(Kitcisakik, Abitibi-Témiscamingue) D’ici trois ans, les résidants de la communauté autochtone de Kitcisakik, à une centaine de kilomètres au sud de Val-d’Or, ne devraient plus avoir besoin de brûler des milliers de dollars d’essence par année dans leurs génératrices : ils seront enfin reliés au réseau électrique d’Hydro-Québec, a promis la société d’État, lundi.

« Ce n’est pas un projet d’électricité, c’est un projet humaniste », a souligné la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, en entrevue à La Presse en marge de sa visite à Kitcisakik, lundi.

C’est la première fois qu’elle se rendait dans ce village anishnabeg établi dans la réserve faunique La Vérendrye, en Abitibi-Témiscamingue.

« La communauté est riche de ses enfants, et ça donne encore plus de sens à l’électrification parce qu’ils commencent dans leur vie », a fait valoir Mme Brochu, visiblement ravie de la présence des gamins rieurs qui jouaient autour d’elle.

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Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec, entourée d’enfants de la communauté autochtone de Kitcisakik

Hydro-Québec s’est engagée à raccorder le village à son réseau d’ici 2025.

Une annonce longtemps attendue qui « marquera l’histoire de la communauté de Kitcisakik pour plusieurs générations », a déclaré le chef du Conseil des Anicinapek, Régis Penosway, en conférence de presse un peu plus tôt à Val-d’Or.

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Régis Penosway, chef du Conseil des Anicinapek

Plus de 20 millions de dollars

« Ça va changer notre façon de vivre », nous a expliqué Jimmy Papatie la veille en montrant les lourds bidons d’essence qu’il doit transvaser dans ses deux génératrices. Celles-ci donnent assez de courant pour les lumières, le réfrigérateur, la connexion internet et la télé, mais pas pour le chauffage. Pour ça, il doit fendre le bois qui alimente son poêle à combustion lente.

« J’ai 58 ans, je suis diabétique, je n’ai plus la force que j’avais », a résumé M. Papatie. Le chauffage électrique, dit-il, sera aussi « un plus pour les mamans monoparentales et les aînés ». D’autant que les génératrices sont bruyantes, nauséabondes et gourmandes.

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Augustin Penosway

« Ça me coûte quand même 400 $ à 500 $ par mois », nous a indiqué Augustin Penosway, croisé au volant de sa camionnette alors qu’il arrivait au village par le chemin surplombant le réservoir Dozois.

Le voisinage de ce réservoir et de son barrage de rétention, deux installations d’Hydro-Québec, sont un rappel quotidien de la présence de la société d’État, et de son absence de service, sur le territoire de la communauté.

« C’est le temps qu’on ait l’électricité ici ! », nous a lancé Marie-Hélène Papatie, rencontrée au centre du village. « Ça ferait du bien, surtout en hiver. Dans ma grande maison, il fait très froid ! »

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Marie-Hélène Papatie

Hydro-Québec assumera tous les frais pour relier la communauté à son réseau, à l’aide d’une ligne de transport d’environ 70 kilomètres. « C’est un projet qui va coûter des sous, au [moins] 20 millions », a estimé Mme Brochu.

Le Secrétariat aux affaires autochtones, de son côté, financera les travaux nécessaires pour adapter la centaine de résidences du village au réseau public. Le coût, qui dépendra des besoins, reste à déterminer, indique-t-on à Québec.

Ottawa, de son côté, acquittera la facture pour raccorder les bâtiments communautaires, actuellement alimentés par génératrices au diesel.

Manque de toits et d’eau

« C’est beau, amener l’Hydro-Québec, mais qu’est-ce qu’on fait pour que les jeunes aient chacun leur maison ? », nous a fait remarquer Adrienne Anichinapéo, rencontrée lors de son passage à Val-d’Or dimanche.

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Adrienne Anichinapéo

Kitcisakik n’étant pas une réserve, les maisons appartiennent aux familles, et beaucoup sont dans un triste état. Les deux fils adultes de Mme Anichinapéo sont souvent sous son toit, plus confortable que le leur. « Avec ce que coûtent les matériaux aujourd’hui, ils n’ont pas les moyens [de se construire] », dit-elle.

Ils ne sont pas les seuls. Le revenu médian des adultes de Kitcisakik était de 20 000 $ en 2018, selon le plus récent indice de vitalité économique de l’Institut de la statistique du Québec.

« Chaque fois que les dossiers du logement revenaient à la surface dans nos priorités, Kitcisakik était devenue une référence incontournable », a témoigné le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, à la conférence de presse lundi.

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Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador

Si les chefs Picard et Penosway ont chaleureusement salué les efforts d’Hydro-Québec, de sa PDG et de Québec, personne n’a oublié qu’un autre service tout aussi essentiel, l’eau courante, n’est toujours pas rendu à Kitcisakik.

« Ce qu’on nous dit, avec nos partenaires du fédéral, c’est que le site de cette communauté ne permet pas de creuser et de mettre les infrastructures », a rappelé le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière.

Un bloc sanitaire au cœur du village offre des toilettes, des douches et une buanderie, ainsi que des robinets d’eau potable où les résidants remplissent les chaudières qu’ils ramènent à la maison.

« Ils ont toujours le sourire, mais ce n’est pas une vie qui est facile », constate l’infirmière responsable du Centre de santé de Kitcisakik, Martine Carrier, qui œuvre depuis 18 ans dans la communauté.

Les maisons sans électricité et souvent sans réfrigérateur privent leurs occupants de certains antibiotiques qui doivent être gardés au froid. Elle-même a failli perdre un stock de vaccins lorsque les génératrices qui alimentent le centre sont tombées en panne durant plusieurs heures. Chauffer uniquement au bois est aussi « très problématique » pour les nombreux enfants qui souffrent d’asthme.

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Martine Carrier, infirmière responsable du Centre de santé de Kitcisakik

Si le problème de l’électricité sera bientôt réglé, celui de l’eau courante reste entier.

« Si l’enfant a une gastro et qu’il faudrait que tu ailles le laver, s’il fait -40, tu vas rester à la maison. Les femmes monoparentales qui viennent d’accoucher, il faut qu’elles s’organisent pour avoir de l’eau », illustre Mme Carrier.

Québec dit attendre de voir ce qu’il adviendra de la relocalisation du village, longtemps débattue, mais toujours pas tranchée.

« Le dossier est en cours », a assuré le chef Penosway,

L’incertitude quant à l’emplacement définitif du village a longtemps été citée comme motif pour retarder l’électrification de Kitcisakik. Québec et sa société d’État ont finalement décidé d’aller de l’avant sans plus attendre. Si les gens de la communauté « décident d’aller ailleurs, au moins ils vont réfléchir avec la lumière, la chaleur et l’électricité », a glissé Mme Brochu lors de sa visite.