Des femmes intoxiquées au GHB à leur insu n’en peuvent plus : elles estiment que la drogue du viol est trop répandue dans les bars et elles ne s’y sentent plus en sécurité. L’Assemblée nationale a reconnu que ces empoisonnements sont un « fléau » dans une motion adoptée à l’unanimité, mercredi.

Dans un bar de la rue Saint-Denis, Sandrine Pelletier a senti son corps ramollir et elle s’est effondrée, endormie, dans une cabine de toilette, en janvier dernier. La jeune femme de 19 ans n’a aucun souvenir de cette partie de la soirée. C’est son amie qui le lui a raconté.

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Sandrine Pelletier est convaincue d’avoir été droguée au GHB contre son gré en janvier dernier dans un bar de la rue Saint-Denis.

Sandrine Pelletier est convaincue d’avoir été droguée au GHB contre son gré. « J’en ai parlé à plusieurs amies et elles m’ont toutes répondu : “ça m’est arrivé à moi aussi”. Je ne savais pas que c’était aussi pire que ça », dit celle qui a contacté La Presse, parce qu’elle est découragée que le problème de la drogue du viol soit aussi banalisé.

C’est difficile de vivre une aussi grande perte de contrôle, d’oublier des bouts et de ne pas comprendre ce qu’il s’est passé. N’y a-t-il pas de solutions ? Est-ce que des capuchons pour les verres pourraient être distribués ? Est-ce que le staff devrait être mieux conscientisé ?

Sandrine Pelletier

Son amie Léa Tanguay croit aussi avoir été intoxiquée au GHB dans un bar de la rue Beaubien Est, il y a un an. Ses amies ont veillé à sa sécurité et l’ont raccompagnée à la maison, mais elle garde un goût amer de cette soirée.

« Je suis tannée. Je ne me sens pas en sécurité de faire des activités qui sont normales, que j’ai le droit de faire. C’est tannant de toujours devoir assurer ses arrières, de toujours devoir surveiller nos amies. On est tout le temps en situation de vigilance parce qu’on ne sait jamais quand ça va arriver et si ça arrive, ça peut être super dangereux », soutient la jeune femme de 20 ans.

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Léa Tanguay croit avoir été intoxiquée au GHB dans un bar de la rue Beaubien Est, il y a un an.

Sandrine Pelletier et Léa Tanguay sont persuadées d’avoir été droguées, mais elles n’en auront jamais la certitude. Elles n’ont pas passé de test de dépistage dès qu’elles ont repris connaissance. Or, le GHB reste à peine six heures dans le sang et de 10 à 12 heures dans l’urine.

« En anglais, on dit quick in, quick off, c’est-à-dire que les effets commencent très vite, en 20 minutes environ, ils durent quelques heures, puis la drogue disparaît assez rapidement », explique le DMartin Laliberté, du Centre universitaire de santé McGill. La drogue du viol crée un état de somnolence, d’euphorie, une perte de connaissance et de mémoire.

« Un fléau qui menace la sécurité »

Mercredi, le député André A. Morin, de l’Acadie, a déposé une motion pour que l’Assemblée nationale « prenne acte que les empoisonnements au GHB, aussi connu sous le nom de drogue du viol, sont un fléau qui menace la sécurité des Québécoises et des Québécois ». La motion, adoptée à l’unanimité par les députés, rappelle qu’il est difficile d’évaluer avec exactitude l’ampleur du problème en raison du « faible laps de temps pendant lequel cette drogue peut être détectée ».

Le Dr Martin Laliberté, urgentologue et toxicologue, parle lui aussi du GHB comme d’un « problème très présent » et d’une drogue « très fréquente dans les bars ». La substance liquide, incolore et inodore passe inaperçue dans une consommation alcoolisée.

Le DLaliberté affirme toutefois que les médecins d’urgence ont des réserves à faire des tests de dépistage du GHB à cause de la courte durée de vie de la drogue et des analyses particulièrement complexes à réaliser. Seuls deux laboratoires au Québec ont les spécialistes et l’équipement requis pour détecter le GHB.

Aussi, les urgentologues prescrivent des tests d’analyse lorsque les résultats risquent d’influencer le traitement du patient, dit-il, ce qui n’est pas le cas avec le GHB.

