(Ottawa) Le Canada n’offrira pas d’exemption globale aux lois sur le terrorisme pour les travailleurs humanitaires dans des pays tels que l’Afghanistan, puisque cette approche, adoptée par certains alliés du Canada, risquerait d’être utilisée à mauvais escient, selon le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino.

« L’approche décrite dans le projet de loi C-41 est celle qui permet le mieux d’atténuer les risques encourus par les acteurs terroristes potentiels », a affirmé M. Mendicino lors de son témoignage devant le comité permanent de la justice de la Chambre des communes, lundi.

Le ministre venait ainsi répondre aux questions des élus au sujet du projet de loi qu’il a déposé le mois dernier. Celui-ci vise à modifier le Code criminel pour permettre aux travailleurs humanitaires canadiens d’exercer leurs fonctions dans des zones contrôlées par des terroristes sans être poursuivis pour avoir aidé par inadvertance de tels groupes.

Ce projet de loi a été déposé plus d’un an après que certains alliés du Canada ont accordé des exemptions générales aux travailleurs humanitaires pour qu’ils puissent poursuivre leur travail en Afghanistan, en réponse à la prise de contrôle de Kaboul par les talibans en août 2021.

La législation canadienne adopte une approche différente de celle des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne. Elle permet aux travailleurs humanitaires de demander une dérogation pour aider les personnes en situation de crise dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste.

Des groupes humanitaires affirment toutefois qu’il y a plus d’un an, Affaires mondiales Canada les a avertis que l’achat de marchandises ou l’embauche de personnel local en Afghanistan impliquerait le paiement de taxes aux talibans, ce qui serait considéré par la loi comme une contribution financière à un groupe terroriste.

Un premier pas

De nombreux groupes humanitaires ont salué le changement proposé dans le projet de loi C-41, mais Médecins sans frontières a plutôt estimé qu’Ottawa devrait accorder une exemption générale aux travailleurs humanitaires, au lieu d’exiger que les groupes demandent des permis.

« Ces amendements créent malheureusement de nouveaux obstacles bureaucratiques que les organisations doivent surmonter », a dénoncé l’organisme dans un communiqué de presse publié le mois dernier.

Médecins sans frontières a également fait valoir que la législation pourrait créer une approche inégale, tout en rappelant que si un groupe se voit refuser son permis – même pour des raisons administratives – il devra interrompre ses activités.

« Ces amendements contredisent également les principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité de l’aide humanitaire en vertu du droit international humanitaire », selon l’organisme.

Une approche prudente, selon le ministre

Lors de son témoignage, M. Mendicino a expliqué qu’Ottawa craignait qu’une approche d’exemption globale permette aux groupes terroristes de tirer un avantage.

« Notre gouvernement a envisagé tous les recours possibles, y compris la possibilité d’une exemption humanitaire à la loi existante. Cependant, une dérogation statutaire n’offrirait pas, selon nous, les mêmes contrôles et équilibres de sécurité et risquerait d’entraîner des abus de la disposition », a soutenu M. Mendicino.

« Nous devons trouver cet équilibre et le faire de manière à promouvoir la transparence et la responsabilité, tout en conservant le sentiment d’urgence qui, je pense, unit tous les parlementaires, pour que l’aide parvienne à l’Afghanistan. »

La porte-parole du NPD en matière d’Affaires étrangères, Heather McPherson, a rejeté cet argument. Elle a donc demandé au ministre pourquoi d’autres pays ont choisi d’aller de l’avant avec des exemptions générales.

« Le Canada est le seul pays à avoir érigé des barrières pour les organisations humanitaires, au lieu de faciliter leur travail sur le terrain pour aider les Afghans », a-t-elle dénoncé.

Le porte-parole conservateur en matière de Développement international, Garnett Genuis, a quant à lui demandé à M. Mendicino un échéancier approximatif pour l’entrée en vigueur de la législation.

Le ministre s’est toutefois contenté de dire que les demandes d’exemption seraient traitées rapidement une fois le système mis en place.

Un pays en crise

L’Afghanistan est aux prises avec une malnutrition croissante et une économie qui s’est largement effondrée.

Des organisations humanitaires, comme Vision mondiale Canada, ont indiqué qu’elles ont souvent besoin de dons du public pour soutenir leur travail en Afghanistan, mais que les lois en vigueur les empêchaient de récolter ces fonds.

Ces organismes font donc pression depuis des mois pour que le Code criminel soit modifié, ce que des députés de tous les partis ont demandé en juin dernier.

Jusqu’à présent, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et l’Australie ont tous accordé des exemptions générales au lieu d’exiger des permis individuels.

Le budget fédéral adopté le mois dernier prévoit 5 millions pour l’exercice en cours afin d’examiner les demandes et délivrer les exemptions.