(Washington) Un nouveau front dans la guerre américaine contre la drogue s’ouvre – et le Canada a un siège à la table pour élaborer la stratégie.

De hauts dirigeants du cabinet du président Joe Biden, dont le procureur général, Merrick Garland, et le secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, seront à Ottawa dans les prochaines semaines pour discuter d’une offensive contre le fentanyl.

Le programme du Forum sur la criminalité transfrontalière Canada–États-Unis de cette année n’est toujours pas confirmé, mais cette rencontre interviendra après des réunions stratégiques à la Maison-Blanche, la semaine dernière, entre des responsables de la sécurité nationale et des diplomates des États-Unis, du Canada et du Mexique.

L’objectif principal, parmi d’autres problèmes d’application de la loi : faire face à la croissance exponentielle des opioïdes synthétiques, en particulier le fentanyl, un fléau que la Maison-Blanche décrit comme « la principale menace liée à la drogue en Amérique du Nord ».

Il s’agit d’un « objectif partagé » entre le Canada et les États-Unis, a déclaré le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, qui participera aux réunions d’Ottawa aux côtés de son collègue de la Justice, David Lametti. « Il s’agit de créer une relation solide entre nos deux pays dans ce qui est devenu une véritable crise », a déclaré M. Mendicino.

Et même si les deux pays seront toujours de proches partenaires en ce qui concerne les objectifs communs d’application de la loi et de sécurité nationale, le ministre Mendicino a précisé que le Canada préconisera également des « approches fondées sur des données probantes » pour ajouter une composante de santé publique à cette lutte.

« Le Canada a également un rôle important à jouer pour soutenir une approche de santé publique lorsqu’il s’agit de réduire les traumatismes et les méfaits sociaux causés par les opioïdes, y compris le trafic de fentanyl », a-t-il précisé.

Jeudi dernier, la conseillère américaine à la sécurité intérieure Elizabeth Sherwood-Randall a organisé une réunion à la Maison-Blanche avec son homologue canadienne, Jody Thomas, et avec Rosa Icela Rodríguez, secrétaire mexicaine à la sécurité.

Elles ont présenté un front commun sur quatre éléments clés : les drogues synthétiques actuelles et émergentes, la demande de drogue et la santé publique, les méthodes des trafiquants, et le ciblage de leurs opérations financières.

L’objectif est de perturber le transfert, la facilitation et l’approvisionnement en fentanyl illicite, ses précurseurs chimiques et les équipements de fabrication de drogue comme les presses à comprimés avant même qu’ils ne puissent pénétrer dans l’hémisphère, a déclaré la Maison-Blanche.

La délégation canadienne comprenait également l’ambassadrice américaine Kirsten Hillman et Ramzi Nashef, chef de cabinet de la conseillère à la sécurité nationale et au renseignement du premier ministre Justin Trudeau, Jody Thomas.

Les filières mexicaines

Les défis pour les deux pays sont résolument différents, si l’on en croit l’approche américaine en matière d’application de la loi.

Une répression conjointe des douanes et de la protection des frontières et de la patrouille frontalière américaine, qui a commencé le mois dernier, a permis la saisie de plus de 2200 kilos de fentanyl au cours des quatre premières semaines seulement, selon les agences.

L’essentiel de cette drogue est entré depuis le Mexique, illustrant à quel point la crise des opioïdes est politiquement liée au défi migratoire omniprésent auquel les États-Unis sont depuis longtemps confrontés à leur frontière sud.

La police et les agents frontaliers au Canada ont également intercepté d’importantes cargaisons de précurseurs chimiques du fentanyl et d’autres opioïdes, qui sont aussi considérés comme « substances contrôlées ».

Le mois dernier, des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada en Colombie-Britannique ont procédé à deux arrestations et saisi des précurseurs équivalents à environ 262 millions de doses de fentanyl. En 2021, l’Agence des services frontaliers du Canada a saisi une cargaison de 1500 kilos, l’équivalent de deux milliards de doses.

Les États-Unis ont également pris plusieurs autres mesures draconiennes, vendredi, notamment en portant des accusations contre les trafiquants du cartel de Sinaloa, de nouvelles sanctions du département du Trésor contre les fournisseurs chinois de précurseurs chimiques, et de nouvelles récompenses de plusieurs millions de dollars pour les informations pouvant mener à l’arrestation ou à la condamnation de 27 passeurs connus.

Mais le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, n’a pas facilité les choses dernièrement. Le mois dernier, il a imputé la crise américaine à la « désintégration des familles » et « au manque d’amour, de fraternité, de câlins et d’étreintes » aux États-Unis. Il y a deux semaines, il a accusé les États-Unis de « menaces grossières » et d’une « attitude démagogique » dans une lettre qu’il a écrite au président chinois, Xi Jinping, demandant à ce pays de bloquer les expéditions de précurseurs chimiques du fentanyl.

Et lundi, le président López Obrador a conclu l’une de ses célèbres conférences de presse interminables avec une caricature éditoriale représentant une version musclée de l’Oncle Sam lançant des seringues hypodermiques sur une carte du Mexique.

Cette colère pourrait être alimentée par un projet de loi des républicains qui ciblerait neuf des plus grands cartels de la drogue mexicains et les désignerait comme des organisations terroristes – une étape que les critiques décrivent comme s’apparentant littéralement à une « guerre contre la drogue ».

L’idée a été approuvée par plusieurs candidats républicains à la présidence, dont Donald Trump, qui a songé en tant que président à lancer des opérations antiterroristes au Mexique, avant que les membres de son cabinet n’interviennent.