(Québec) Le gouvernement Legault doit renoncer au dépôt de ses projets de loi sur les langues autochtones et sur la sécurisation culturelle – deux engagements caquistes –, réclame l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL). Pour le chef Ghislain Picard, Québec n’a pas à légiférer sur les compétences des Premières Nations.

C’est un nouveau bras de fer qui se dessine entre les Premières Nations et le gouvernement Legault. Le chef de l’APNQL Ghislain Picard demande au premier ministre François Legault de reculer sur son engagement électoral de présenter une « loi 101 » visant à protéger les langues autochtones. Il lui enjoint aussi d’abandonner son projet de loi sur la sécurisation culturelle, qui doit être déposé d’ici quelques semaines.

« Votre gouvernement ne possède pas la compétence pour légiférer sur des sujets qui n’appartiennent qu’aux Premières Nations, dont leurs langues et autres spécificités culturelles », écrit le chef Ghislain Picard dans une lettre adressée à M. Legault, le 8 mars. Dans la missive consultée par La Presse, Ghislain Picard soutient que l’intention du gouvernement d’adopter des lois s’appliquant aux Premières Nations est « inacceptable ».

Le gouvernement québécois ne peut imposer ses lois aux Premières Nations, qui ne relèvent pas de son autorité, a expliqué M. Picard en entrevue. « À la base, ce qu’on dit, c’est : qui est le premier responsable de développer [des lois pour sa population] ? Le Québec [le fait] et on jouit de la même capacité. C’est respecter cette capacité-là, ce que le gouvernement contredit », a-t-il indiqué.

« C’est particulier », a réagi le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière. « Ce n’est pas ce qu’on me dit sur le terrain, mais je l’entends », a ajouté le ministre en entrevue.

Les positions de l’APNQL, qui est composée des chefs de 43 communautés autochtones, « font consensus », a assuré de son côté M. Picard.

Ian Lafrenière est sur le point de déposer son projet de loi qui vise à enchâsser le principe de sécurisation culturelle dans la Loi sur la santé et des services sociaux. Il s’agit d’un engagement pris dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan, en septembre 2020, ainsi qu’une recommandation de la commission Viens.

C’est aussi une demande des Premières Nations. L’APNQL avait d’ailleurs fortement dénoncé le recul du gouvernement Legault qui avait renoncé à procéder dans le dernier mandat. Ce que le chef Picard propose dans sa lettre est que Québec introduise plutôt la sécurisation culturelle dans la loi « en conformité avec les besoins réels des Premières Nations par le biais d’une consultation véritable ».

« On veut se donner des obligations comme gouvernement. Comme j’ai dit à quelqu’un récemment : “Mes collègues députés et ministres ne font pas la file devant mon bureau pour me mettre de la pression pour faire ces projets de loi là, on le fait pour les Premières Nations” », a rétorqué M. Lafrenière. Il affirme que son gouvernement, « pour l’instant, garde le cap » sur ses deux engagements.

Appel à reconnaître le racisme systémique

Selon l’APNQL, Québec ne peut présenter un projet de loi sur la sécurisation culturelle avec l’appui des Premières Nations s’il ne reconnaît pas l’existence du racisme et de la discrimination systémiques dans les établissements de santé du réseau québécois.

Ghislain Picard était d’ailleurs à l’Assemblée nationale, jeudi alors que Femmes autochtones du Québec (FAQ) déposait une pétition de 4000 signatures demandant au gouvernement Legault de reconnaître l’existence du racisme systémique et d’adopter le principe de Joyce.

PHOTO KAROLINE BOUCHER, LA PRESSE CANADIENNE

Au centre, Marjolaine Étienne, présidente de Femmes autochtones du Québec et Sipi Flamand, chef de Manawan, à sa gauche.

« Si le gouvernement ne reconnaît pas le racisme systémique, puis qu’il veut faire un projet de loi sur la sécurisation culturelle, c’est comme mettre un bandage sur une problématique », a fait valoir jeudi le chef de Manawan, Sipi Flamand.

[Le gouvernement] ne répond pas aux grands enjeux de fond dans les communautés autochtones, dans les relations aussi qu’il y a envers les communautés autochtones.

Sipi Flamand, chef de Manawan

Plus tôt jeudi, le ministre Lafrenière avait déjà fermé la porte à la demande de FAQ. Malgré des appels répétés, le gouvernement Legault refuse de reconnaître l’existence du racisme systémique au Québec. « Dire que ça ne donne rien, ce qu’on fait, si on ne reconnaît pas le racisme systémique, j’entends, mais je n’adhère pas à ça », a répété le ministre en entrevue.

Pas de loi sur les langues autochtones

L’APNQL avait prévenu le premier ministre dès le 16 août dernier qu’elle contestait « formellement [ses] intentions législatives » sur les langues autochtones. Quelques semaines plus tard, en pleine campagne électorale, François Legault promettait un projet de loi pour les protéger « de la même façon qu’on protège le français avec la loi 101 ».

Ian Lafrenière affirme « ne pas avoir la prétention de protéger [les langues] à leur place » et souhaite plutôt leur donner les « outils » pour le faire et « se donner des obligations comme gouvernement ».

Ce projet de loi doit venir à l’automne 2023. Tout comme dans le cas de celui pour la sécurisation culturelle, le ministre Ian Lafrenière assure que des consultations avec les principaux groupes se tiennent en amont.

Les Premières Nations avaient demandé d’être exemptées de la « loi 96 » sur la protection du français, ce qui leur avait été refusé. M. Picard avait été refroidi après son passage en commission parlementaire sur le projet de loi 96 et celui de la réforme de la protection de la jeunesse l’an dernier, déplorant que les Premières Nations se prêtent à l’exercice du gouvernement sans que leurs recommandations soient retenues.