Le DLaliberté affirme donc que le problème ne doit pas reposer uniquement sur les tests de dépistage dans les urgences, mais aussi sur la prévention.

Le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel parle aussi d’une « responsabilité collective ». Le gouvernement pourrait mettre en place un « corridor de service » pour que les victimes soient testées le plus rapidement possible, soumet Justine Chénier, responsable des communications de l’organisme. Les bars et les restaurants pourraient mieux former leur personnel pour détecter le GHB et pour soutenir les victimes, ajoute-t-elle.

« Quand quelqu’un verse du GHB dans un verre, il y a souvent des témoins. Quand on parle de prévention et de sensibilisation, c’est l’idée de rendre les témoins actifs et positifs. C’est l’idée de se mobiliser quand on est témoin de cet acte », explique Mme Chénier. La dernière campagne de sensibilisation au sujet du GHB date toutefois de plusieurs années, dit-elle.

« Il ne faut pas que la responsabilité repose seulement sur les femmes, ajoute Mme Chénier. En 2023, une femme devrait pouvoir sortir dans un restaurant ou dans un bar sans crainte de se faire intoxiquer au GHB. »

Des tests dans tous les hôpitaux

À la suite d’un reportage de La Presse qui rapportait que la chanteuse Ariane Brunet, alias L’Isle, n’avait pas pu se faire tester à l’hôpital de Verdun, les députés de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité une motion pour que les tests soient offerts dans tous les centres hospitaliers du Québec, en juin dernier1. La nouvelle motion adoptée mercredi demande d’ailleurs à la Coalition avenir Québec d’évaluer la possibilité d’élargir cette offre aux pharmacies.

« Nous sommes excessivement sensibles aux situations que peuvent vivre les personnes ayant des soupçons d’avoir été droguées. On parle d’un sentiment d’impuissance et d’incompréhension », a indiqué Antoine de la Durantaye, attaché de presse du ministre de la Santé. « En plus de ces prélèvements, il est aussi important de rappeler qu’il existe actuellement 89 centres désignés au Québec pour réaliser des interventions médicolégales plus poussées », a-t-il écrit. À Montréal, trois établissements traitent en effet les victimes intoxiquées au GHB et agressées sexuellement : l’Hôpital général de Montréal, l’hôpital Notre-Dame et le CLSC Métro.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) encourage d’ailleurs les personnes qui croient avoir été droguées à porter plainte à la police. « Si quelqu’un croit avoir été victime ou témoin d’une telle intoxication, qu’il connaisse ou non la personne qui en serait responsable, il doit composer immédiatement le 911. »

« Le GHB étant vite métabolisé et éliminé de l’organisme, il est impossible d’en trouver la trace à moins de faire rapidement un prélèvement toxicologique. Malheureusement, il arrive trop souvent que nous soyons prévenus trop tard ou pas du tout », explique le SPVM par courriel.

1. Lisez l’article « Drogues du viol : motion adoptée à l’unanimité visant à élargir le dépistage au Québec »

Comment éviter une intoxication ?

  • Soyez vigilant avec vos consommations afin d’éviter que du GHB y soit déposé à votre insu.
  • Gardez votre consommation avec vous ; ne la laissez pas sans surveillance.
  • Soyez prudent si une consommation vous est offerte par un inconnu. N’hésitez pas à refuser une consommation qui n’aurait pas été préparée sous vos yeux ou servie directement par un employé du bar.
  • Restez en groupe, si possible, et soyez attentif aux personnes qui sembleraient intoxiquées. Évitez de les laisser partir seules ou en mauvaise compagnie.
  • Si vous avez à sortir seul, soyez vigilant. Observez, posez des questions et fiez-vous à votre intuition. Si vous ne vous sentez pas en sécurité, demandez de l’aide à un employé.
  • Avisez le gérant ou le portier si vous êtes victime de harcèlement de la part d’un client.

Source : SPVM

En savoir plus
  • 9 cas sur 10
    Dans près de 9 cas sur 10, la victime d’une agression sexuelle est une fille ou une femme.
    Source : Institut national de Santé publique du Québec
    1441
    Nombre d’examens médicaux pour patients présumément victimes d’assaut sexuel facturés à la RAMQ en 2021. Ces données incluent les actes médicaux avec ou sans trousse.
    Source : ministère de la Santé et des Services sociaux