Ce sera le premier recours à une loi censée aider les familles autochtones à élucider la disparition de leurs enfants depuis son adoption en 2021

Les tombes de deux bébés innus morts loin de leurs parents seront bientôt ouvertes sur la Côte-Nord, à la demande de leurs familles qui espèrent obtenir des réponses sur leurs tristes destins.

La Cour supérieure vient d’autoriser ces exhumations. Il s’agit des premières depuis l’adoption, en 2021, d’une loi facilitant les démarches des familles autochtones qui ont perdu un enfant à la suite d’une évacuation médicale ou d’une hospitalisation loin de leur communauté.

Les deux enfants de la communauté de Pessamit (anciennement Betsiamites) seraient morts de la coqueluche dans les premiers mois de leur vie, dans un hôpital de Baie-Comeau, en 1970. À l’époque, leurs parents n’avaient pas pu les accompagner, puis avaient ensuite reçu un cercueil avec interdiction de l’ouvrir.

Après l’exhumation des tombes, prévue cet été, des experts procéderont à des tests ADN afin de s’assurer de la véracité des registres officiels.

« Je n’ai jamais vu le corps de mon fils après sa mort. Encore aujourd’hui, je ne sais pas si mon fils est décédé ou s’il est encore en vie », a expliqué l’une des mères éplorées, dans une déclaration reproduite par la justice. « Je m’en suis voulu. Je m’en suis voulu de ne pas avoir accompagné mon enfant à l’hôpital, de ne pas avoir été auprès de lui lorsqu’il est décédé. Je me sentais tellement coupable d’avoir laissé mon enfant. »

La mère de l’autre enfant est décédée en 2021, quelques mois avant l’adoption de la loi que ses autres enfants ont finalement utilisée pour tenter d’obtenir des réponses.

« Toute sa vie, ma mère a été submergée par le sentiment de ne pas avoir agi. Elle a été rongée par la honte et la culpabilité et de perpétuels questionnements l’ont hantée », a assuré sa fille, toujours dans une déclaration écrite. « Ma mère est décédée, mais elle vit à travers moi. Je ressens ses émotions, sa douleur, et ça me fait extrêmement mal. Aujourd’hui, c’est pour elle que je fais ces démarches. »

Les demandes sont « fondée[s], somme toute, sur une recherche de vérité, de justice et de guérison », indique la Cour supérieure dans les deux décisions.

Une ordonnance de non-publication nous interdit d’identifier les familles en cause.

« Un processus qui va être difficile »

Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations, Ian Lafrenière, dit vivre un sentiment doux-amer en voyant ces premières exhumations aller de l’avant.

« D’un côté, c’est une bonne nouvelle. D’un autre côté, on s’engage dans un processus qui va être difficile pour les familles », a-t-il déclaré en entrevue téléphonique. « On va être là à chaque étape, comme on l’a été depuis le début. »

La loi de 2021, qu’il a fait voter, garantit un appui du gouvernement du Québec pour les familles autochtones qui cherchent des réponses à leurs questions sur des enfants disparus. Il s’agit souvent de recherches documentaires dans les archives, mais ces démarches peuvent aller jusqu’à l’exhumation.

C’est une enquête de 2015 de Radio-Canada qui avait levé le voile sur l’existence de nombreuses familles autochtones qui vivaient dans l’incertitude quant au sort d’un enfant. « Il ne s’agit malheureusement pas de cas isolés », a écrit la Cour supérieure.

« Pourquoi il y a un doute qui persiste ? Parce que malheureusement, il y a des gens qui ont subi des adoptions forcées, parce que malheureusement il y a des décès déclarés qui n’étaient pas vrais », a dit M. Lafrenière. « C’est sûr que ça amène un doute incroyable, un déficit de crédibilité avec ces familles-là. »

Selon le ministre, d’autres demandes d’exhumation sont actuellement en traitement.

« Des cercueils remplis de roche »

MVirginie Dufresne-Lemire représente les deux familles innues et a défendu leurs demandes d’exhumation, afin que des tests ADN soient réalisés.

« Il y a quand même des histoires où il y a des cercueils remplis de roche. La confiance dans les institutions gouvernementales a été fortement mise à mal, pour ne pas dire pire. Le fait que les familles n’aient pas pu accompagner les enfants, c’est excessivement problématique », a-t-elle dit.

« Toutes les options sont ouvertes, a continué l’avocate. Il se peut très bien qu’on puisse identifier que ce sont ces enfants-là et que la famille puisse les réinhumer à l’endroit qu’elle désire. Mais il reste qu’à cause de cette relation-là qui est tellement peu basée sur la confiance, il y a des doutes qui persistent. »

Les tombes sont situées au cimetière Notre-Dame de l’Assomption de Betsiamites. L’opération sera strictement encadrée par des professionnels.