Le premier ministre François Legault a répété à plusieurs reprises ces dernières semaines que la proportion des francophones était passée sous la barre des 50 %, à Montréal, pour s’établir à 48,3 %. Ce chiffre tiré des données du recensement 2021 de Statistique Canada est exact, mais il repose sur une seule des nombreuses façons de définir ce qu’est un francophone, celle de la « langue parlée le plus souvent à la maison ». Cette définition est loin de faire l’unanimité chez les spécialistes. Il existe d’autres mesures dont il faut aussi tenir compte pour bien saisir les nuances qu’exige le débat linguistique.

La langue maternelle

La mesure de base, c’est la langue maternelle. Autrefois, le portrait linguistique était simple. La population québécoise se divisait entre les descendants des colons français et des colons britanniques, auxquels s’ajoutaient progressivement les immigrants quand ils optaient pour l’une des deux langues.

Le portrait actuel est vraiment plus complexe. En 2021, selon le dernier recensement, 44 % des citoyens de l’île de Montréal étaient de langue maternelle française, 16,3 % de langue anglaise, et 2,2 % disaient avoir les deux comme langue maternelle. Ces données montrent que la proportion faible de francophones, selon cette définition, tient moins au poids des anglophones qu’à celui de résidants de diverses origines qui ne sont ni francophones ni anglophones, 32,5 %. Enfin, une partie non négligeable de 7,2 % des Montréalais disent avoir plusieurs langues maternelles.

La langue le plus souvent parlée à la maison

La deuxième mesure qui définit un francophone ne porte pas sur la langue d’origine, mais sur la langue parlée à la maison. C’est avec cette mesure qu’on obtient la proportion de 48,3 % à Montréal, citée par le premier ministre Legault. Ce chiffre reflète l’arrivée importante d’immigrants, permanents et temporaires, qui choisissent très majoritairement Montréal, ainsi que le mouvement d’exode des francophones vers la banlieue et les régions.

Mais le fait de ne pas parler français à la maison ne suffit pas pour exclure quelqu’un du groupe des francophones. Un grand nombre de ceux qui font partie du 51,7 % maîtrisent le français et l’utilisent dans l’espace public, tout en parlant leur langue d’origine à la maison. C’est le cas notamment des gens originaires d’Haïti, du Maghreb, d’Afrique ou du Moyen-Orient, sans compter ceux qui ont adopté le français tout en conservant leur langue. La proportion de ceux dont la langue parlée à la maison est le français est plus forte dans le Grand Montréal, soit 63,8 %.

Il faut aussi tenir compte du fait que dans bon nombre de familles, on parle souvent plusieurs langues. Les Québécois d’origine haïtienne, par exemple, passent du français au créole (2,9 %).

Il y a aussi des familles bilingues français-anglais (2,7 %), et des trilingues (1,1 %). Le total du français passe alors au-dessus de la barre des 50 % et atteint 55 %.

« Si on définit les francophones à partir de la langue maternelle ou de la langue parlée à la maison, il y en a beaucoup qui nous échappent », explique Richard Marcoux, directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone.

« Dany Laferrière. Kim Thúy, Jim Corcoran, par exemple, sont des gens qui n’ont pas le français comme langue maternelle, mais ce sont de grandes plumes de la langue française. Donc, pour moi, la langue maternelle est très, très restrictive pour définir les francophones. C’est la même chose pour la langue parlée à la maison. »

La langue officielle parlée

La troisième mesure, c’est la première langue officielle parlée (PLOP). Elle désigne la première langue officielle parlée par cette personne. Cette mesure permet aussi de mesurer le cheminement linguistique des nouveaux venus, en reflétant soit les langues officielles, le français et l’anglais, qu’ils connaissaient à leur arrivée, soit la langue qu’ils ont apprise ici. Cela donne une idée de l’attraction du français et de l’anglais, et de la dynamique des transferts linguistiques.

Avec cette mesure, le français est dominant, même sur l’île de Montréal. Le français est la première langue officielle parlée de 58,4 % des personnes. L’anglais obtient 30,6 %. Quand on tient compte de ceux qui parlent les deux langues, très nombreux sur l’île de Montréal, on compte 67,2 % pour qui le français est la PLOP, et 39,3 % pour l’anglais. Les proportions sont de 78 % contre 27,1 % pour le Grand Montréal.

La connaissance des langues officielles

Enfin, une quatrième mesure porte sur la connaissance des langues, indépendamment des origines ou du contexte familial, soit la capacité de parler et de comprendre le français. Sur l’île, 84,4 % des gens disent avoir une connaissance du français suffisante pour tenir une conversation, dont 24,6 % ne connaissent que le français, et 59,8 % le français et l’anglais. Cette donnée nous rappelle que le taux de bilinguisme est élevé à Montréal. Pour cette raison, la connaissance de l’anglais est également forte. 73,1 % parlent anglais.

Pour Richard Marcoux, la capacité à pouvoir tenir une conversation en français est la meilleure définition de qui est francophone.

« C’est la définition que me semble être la plus cohérente, explique-t-il. Elle a l’avantage d’être évidemment bien inclusive. Pour moi, quelqu’un qui parle une autre langue que le français à la maison peut par ailleurs être aussi francophone. »

La langue du travail

Enfin, une dernière mesure peut contribuer à compléter ce portrait, soit la langue du travail. Elle ne porte pas sur les origines des citoyens ou sur leurs connaissances linguistiques, mais plutôt sur leur environnement de travail. Sur l’île de Montréal, 60 % des gens travaillent principalement en français, soit une proportion plus élevée que celle de la langue parlée à la maison, ce qui illustre le fait que de nombreux non-francophones travaillent en français. 10,2 % travaillent dans les deux langues. Mais la proportion de ceux qui travaillent surtout en anglais s’élève à 28,1 %.

Jean-Pierre Corbeil, professeur au département de sociologie de l’Université Laval, tient à rappeler que les fondements de la politique linguistique québécoise reposent sur l’usage de la langue dans l’espace public et non pas sur la langue parlée à la maison. « Selon moi, le meilleur indicateur serait l’usage des langues dans l’espace public », dit-il.

L’écrivain Marco Micone, qui a écrit trois pièces de théâtre sur la condition immigrante et un poème intitulé Speak What, est du même avis. « L’objectif de la loi 101, c’était de faire du français la langue publique commune, dit-il. Donc, toute personne qui se conforme à cette exigence devrait être considérée comme un francophone. »

Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse

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    Nombre de francophones sur la planète
    SOURCE : ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE