Des agents chinois qui traquent un fugitif devenu fermier sur le sol canadien, d’autres qui tentent de corrompre un fonctionnaire américain en échange d’informations sur la détention de la directrice financière de Huawei à Vancouver : dans une série d’accusations criminelles portées à New York lundi, les autorités américaines confirment à nouveau l’importance du Canada comme cible des services de sécurité chinois.

Le procureur général des États-Unis, Merrick B. Garland, et le directeur du FBI, Christopher Wray, ont annoncé lundi le dépôt d’accusations contre 13 présumés collaborateurs du régime de Pékin. L’annonce survient deux jours après la fin du congrès du Parti communiste chinois, qui a reconduit dans ses fonctions le président Xi Jinping.

Deux des accusés, résidents permanents aux États-Unis, ont été placés en état d’arrestation, alors que les autres, qui se trouveraient en Chine, n’ont pas été arrêtés et ont peu de risques de l’être.

« Ces accusations d’agents du renseignement de la République populaire de Chine et de dirigeants gouvernementaux – pour avoir entravé le procès d’une entreprise chinoise, s’être fait passer pour des professeurs d’université afin de voler des informations sensibles et avoir tenté de forcer une victime à retourner en Chine – exposent encore le comportement scandaleux de la République populaire de Chine à l’intérieur de nos frontières », a déclaré le directeur du FBI.

Agent double et fausses informations

Deux dossiers d’accusation en particulier touchent le Canada. L’un d’eux concerne deux des accusés qui se trouvent toujours au large, Dong He et Zheng Wang, des agents des services d’espionnage chinois, selon une déclaration sous serment d’un enquêteur du FBI déposée en Cour fédérale américaine.

Les deux hommes auraient versé des dizaines de milliers de dollars en bitcoins à un employé du gouvernement américain qu’ils croyaient avoir recruté au service de la Chine, mais qui agissait en fait comme « agent double » et leur fournissait de fausses informations.

Toujours selon le dossier de cour, les deux hommes auraient été à la recherche d’informations concernant l’enquête américaine contre le géant des télécommunications Huawei.

Ce dossier avait mené à l’arrestation de la directrice financière de l’entreprise, Meng Wanzhou, interpellée par les autorités canadiennes puis détenue à Vancouver de décembre 2018 à septembre 2021, en vertu d’une demande d’extradition des États-Unis, qui voulaient la juger pour fraude bancaire.

Les échanges des espions chinois avec l’agent double qui les menait en bateau étaient parfois cocasses, selon les extraits divulgués au tribunal. Ceux-ci auraient envoyé au fonctionnaire américain un message lui demandant de les appeler à partir d’une cabine téléphonique, pour plus de discrétion.

« Je ne sais vraiment pas si ça existe encore », leur a-t-il répondu.

« Peux-tu vérifier si ça existe ou pas, demain ? », ont insisté les deux espions, qui menaient leurs opérations à partir de la Chine, sans présence sur le terrain.

La déclaration de l’enquêteur du FBI précise que les agents chinois demandaient spécifiquement des informations sur les procédures d’extradition, pendant la détention de Meng Wanzhou. Ils auraient continué à payer leur « source » au sein du gouvernement américain même après la libération de la dirigeante de Huawei, et cherchaient à connaître les autres menaces qui planaient sur le géant des télécommunications et ses dirigeants.

La chasse au renard

Dans un autre dossier rendu public lundi, des accusations ont été portées contre sept personnes, dont deux citoyens chinois qui avaient le statut de résident permanent aux États-Unis, en lien avec leur participation alléguée à une campagne de harcèlement visant un fugitif réfugié dans l’État de New York après avoir été ciblé par des accusations de détournement de fonds en Chine.

Toujours selon le FBI, la campagne faisait partie de l’Opération Fox Hunt (chasse au renard). La Chine décrit Fox Hunt comme une campagne anticorruption internationale visant à retrouver légitimement des criminels en fuite, notamment d’anciens hauts fonctionnaires ou des politiciens corrompus.

« Certaines personnes peuvent bien être recherchées relativement à des accusations criminelles traditionnelles, et peuvent même être coupables de ce dont elles sont accusées. Mais dans de nombreux cas, les personnes recherchées sont des opposants du secrétaire général du Parti communiste, Xi Jinping : adversaires politiques, dissidents et critiques », a déjà expliqué un responsable du département de la Justice américain.

Dans le cadre des accusations portées lundi, le FBI affirme que des représentants des services de sécurité chinois ont proposé à leur cible de se rendre à Toronto pour négocier sa reddition, parce que les émissaires qui devaient être envoyés de Chine à cet effet n’étaient pas prêts à mettre le pied aux États-Unis.

Dans son résumé d’enquête déposé en cour, l’enquêteur au dossier indique que la cible aurait même été mise en contact téléphonique avec un autre ancien fugitif, réfugié à Vancouver et recyclé en producteur agricole. Ce dernier avait accepté volontairement de retourner en Chine pour être jugé, en 2018. Il disait avoir été traité correctement et avoir pu revenir au Canada après le jugement dans son pays d’origine. Un spécialiste en agriculture avait même été envoyé de Chine pour prendre soin de sa ferme canadienne en son absence.

La Presse avait déjà révélé en 2020 qu’un suspect arrêté par le FBI pour sa participation à l’Opération Fox Hunt avait déclaré qu’un fonctionnaire du gouvernement chinois était installé au Canada pour coordonner la campagne d’intimidation clandestine.

Selon des documents déposés en cour en Californie, l’accusé avait avoué aux enquêteurs américains qu’il s’était rendu au Canada pour recevoir des instructions d’un responsable chinois qui avait un visa pour séjourner au Canada et coordonnait la traque des fugitifs en Amérique du Nord.

L’ambassade de Chine à Ottawa avait déclaré à La Presse que toutes ces accusations n’étaient que des « rumeurs et des calomnies ».