(Québec) Encouragés par le succès monstre de la troisième phase de la promenade Samuel-De Champlain inaugurée cet été, des citoyens de Québec demandent au gouvernement Legault d’ouvrir l’accès au fleuve dans l’est de la capitale.

Ils se heurtent toutefois à un obstacle de taille : une autoroute à six voies sous-utilisée et construite en 1978 sur les battures de Beauport, un milieu naturel prisé des oiseaux et des poissons que le Canada considérait alors comme « un biotope particulièrement rare dans l’ensemble des écosystèmes de notre planète ».

« Ça fait plus de 20 ans que j’habite dans ce quartier, et on n’a pas du tout le sentiment d’être riverains », lâche, dépitée, Marie-Hélène Deshaies, présidente de la Table citoyenne Littoral Est et résidante de Maizerets.

Le Saint-Laurent est pourtant tout proche. Mais un spaghetti autoroutier construit dans les années 1970 cadenasse l’accès aux berges.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Daniel Guay et Marie-Hélène Deshaies, de la Table citoyenne Littoral Est, contemplent le lieu où l’autoroute Dufferin-Montmorency vient séparer le quartier Maizerets du fleuve

L’autoroute Dufferin-Montmorency a été construite dans la controverse il y a 45 ans pour relier la Haute-Ville de Québec au pont de l’île d’Orléans.

La voie autoroutière a une capacité d’au moins 90 000 véhicules par jour*. Mais selon les données les plus récentes, les tronçons de l’autoroute devant les battures de Beauport voient passer 30 000 véhicules par jour dans les secteurs les plus occupés, et à peine 18 000 par endroits.

Ses six voies se terminent quelques kilomètres à l’est dans les quatre voies de la route 138 sur la Côte-de-Beaupré.

Forte opposition

« On a hérité de la bêtise du siècle et on est pris avec », se désolait le 22 novembre 1978 le ministre péquiste délégué à l’Environnement, Marcel Léger, avant même que ne soit construite l’autoroute sur les battures.

Le premier gouvernement péquiste de l’histoire avait été élu deux ans plus tôt. Mais l’autoroute était presque parachevée quand l’audience publique sur l’environnement a eu lieu, en octobre 1978.

« En fin de compte, à part les organismes économiques et la Ville de Beauport, à peu près tout le monde était contre, tant les citoyens ordinaires que les groupes sociaux », se souvient celui qui a présidé l’audience, le biologiste Michel Lamontagne.

Les citoyens avertissent alors le gouvernement du Québec : bâtir une autoroute à cet endroit va couper l’accès au fleuve.

« Le Club des ornithologues du Québec insiste sur le fait qu’il faut éviter l’erreur commise il y a cinquante ans par les autorités du port de Montréal qui ont fait détruire le site naturel de Longue-Pointe, dernier endroit où les citoyens de Montréal pouvaient avoir accès au fleuve pour de multiples activités récréatives », peut-on lire dans le rapport.

Mais le maire de Beauport, à l’époque une ville indépendante de Québec, se moque des observateurs d’oiseaux. « C’est lui qui appelait les ornithologues les oisologues », rappelle en entrevue Gaétan Lord, administrateur du Club des ornithologues de Québec.

C’est parmi les sites les plus riches de la région de Québec. Mais c’est pratiquement impossible maintenant avec l’autoroute d’y avoir accès.

Gaétan Lord, administrateur du Club des ornithologues de Québec

Environnement Canada dépose à l’époque un mémoire coup-de-poing selon lequel « les battures de Beauport devraient être préservées dans la plus grande intégrité possible ». « Les zones intertidales en eau douce constituent un biotope particulièrement rare dans l’ensemble des écosystèmes de notre planète », peut-on lire.

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Le domaine de Maizerets, un parc public situé en bordure de l’autoroute Dufferin-Montmorency

Mais le projet est déjà trop avancé pour entièrement reculer. « Le ministère des Transports nous avait dit que c’était trop tard », se souvient Michel Lamontagne 45 ans plus tard.

Le gouvernement décide d’aller de l’avant avec l’autoroute, mais écoute en partie les arguments des opposants : plutôt que de passer au cœur des battures, la route les longera.

Les défenseurs de l’environnement gagnent une autre bataille quand le projet qu’avait alors le Port de Québec de bétonner entièrement les battures pour y mener des activités portuaires tombe à l’eau.

Un boulevard urbain

Les membres de la Table citoyenne Littoral Est espèrent que le jour est enfin venu de remédier à ce qu’ils considèrent comme une erreur historique. Leur rêve ? Retirer des voies à l’autoroute pour faire place, en bord de fleuve, à une promenade linéaire.

« Ça fait longtemps qu’on demande un boulevard urbain. Parce que quand tu mets une autoroute, c’est fini, l’accès au fleuve », note Daniel Guay, administrateur de la Table citoyenne Littoral Est.

Les trois premières phases de la promenade Samuel-De Champlain ont été réalisées dans l’ouest de la capitale. Il s’agit du principal legs du gouvernement québécois pour le 400e anniversaire de Québec en 2008. Le bassin de baignade dévoilé cet été a connu un succès monstre.

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L’inauguration de la troisième phase de la promenade Samuel-De Champlain a connu un vif succès cet été.

Le gouvernement Legault maintient le suspense quant à une éventuelle phase IV aux battures de Beauport. Il n’a pas non plus voulu s’avancer sur la transformation de Dufferin-Montmorency, malgré un vote unanime du conseil municipal de Québec pour un boulevard urbain en décembre dernier.

Une série d’accidents mortels sur l’autoroute a par ailleurs relancé le débat dans les dernières années.

« On ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Après l’été, on arrivera avec de belles nouvelles pour la phase IV », a toutefois indiqué le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien, lors de l’inauguration de la troisième phase en juin dernier.

La Table citoyenne Littoral Est ne rêve pas d’un bassin de baignade dans l’est. « On ne veut pas un gros truc artificiel, précise Marie-Hélène Deshaies. On aimerait une promenade linéaire et redonner ses droits à la nature. »

* Cette estimation provient d’un expert de Polytechnique Montréal, puisque le ministère des Transports et de la Mobilité durable n’était pas en mesure de nous fournir un chiffre avant la publication.