Le feu est assurément une des grandes découvertes de l’histoire de l’humanité. Mais en a-t-on perdu la maîtrise ? C’est la question qu’on se pose à la lecture de Fire Weather, ouvrage de John Vaillant, selon qui les incendies de forêt sont de plus en plus incontrôlables, en plus de rejeter quantité de CO2 dans l’air. Entrevue.

Pour l’auteur et journaliste américano-canadien John Vaillant, les incendies de forêt suivent les mêmes schémas de croissance que les grandes entreprises de ce monde comme Standard Oil, Walmart et Amazon. « Lorsqu’ils ont atteint une certaine taille, ces incendies sont en mesure de dicter leurs propres conditions à travers le monde, dit-il. Même si cela détruit l’écosystème qui leur a permis de devenir si puissants. »

Percutante, la métaphore renvoie au concept général de son essai Fire Weather, selon lequel la surconsommation des énergies fossiles se retourne contre les humains, notamment par l’entremise des changements climatiques et d’un assèchement accéléré des forêts.

Il n’y a donc pas d’ironie ni de coïncidence dans le fait que l’ouvrage de M. Vaillant arrive en librairie alors que le Québec, la Nouvelle-Écosse et d’autres régions du Canada sont aux prises avec d’importants brasiers forestiers. « Nous sommes dans une tendance, dit-il en entrevue téléphonique avec La Presse depuis Portland, en Oregon. Ce qui se passe actuellement s’inscrit dans la continuité. C’est commencé depuis le début des années 2000. »

Le très grave incendie survenu en mai 2016 à Fort McMurray, en Alberta, est au cœur de la démonstration extrêmement détaillée, tant d’un point de vue scientifique qu’historique, de l’ouvrage. Mais il n’y a pas que celui-là. John Vaillant nous renvoie à l’incendie dévastateur de Slave Lake, en Alberta (2001), à celui de Lytton, en Colombie-Britannique (2021) ou à ceux d’Australie et de Californie survenus dans les dernières années.

« Les mauvais effets du brûlage massif du pétrole nous rattrapent, estime M. Vaillant. On a surchargé l’atmosphère et les mers de CO2. Notre maîtrise du feu nous a permis d’atteindre la prospérité et un bien-être enviables et jamais vécus auparavant par un aussi grand nombre de gens. C’est bien. Mais ce qui ne l’est pas est que chaque fois que l’on brûle quelque chose, on produit des émissions polluantes. »

Et le Québec aussi…

Or, au fil des ans, les scientifiques ont noté un assèchement progressif des forêts, poursuit M. Vaillant. Celles-ci deviennent chaque jour plus susceptibles de s’embraser, ne serait-ce qu’au passage d’un train dont le frottement des roues sur les rails crée des étincelles.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR

John Vaillant

L’Alberta est devenue une véritable poudrière, dit-il à cet effet. Et c’est aussi le cas au Québec, où l’on trouve un système forestier très semblable et qui s’assèche. Si vous parlez à n’importe quel hydrologiste forestier, il vous dira que cette tendance à l’assèchement est en cours depuis des décennies.

John Vaillant

Joint par La Presse, Christian Messier, ingénieur forestier et professeur d’écologie forestière à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université du Québec en Outaouais, explique que cette situation est attribuable aux printemps hâtifs, où les arbres feuillus n’ont pas le temps de jouer un de leurs rôles. « Plus il y a de feuillus dans une forêt et plus la susceptibilité au feu diminue. Car leurs feuilles ne brûlent pas bien, contrairement aux aiguilles de conifères pleines de résine », dit ce dernier, qui a récemment publié une lettre ouverte sur nos plateformes pour une intervention plus forte des gouvernements sur la gestion de la forêt.

Lisez la lettre ouverte de Christian Messier

Il précise toutefois que certaines régions du Québec et du Canada seront plus enclines que d’autres à être vulnérables au feu, et ce, en raison de la variabilité des conditions météo qu’entraînent les changements climatiques. « Les risques vont être plus élevés dans l’ouest que dans l’est du Canada et dans l’ouest du Québec [là où on trouve des incendies aujourd’hui] que dans l’est », estime M. Messier.

Lorsqu’on signale ses qualités de vulgarisateur à John Vaillant, ce dernier indique avoir voulu se mettre dans la peau de monsieur et madame Tout-le-Monde. « Les scientifiques intéressés par le climat, qui s’inquiètent profondément des changements dans le monde, du sort de la planète, ne sont pas nécessairement de bons conteurs », dit-il sans un gramme de méchanceté. « Alors, j’ai essayé de les comprendre, comme une personne normale, et de synthétiser leur science pour des personnes comme vous et moi. »

Une collision frontale

Né aux États-Unis, vivant à Vancouver et ayant la double nationalité canado-américaine, John Vaillant en est à son quatrième ouvrage avec Fire Weather. Lauréat d’un prix du Gouverneur général du Canada pour son livre The Golden Spruce, il voit un lien entre chacun de ses ouvrages.

« Comme tous les autres, mon nouveau livre s’intéresse à la collision entre l’ambition humaine et la nature, dit-il. Mais il a été fait dans une urgence que les autres n’avaient pas. Il est le seul à s’intéresser à des évènements actuels et qui se déroulent à une vitesse folle. Cette collision entre nature sauvage et civilisation risque de libérer une immense énergie, comme si deux plaques tectoniques se broyaient l’une l’autre. »

Fire Weather

Fire Weather

432 pages

En savoir plus
  • Imprévisible feu
    Les volcans peuvent être dévastateurs, mais ils sont fixés dans l’espace géographique et donnent généralement l’alerte ; les armes nucléaires sont également dévastatrices, mais elles sont régies par des traités internationaux et déclenchées intentionnellement par des êtres humains. Le feu est différent : il a son propre programme qui se manifeste comme quelque chose qui s’apparente à la volonté, et il est aidé, souvent involontairement, par les êtres humains. L’incendie de Chisholm a été déclenché par une étincelle provenant du passage d’un train de marchandises.
    extrait de fire weather (traduction libre)
    À ses débuts…
    Les conséquences de la combustion de millions d’années d’énergie fossile accumulée en l’espace de quelques décennies seront permanentes et dramatiques. Les effets influenceront tout ce qui compte de plus de manières que nous ne pouvons l’imaginer dans un avenir prévisible et probablement bien plus longtemps. À la lumière de ce qui précède, il est presque insupportable de considérer que notre bilan en matière de CO2 industriel n’en est qu’à ses débuts et que les générations futures porteront ce fardeau bien plus lourdement que nous ne le faisons aujourd’hui.
    extrait de fire weather (traduction libre)