(Québec) Le gouvernement Legault rouvre la Loi sur la police pour encadrer – et non interdire – les interpellations aléatoires et lutter contre le profilage racial.

Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, déposera un projet de loi en ce sens au cours des prochains jours – il devait le faire dès mardi, mais il se rendra plutôt à Amqui en raison de la tragédie survenue lundi. C’est une nouvelle mouture d’un texte législatif que sa prédécesseure Geneviève Guilbault avait déposé dans le précédent mandat et qui était mort au feuilleton.

Le projet de loi de François Bonnardel serait semblable. Ainsi, il étendrait le pouvoir du ministre d’établir des lignes directrices et d’exiger l’absence de discrimination dans les activités policières. La formation continue des policiers serait améliorée pour lutter contre le profilage racial. Et le processus de plainte en déontologie policière serait également plus accessible, selon ce que disait le ministre de la Sécurité publique.

Son projet de loi fait suite, en partie, au rapport du Groupe d’action contre le racisme que le premier ministre François Legault avait créé en juin 2020 dans la foulée de la mort de l’Afro-Américain George Floyd, étouffé sous le genou du policier Derek Chauvin.

Or, dans son rapport déposé en décembre 2020, le groupe d’action, composé de trois ministres et de quatre députés caquistes, demandait de « mettre fin aux cas de discrimination policière » et, surtout, de « rendre obligatoire l’interdiction des interpellations policières aléatoires ».

« Pour qu’une interpellation ait lieu, il faut un motif clair de la part des forces de l’ordre. Cette pratique n’a pas force de loi. Le Groupe d’action recommande qu’elle soit rendue obligatoire, en l’intégrant dans le code déontologique des policiers. Il sera ainsi possible de sanctionner en déontologie ou en discipline un policier qui ne la respecterait pas. Cette mesure permettra de réduire considérablement le profilage racial, voire de l’éliminer », peut-on lire.

Le coprésident du groupe d’action, le ministre Lionel Carmant, livrait un témoignage personnel dans le rapport : « Plus jeune, j’ai vécu du racisme. Je me suis fait interpeller quelques fois de façon aléatoire parce que je roulais avec la voiture de mes parents. Je me suis toujours dit par la suite que je ne voulais pas que mes enfants et mes petits-enfants aient à subir ça dans leur vie. »

Le gouvernement Legault n’a pas retenu cette recommandation du groupe d’action, tout en se disant favorable à un meilleur encadrement des interpellations aléatoires. Selon lui, cet outil peut être utile aux policiers et être justifié dans certains contextes.

En novembre dernier, Québec a d’ailleurs décidé de porter en appel un jugement de la Cour supérieure ordonnant la fin des interpellations aléatoires.

« Injustifié » d’abolir les interpellations aléatoires

Dans une décision rendue publique le 25 octobre, le juge Michel Yergeau a déclaré que les règles autorisant les interceptions routières sans motif réel enfreignent la Charte canadienne des droits et libertés. Ce pouvoir arbitraire sert à certains policiers de « sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire », selon lui.

« Le profilage racial existe bel et bien. Ce n’est pas une abstraction construite en laboratoire. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Elle se manifeste en particulier auprès des conducteurs noirs de véhicules automobiles. Les droits garantis par la Charte ne peuvent être laissés plus longtemps à la remorque d’un improbable moment d’épiphanie des forces policières », a conclu le juge.

François Legault avait réagi en disant qu’« il faut laisser les policiers faire leur travail » et qu’il a confiance en leur jugement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel

« Nous considérons injustifié d’abolir un article aussi important pour les corps de police. Nous jugeons qu’il y a une manière de mieux l’utiliser », affirmait François Bonnardel au moment de confirmer que le gouvernement interjetait appel.

Le ministre et son collègue responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete – qui était membre du groupe d’action –, avaient alors annoncé des mesures « pour lutter contre les possibles situations de profilage racial et social dans les différents corps de police ».

Parmi elles, il y a l’ajout de 45 heures de formation au programme d’études en techniques policières consacrées aux interventions faites auprès des personnes issues de communautés culturelles, ethniques et autochtones. Les deux ministres ont mené des consultations en janvier à Montréal en vue de renforcer la lutte contre le profilage racial dans les corps de police.