Le dialogue entre Québec, McGill et un groupe de Mohawks vient de débuter, à Kahnawake, deux semaines après l’arrêt par la justice du chantier de transformation de l’hôpital Royal Victoria, à la demande des Autochtones.

Le groupe baptisé Mères mohawks craint que les travaux n’endommagent d’éventuelles sépultures autochtones précoloniales ou des tombes clandestines beaucoup plus récentes sur ce flanc du mont Royal.

La première rencontre « s’est bien passée », a rapporté Philippe Blouin, anthropologue et interprète francophone des Mères mohawks. Il a assisté à la discussion, qui s’est déroulée la semaine dernière, sans la présence d’avocats. « C’est un premier moment pour partager une vision commune du jugement de M. Moore et voir les prochaines étapes. »

Le jugement en question, c’est l’injonction prononcée le 27 octobre dernier qui paralyse le chantier de réfection du « Royal Vic ». McGill compte utiliser une grande partie de l’ancien complexe hospitalier pour y agrandir son campus, un projet baptisé « New Vic ».

Québec et McGill « ne doivent pas excaver le site avant qu’un plan archéologique approprié soit établi », a tranché le juge Gregory Moore, de la Cour supérieure, dans ses motifs rendus publics par la suite.

« Les parties sont invitées à se rencontrer en dehors du tribunal pour établir comment les travaux archéologiques devraient être effectués », note le juge.

Cette décision constituait une grande surprise pour les Mères mohawks, a indiqué M. Blouin : « Elles n’en croyaient pas leurs yeux. »

L’Université McGill et le bras immobilier du gouvernement du Québec (la Société québécoise des infrastructures, actuelle propriétaire du Royal Victoria) plaidaient que des recherches archéologiques seraient effectuées en bonne et due forme là où elles étaient nécessaires pour conserver les sépultures anciennes. À leurs yeux, rien ne permet de croire que des corps ont été enterrés sur place dans les années 1950 et 1960 en marge des expériences controversées menées à l’époque à l’Institut psychiatrique Allan Memorial, comme le suggèrent les Mères mohawks. L’établissement recevait alors du financement de la CIA pour tester les effets de substances illégales sur le cerveau, parfois à l’insu des cobayes.

Des fouilles moins invasives exigées

Le jugement de la Cour supérieure les oblige à refaire leurs devoirs.

« Nous avons entamé les discussions avec les Mères mohawks afin d’élaborer un plan archéologique qui prendrait en considération les préoccupations de toutes les parties impliquées », a indiqué par courriel Francis Martel, porte-parole de la Société québécoise des infrastructures (SQI). Il a souligné que son organisation était déjà en contact depuis « plusieurs mois » avec les conseils de bande des communautés mohawks autour de Montréal.

Francis Martel a souligné que des recherches archéologiques avaient déjà eu lieu sur une partie du site. « L’intervention n’a mené à aucune découverte », a-t-il précisé, toujours par courriel. La SQI a refusé la demande d’entrevue de La Presse. McGill a renvoyé La Presse vers la SQI, en ajoutant qu’elle « prend au sérieux les préoccupations des communautés autochtones concernant la requalification du site et cherche à mieux comprendre comment y répondre ».

Mères mohawks – un groupe qui rassemble des femmes et des hommes – voudrait que le reste du chantier du Royal Victoria soit traité comme les terrains de pensionnats pour Autochtones où l’on soupçonne la présence de tombes anonymes. La Commission vérité et réconciliation du Canada et l’Association canadienne d’archéologie ont établi une marche à suivre stricte dans ces cas.

Il faut que les fouilles soient « menées par les Autochtones » eux-mêmes, il faut « prioriser tous les moyens de détection à distance, comme le radar pénétrant, […] les chiens renifleurs, toutes ces techniques qui permettent de savoir ce qu’il y a sous la terre sans la briser », a expliqué l’anthropologue et interprète Philippe Blouin.

À partir du moment où il y a excavation, il y a des risques de détruire des preuves médicolégales. Il ne pourrait pas y avoir d’enquête criminelle.

Philippe Blouin, anthropologue et interprète francophone des Mères mohawks

Les Mères mohawks croient que de jeunes Autochtones pourraient avoir été utilisés comme cobayes à l’Institut Allan Memorial, y avoir perdu la vie et avoir été enterrés en catimini sur le site.

Devant la justice, des membres de Mères mohawks ont exprimé « leur traumatisme lié à la disparition de membres de leur famille ou de leur communauté et à la possibilité qu’ils aient été maltraités ou qu’ils aient souffert », a écrit le juge Gregory Moore dans sa décision. Ces personnes « ont décrit leur angoisse face au fait que le projet de transformation [du Royal Victoria] les empêche de remplir leurs obligations de prendre soin de toutes les générations, passées, présentes et futures ».

La SQI a indiqué qu’elle ne pouvait pas encore déterminer si la décision du juge Moore se traduirait par des retards dans le projet du New Vic. Aucune date de livraison n’a encore été arrêtée.