(Québec) Même s’il n’a pas l’appui du chef Ghislain Picard, le ministre Ian Lafrenière dépose son projet de loi visant à instaurer « l’approche » de la sécurisation culturelle dans le réseau de la santé, un engagement pris dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan.

Le ministre responsable des Premières Nations et des Inuit a déposé à la toute dernière journée de la session parlementaire le projet de loi 32 qui viendra « instaurer l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux ». La sécurisation culturelle désigne des soins qui sont offerts dans le respect de l’identité culturelle du patient, notamment.

Le texte législatif prévoit que chaque établissement de santé devra adopter une approche de sécurisation culturelle envers les Autochtones, et tenir compte de leurs réalités culturelles et historiques dans leur interaction avec eux. Les établissements devront aussi favoriser le partenariat avec les communautés autochtones et adapter « lorsque possible » l’offre de service par des moyens comme :

  • L’embauche de personnel autochtone
  • L’accès à des ressources d’accompagnement pour les Autochtones, y compris dans le cadre de tout régime d’examen de plaintes
  • La formation obligatoire de tous les employés sur les réalités culturelles et historiques des Autochtones
  • La prise en compte des réalités propres aux femmes et aux filles autochtones

Le projet de loi prévoit également un mécanisme de reddition de comptes alors que les établissements devront, dans les trois mois suivant la fin de leur exercice financier, informer le ministre des pratiques sécurisantes qu’ils ont mis en œuvre entre leurs murs. Le bilan de ces pratiques sera disponible en ligne.

« Il va continuer d’avoir une imputabilité et le fait de diffuser justement ce qui est fait, ça va mettre de la presse sur les autorités dans les endroits où il n’y a pas grand-chose », a précisé M. Lafrenière en entrevue.

Contrairement à la recommandation de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (la commission Viens), le gouvernement ne vient pas modifier pour l’instant la Loi sur la santé et les services sociaux (LSSS) pour y enchâsser la notion de sécurisation culturelle. C’est que le ministre Christian Dubé mène une vaste réforme de la santé qui vient modifier la loi.

Si le projet de loi de 32 est adopté avant le projet de loi 15 du ministre Dubé cet automne, il pourrait apporter un amendement pour venir enchâsser la sécurisation culturelle dans la loi.

Dans un nouveau bras de fer avec Québec, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) demandait récemment au gouvernement Legault de renoncer au dépôt de ses projets de loi sur les langues autochtones et sur la sécurisation culturelle. Celui sur les langues pourrait venir à l’automne.

M. Picard affirme que le « gouvernement ne possède pas la compétence pour légiférer sur des sujets qui n’appartiennent qu’aux Premières Nations, dont leurs langues et autres spécificités culturelles ».

« J’ai reçu un [message texte] du ministre quelques minutes avant le dépôt du projet de loi, ça manque de courtoisie », déplore le chef Picard en entrevue. « Nous aussi en termes de sécurisation culturelle, on a des principes qu’on veut voir protéger, mais encore une fois, on va être pris devant le carcan habituel d’un projet de loi, d’aller en commission parlementaire », énumère M. Picard.

On va prendre le temps, on va dépenser des énergies qu’on n’a pas en trop et en bout de ligne, il n’y a pas rien qu’on va avancer qui va être considéré.

Ghislain Picard, chef de l’APNQL

Le ministre Lafrenière rétorque : « J’ai fait 14 rencontres de gens qui avaient des opinions différentes, la commission Viens le recommandait […] on continue d’avancer et il y aura des consultations à l’automne. Il sera de mise pour lui de venir nous expliquer ce qu’il pense », a indiqué M. Lafrenière, vendredi.

Des « éléments manquants »

Femmes Autochtones du Québec et le Bureau du Principe de Joyce de la communauté de Manawan approuvent « l’ensemble des principes de la sécurisation culturelle contenus » dans le projet de loi, mais déplorent que certains « éléments manquants » alors que le Principe de Joyce demande la reconnaissance du racisme systémique, ce que le gouvernement Legault refuse de faire.

« Le projet de loi actuel ne peut agir à titre de remplacement de l’adoption du Principe de Joyce en tant que tel. Le gouvernement passe outre nos recommandations et fait preuve d’incohérence, d’un côté en s’inspirant du Principe de Joyce, mais de l’autre, en refusant une fois de plus de l’adopter », écrit la directrice générale du Bureau du Principe de Joyce, Jennifer Petiquay-Dufresne.

Changement au Code des professions

Le projet de loi contient une surprise, alors que le gouvernement veut aussi en profiter pour modifier le Code des professions afin de permettre des assouplissements pour certaines activités professionnelles réalisées par des Autochtones. C’est dans « le but de favoriser l’accès des Autochtones aux services professionnels dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines », indique le texte législatif.

Le gouvernement souhaite procéder par règlement et après consultation des communautés autochtones pour « déterminer les conditions et les modalités suivant lesquelles des Autochtones, qui ne satisfont pas aux conditions de délivrance d’un permis de l’un des ordres professionnels, peuvent exercer, sur un territoire déterminé » certaines activités professionnelles réservées comme :

  • Évaluer une personne dans le cadre d’une décision du directeur de la protection de la jeunesse ou du tribunal en application de la Loi sur la protection de la jeunesse.
  • Évaluer un adolescent dans le cadre d’une décision du tribunal en application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
  • Déterminer le plan d’intervention pour une personne atteinte d’un trouble mental ou présentant un risque suicidaire qui est hébergée dans une installation d’un établissement qui exploite un centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation.

C’est dans la foulée de la mort tragique de Joyce Echaquan, en septembre 2021, que le gouvernement Legault s’était engagé à légiférer sur la sécurisation culturelle. Québec avait reculé sur son engagement lors de la dernière législature et avait promis de le faire s’il obtenait un second mandat. L’APNQL avait par ailleurs déploré ce premier recul.