zone s’estiment exclus du processus décisionnel, une situation « inacceptable ».

Entre-temps, les émanations d’arsenic demeurent nettement supérieures aux normes provinciales – de même qu’à la norme spéciale que doit atteindre la Fonderie d’ici cinq ans.

« On a eu l’annonce surprise de la zone tampon, et depuis, on n’obtient pas de réponse à nos questions », déplore Emmanuelle Arseneault, mère de deux garçons avec qui elle partage un grand 5 ½ à prix modique dans la future zone tampon. « Ça cause énormément d’anxiété et tout ça a brisé le lien de confiance envers ceux qui prennent les décisions et qui sont censés les prendre pour le bien de la population. »

Tout ce que je veux en tant que citoyenne, en tant que mère, c’est avoir de l’information claire pour prendre des décisions éclairées.

Emmanuelle Arseneault, résidante de la future zone tampon

Le 17 juillet dernier, les propriétaires des 82 bâtiments qui doivent être rasés en raison des émanations d’arsenic et de métaux lourds de la Fonderie Horne ont acheminé une lettre à l’administratrice d’État responsable de la coordination du dossier pour faire valoir leurs inquiétudes. Ce n’est que lundi dernier que Guylaine Marcoux leur a répondu par courrier, affirmant que la « mise en œuvre du plan était complexe » et nécessitait plusieurs « arrimages avec la Ville et la Fonderie Horne ».

« La première étape consiste à sceller l’entente entre les partenaires et à définir clairement le processus à suivre pour la relocalisation au bénéfice des citoyens visés, écrit Mme Marcoux. La seconde consistera à informer les citoyens sur les prochaines étapes à suivre. »

Cette déclaration a suscité l’ire des propriétaires, qui réclament d’être impliqués dans le processus et la prise de décisions.

PHOTO ÉMILIE PARENT-BOUCHARD, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie-Ève Duclos, représentante des propriétaires de la zone tampon

« Ils sont en train de décider sans nous. C’est inacceptable. Nous sommes exclus des discussions, des travaux, des réflexions, des décisions qui nous concernent », a déclaré Marie-Ève Duclos, qui représente les propriétaires de la zone tampon.

« Je dors de moins en moins, j’ai la mèche courte et je suis allée rencontrer une travailleuse sociale pour me conforter, laisse pour sa part tomber Denise Dion, propriétaire d’une maison de la 7e Rue qu’elle a patiemment rénovée depuis 36 ans. La seule chose dont je sois certaine, c’est qu’on mettra la pelle mécanique dans tout ça. »

Toutes deux exigent que les décisions qui seront prises dans le dossier « soient soumises aux personnes concernées, propriétaires ou locataires, avant d’être officialisées, avant [qu’elles n’aient] plus un mot à dire », note Marie-Ève Duclos.

Exposition aux métaux lourds

En plus de l’incertitude et de l’anxiété, les résidants de la future zone tampon continuent d’être exposés à près de 25 fois la norme québécoise d’arsenic dans l’air. Le 23 août dernier, alors qu’elle présentait son bilan des mesures transitoires qui doivent mener à la modernisation de son usine, la Fonderie Horne a confirmé que les émanations d’arsenic pour le premier trimestre se chiffraient à 74,6 ng/m3, comparativement à la norme de 3 ng/m3.

Le directeur national de santé publique, lors d’un passage à Rouyn-Noranda à pareille date l’année dernière, s’était dit à l’aise pour la santé de la population avec la cible de 15 ng/m3 d’arsenic dans l’air. Le DLuc Boileau insistait cependant sur l’importance d’atteindre cet objectif le plus rapidement possible afin de protéger la santé de la population. Or, l’entente ministérielle prévoit l’atteinte de cette cible dans cinq ans seulement.

De l’avis de Marc-André Larose, organisateur communautaire de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue (ALOCAT), il s’agit d’un non-sens.

« Il y a à peine un an [en octobre 2022, l’INSPQ] publiait une revue de la littérature sur les pratiques de relocalisation et d’expropriation et leurs impacts sur la santé publique. On démontre les conséquences négatives de la relocalisation sur la santé mentale : anxiété, stress, dépression. Ces symptômes sont surtout présents quand la population n’est pas consultée en amont, que les procédures sont floues ou inconnues et qu’elles ne tiennent pas compte des consultations préalables. Et ça, c’est tout ce qui se passe dans le dossier », dit-il.

L’administratrice Guylaine Marcoux n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue formulée mercredi.

Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) assure que « [ses] équipes ont rencontré individuellement plus de 150 ménages, organismes et entreprises afin de répondre à leurs préoccupations et de recueillir leurs besoins », précisant que ces données « alimenteront [la] réflexion dans l’élaboration du programme d’assistance financière et dans le cadre de nos travaux avec la Ville de Rouyn-Noranda et la Fonderie Horne ».

La surintendante aux communications et relations avec la communauté de la Fonderie Horne, Cindy Couette, dit que l’entreprise « encourage les propriétaires à attendre que les programmes de compensation soient déterminés ».

Mobilisation citoyenne

La population de Rouyn-Noranda continue de se mobiliser pour réclamer l’atteinte de la norme de 3 ng/m3 d’arsenic dans l’air. Plus de 900 personnes sont descendues dans la rue le 26 août dernier pour exprimer leur mécontentement.

PHOTO ÉMILIE PARENT-BOUCHARD, COLLABORATION SPÉCIALE

Plus de 900 personnes ont manifesté dans les rues de Rouyn-Noranda le 26 août dernier.

Parmi elles, Émilise Lessard-Therrien, qui a porté la voix de la population de Rouyn-Noranda à l’Assemblée nationale jusqu’à sa défaite au plus récent scrutin en octobre dernier et qui aspire au titre de co-porte-parole de Québec solidaire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Émilise Lessard-Therrien, ancienne députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue

Les gains ne sont pas suffisants et il y a de plus en plus d’échos dans les autres régions, de solidarité. Ici, les enfants partent avec deux prises au bâton.

Émilise Lessard-Therrien, ancienne députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue

Dans une publication sur les réseaux sociaux lundi, le député caquiste de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Daniel Bernard, s’est pour sa part dit « content » du travail fait avec le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, dans ce dossier. La publication – enregistrée au printemps dernier à l’Assemblée nationale, précise-t-il – lui a valu les critiques acerbes de nombreux militants de Rouyn-Noranda qui ont participé à la marche.

« On ne vous a jamais vu dans la zone tampon ! Vous n’êtes jamais venu nous parler [des avancements dans le dossier] », s’indigne Manon Garant.