Au cœur de la nuit, les intervenants d’Interligne, ligne d’écoute destinée à la population LGBTQ+, soutiennent des personnes en détresse. Le 31 mars, ce service nocturne risque de disparaître, faute de financement. La Presse y a passé quelques heures.

1 h 13 du matin, au milieu d’une nuit du mois de mars. Le téléphone sonne dans les locaux d’Interligne, dans l’est du Plateau-Mont-Royal. Au bout du fil, un homme en pleurs. Sa vie vient d’être bouleversée en raison d’un épisode de violence conjugale de la part de son conjoint.

« Est-ce que tu es en sécurité présentement, autant chez toi que dans ta tête ? », demande Olivier, l’intervenant en poste.

Dans l’imposant silence de la nuit, Olivier hoche la tête, casque d’écoute sur les oreilles. À intervalles réguliers, d’une voix douce, il répond à son interlocuteur :

« Le fait que tu aies téléphoné ce soir, ça en dit beaucoup sur ta force. »

« J’entends tes pleurs. »

« C’est important d’utiliser ta voix pour dénoncer. »

Cet homme raccroche une vingtaine de minutes plus tard, calmé. Et il prend la peine de rappeler dans la nuit, pour donner des nouvelles et dire qu’il se sent mieux.

Fermeture imminente

Si cet homme avait appelé quelques semaines plus tard, il se serait possiblement buté au silence. Le service de nuit d’Interligne devrait fermer à la fin du mois, faute de financement, a annoncé son directeur général, Pascal Vaillancourt.

L’organisme a lancé une collecte de fonds pour tenter de sauver son service. Mais « même si on y arrive, le problème, c’est la récurrence [du financement], a expliqué M. Vaillancourt en entrevue. On n’a pas les moyens de partir en campagne de levée de fonds ou de médiatisation chaque année. »

Au total, environ 10 000 interventions sont réalisées la nuit chaque année par l’organisme, selon M. Vaillancourt.

Crises existentielles, isolement, homophobie et transphobie, violence physique et psychologique, problèmes de consommation, de santé mentale ou de psychiatrie, prévention du suicide : les gens qui appellent la nuit le font souvent parce que « la goutte a fait déborder le vase », fait remarquer Olivier, employé de l’organisme depuis deux ans.

Pour lui, il est évident que la détresse est plus aiguë dans l’obscurité. « Il y a des jeunes pour qui c’est souvent le seul moment, dans leur chambre, pour s’ouvrir anonymement, illustre-t-il. Des parents aussi. J’ai aussi eu de gros appels suicidaires qui durent plus d’une heure. »

Financement insuffisant

Au total, 22 750 contacts ont été établis en 2021-2022 avec la ligne d’écoute d’Interligne, que ce soit par téléphone ou par clavardage, selon le dernier rapport annuel de l’organisme. Deux appels sur dix touchent directement la santé mentale.

À titre comparatif, la ligne d’écoute de Suicide Action Montréal, organisme de prévention du suicide, a reçu 25 192 demandes d’aide dans la même période.

Le budget annuel d’Interligne est pourtant bien en deçà de celui des autres lignes d’écoute, dénonce M. Vaillancourt.

Le financement de l’organisme est de 362 534 $ pour 2022-2023, a confirmé le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à La Presse. M. Vaillancourt estime avoir besoin du double pour pouvoir fonctionner.

L’importance de services spécialisés

« Les services à la population générale peuvent faire revivre de l’homophobie ou de la transphobie à une personne LGBTQ+ », a expliqué Marie-Claude Gendron, directrice des communications de l’organisme, rencontrée sur place.

Les intervenants d’Interligne sont donc formés pour prendre en charge tous les appels de détresse, y compris les crises suicidaires.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Pascal Vaillancourt, directeur général d’Interligne

Selon un sondage pancanadien réalisé en 2017 par la Fondation Jasmin Roy, 13 % de la population canadienne est LGBTQ+.

Le MSSS a indiqué à La Presse reconnaître « l’importance des organismes communautaires et leur rôle crucial pour la population ». Dans la foulée, il a précisé que la ligne Info-Social 811 et la ligne québécoise de prévention du suicide sont présentes pour répondre aux besoins des Québécois.

Mais des appels à Interligne sont justement transférés par… Info-Social, relève Mme Gendron.

Des salaires sous le seuil 

Autre conséquence du sous-financement chronique de l’organisme : des salaires maigres, même comparativement aux autres organismes communautaires.

Le service compte une vingtaine d’intervenants et entre 60 et 80 bénévoles.

Malgré une récente bonification, le salaire d’entrée chez Interligne est de 17 $ de l’heure, soit à peine plus que le salaire minimum, qui sera de 15,25 $ de l’heure dès le 23 mai, déplore M. Vaillancourt. Et ce, même si les intervenants ont des diplômes d’études supérieures.

Une situation inacceptable, selon Mme Gendron. « Ce n’est pas normal de travailler à temps plein et de te demander si tu vas pouvoir payer ton loyer. »

En savoir plus
  • Que signifie LGBTQ+ ?
    Le sigle LGBTQ+fait référence aux personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queer et aux autres orientations sexuelles et identités de genre.
  • 24,4 %
    Proportion des appels effectués la nuit à Interligne en 2021-2022
    Source : Rapport annuel 2021-2022 d’Interligne
  • 19,1 %
    Proportion des appels touchant la santé mentale et les idées suicidaires chez Interligne en 2021-2022
    Source : Rapport annuel 2021-2022 d’Interligne