Bien qu’il soit illégal de demander un dépôt de garantie au Québec, certains propriétaires continuent de l’exiger quand vient le temps de signer un bail.

C’est ce que nous avons constaté en nous faisant passer pour des locataires à la recherche d’un logement auprès d’une cinquantaine de propriétaires.

Steve Koltai, qui loue des appartements entièrement meublés à des étudiants étrangers, fait partie des propriétaires fautifs que nous avons pris en flagrant délit. Lorsque nous l’avons confronté, l’homme a indiqué qu’il savait qu’il s’agissait d’une pratique proscrite. Il juge toutefois cette demande légitime compte tenu des mauvaises expériences qu’il a vécues dans le passé.

« J’avais des Françaises qui ont détruit mon logement et qui l’ont quitté un mois à l’avance, raconte-t-il au téléphone. On parle de brûlures de cigarette sur le divan, le plancher a été endommagé, le logement a dû être repeint, elles ont brisé le lit et les rideaux, un tapis a disparu. »

Gabrielle Pedro, une autre propriétaire, partage l’opinion de Steve Koltai, et ce, même si ses logements n’ont jamais été laissés en mauvais état. Jointe au téléphone, elle assure qu’elle n’exige pas systématiquement de dépôt de garantie. Dans le cas d’une personne ayant de bonnes références, par exemple, elle se dit prête à passer outre.

Un incitatif nécessaire ?

L’Association des propriétaires du Québec (APQ) revendique la légalisation du dépôt de garantie auprès du gouvernement provincial depuis plus de 20 ans.

D’après elle, cette somme permettrait de couvrir les frais de ménage ou de réparations lorsqu’un locataire laisse le logement en mauvais état. Le dépôt de garantie aiderait également le propriétaire à couvrir un mois de loyer impayé.

Plusieurs locataires ne prendraient plus la peine de faire le ménage lorsqu’ils quittent leur logement, peut-on lire dans un communiqué de l’APQ publié récemment. Ces locataires « laissent leurs aliments sur le comptoir » et « abandonnent » des meubles.

Selon le président de l’APQ, Martin Messier, le tiers des logements seraient laissés en mauvais état. « Ça va d’un bon ménage nécessaire à une situation cauchemardesque », explique-t-il.

Le dépôt de garantie encouragerait les locataires à faire attention, croit l’APQ.

Aucun projet de légalisation du dépôt de garantie n’est prévu ou envisagé pour le moment, nous a confirmé l’attachée de presse de la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation.

Un autre obstacle pour les locataires

Pour des associations de droits des locataires, le dépôt de garantie constitue un frein à l’accès au logement.

« C’est un motif discriminatoire de refuser un logement à des ménages qui ont déjà beaucoup de difficulté à joindre les deux bouts », s’indigne Martin Blanchard, co-coordinateur du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ).

Même écho du côté de Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

« Dans le contexte actuel, il peut y avoir des locataires qui n’osent pas refuser le dépôt de garantie pour être certains d’avoir un logement », souligne-t-elle.

Pour Martin Blanchard, les dépôts de garantie engendrent des abus, notamment lorsqu’ils ne sont pas remis aux locataires qui laissent pourtant un logement intact à leur départ.

Si c’était légalisé, on se retrouverait avec un engorgement du Tribunal [administratif du logement] pour exiger que le propriétaire remette la somme d’argent.

Martin Blanchard, co-coordinateur du RCLALQ

M. Blanchard cite l’exemple de la France. Les dépôts de garantie y sont légaux, mais leur restitution constitue la principale source de conflit judiciaire entre propriétaires et locataires, nous confirme Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), une association de défense des locataires et des consommateurs français.

Le modèle texan

Au Québec, les propriétaires dont le logement aurait été endommagé par un locataire bénéficient déjà de recours. Ils peuvent porter plainte au Tribunal administratif du logement pour obtenir une compensation financière.

La lourdeur des procédures décourage toutefois les propriétaires, affirme Martin Messier, de l’APQ.

Malgré l’inflation, la pénurie de logements et l’augmentation du coût des loyers, M. Messier ne croit pas qu’un dépôt de garantie représente un obstacle supplémentaire pour un locataire.

Conscient de la possibilité d’abus de la part de certains propriétaires, il souhaite que le Québec s’inspire du modèle texan en matière de dépôt de garantie.

« Il y a un arbitrage d’un comité paritaire de propriétaires et de locataires, qui fonctionne avec une grille tarifaire très simple. Par exemple, si j’ai laissé le four dans un état lamentable, ça va être un montant fixe, explique-t-il. Si l’on veut une méthode qui est viable, il faut éviter d’avoir des abus de propriétaires qui diraient : « C’est poussiéreux, donc je garde ton dépôt ». »

La sous-location également touchée

Le recours au dépôt de garantie n’est pas l’apanage de certains propriétaires. Cette pratique peut s’étendre aux sous-locateurs.

« C’est un lieu qui est précieux pour moi », explique Anne, qui sous-loue son appartement et demande un dépôt de garantie en cas de dommages ou de vol d’objets personnels. « Je ne le laisse pas à des inconnus sans avoir une garantie en retour. »

Lorsque La Presse a demandé à Anne si elle savait que cette pratique est illégale, cette dernière a raccroché, sans donner plus d’explication.

Que faire si vous êtes locataire ?

Selon le Tribunal administratif du logement, le propriétaire peut seulement exiger le paiement du premier mois de loyer à l’avance. Le locataire ayant versé un dépôt de garantie peut introduire une demande au Tribunal pour qu’il lui soit restitué. Un locataire peut offrir un dépôt de son plein gré au propriétaire, mais ce dernier n’est pas en droit de l’exiger.