Une page se tourne pour le blogueur saoudien Raïf Badawi. L’homme qui avait été condamné à 10 ans de prison pour avoir publié un blogue critiquant des politiques de l’Arabie saoudite a finalement été libéré vendredi, au plus grand bonheur de sa conjointe et de sa famille. Mais de l’incertitude demeure pour la suite.

« Ce matin, c’est vraiment un mélange d’émotions. De la surprise, de la joie, du soulagement : tout est arrivé d’un coup », a lancé Mme Haidar peu après, en entrevue avec La Presse vendredi. Elle affirme que la libération de son conjoint est « une bonne nouvelle pour tout le monde » au Canada et ailleurs sur la planète. « C’est une grande journée. On est vraiment très contents, très heureux. Enfin ! », s’est-elle exclamée.

Selon nos informations, c’est Raïf Badawi lui-même qui aurait informé sa conjointe de sa libération, en l’appelant depuis le centre de détention où il se trouvait. Pour l’instant, la famille ne s’exprimera pas sur les démarches pour faire venir M. Badawi au Canada. « L’important pour moi, c’est qu’il est libre. Maintenant, on verra ce qu’on doit faire », a dit sa femme, sans donner plus de détails.

PHOTO FRÉDÉRIC CÔTÉ, LA TRIBUNE

La fille de Raïf Badawi avec sa mère, Ensaf Haidar

M. Badawi pouvait théoriquement être libéré depuis la fin du mois de février. Bien que sa peine de prison ait maintenant officiellement pris fin, l’homme reste soumis à une interdiction de voyager pendant 10 ans et à une interdiction de travailler dans les médias. Il doit en outre verser une amende punitive de 335 000 $ qui lui a été imposée au moment de sa condamnation.

« Une grande nouvelle »

« C’est une grande nouvelle, parce que c’est un véritable défenseur des droits de la personne. C’est quelqu’un qui a voulu faire progresser son pays, qui est un des pays les plus rétrogrades en matière d’égalité entre les hommes et les femmes », souligne Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada.

On a réagi avec beaucoup d’émotions, de bonheur et de soulagement à cette annonce. C’était espéré, mais inattendu parce qu’on n’avait aucun signe qu’il allait être libéré. On est très, très heureux.

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada

Sa libération représente un « message d’espoir » pour les autres prisonniers, soutient Mme Langlois. « C’est le visage qui personnifie l’ensemble des prisonniers et des prisonnières d’opinion et des défenseurs des droits qui ont été ou qui sont encore emprisonnés. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Raïf Badawi, avant son emprisonnement

La bataille n’est pas terminée, rappelle toutefois Mme Langlois. D’autres sanctions pèsent toujours sur lui, notamment l’interdiction de sortir du pays pendant les 10 prochaines années et de communiquer sur les réseaux sociaux. « On va continuer de travailler pour que ces charges soient aussi abandonnées et qu’il soit le plus tôt possible ici au Québec avec sa famille », conclut-elle.

« Développement extraordinaire »

Sur la Toile, les réactions n’ont pas tardé. « Nous sommes heureux de ce développement extraordinaire et offrons notre entière collaboration à Raïf Badawi et Ensaf Haidar pour la suite des choses », a notamment indiqué le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui avait fait campagne avec Mme Haidar l’automne dernier, alors qu’elle était candidate de son parti aux élections fédérales dans Sherbrooke.

« Enfin ! Je ne cesse de penser aux enfants qui vont enfin retrouver leur père », a aussi lancé le premier ministre du Québec, François Legault. « Un énorme soulagement pour toute sa famille. En espérant du fond du cœur que vous puissiez vous retrouver bientôt. Nous collaborerons, comme c’est le cas depuis le début, pour que ça devienne une réalité », a aussi promis le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. La mairesse Valérie Plante a aussi souhaité au principal intéressé, qui avait été fait citoyen d’honneur de Montréal en 2018, « de profiter de sa liberté retrouvée ».

Difficile d’imaginer ce qu’il a eu à subir durant toutes ses années de détention. Je lui souhaite de renouer le plus rapidement possible avec sa femme et ses enfants, qui vivent ici, au Québec. Vivre en démocratie n’a pas de prix.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral, au sujet de Raïf Badawi

Amnistie internationale Canada, qui militait pour sa libération depuis des années, a aussi parlé vendredi d’une « nouvelle tant attendue ». « Vous vous êtes mobilisés par milliers à nos côtés dans la défense de Raïf Badawi depuis 10 ans. Un grand merci à toutes et tous pour votre soutien sans relâche », a lancé l’organisme à ses membres.

Le 17 juin 2012, Raïf Badawi avait été arrêté puis condamné à 10 ans de prison pour avoir publié un blogue discutant des questions sociales en Arabie saoudite. Déclaré coupable entre autres d’insulte à l’Islam, le blogueur avait aussi été condamné à 1000 coups de fouet, dont il a reçu les 50 premiers en 2015. Il aurait échappé aux autres pour des raisons médicales. La condamnation de M. Badawi avait suscité une vive indignation sur la scène internationale. De nombreuses organisations gouvernementales ainsi que des groupes de défense ont demandé sa libération à plusieurs reprises. L’année dernière, la Chambre des communes et le Sénat avaient voté en faveur de l’utilisation par le ministre de l’Immigration de son pouvoir discrétionnaire pour accorder la citoyenneté canadienne à Raïf Badawi.

Avec La Presse Canadienne

L’affaire Badawi en quelques dates

2008 : Raïf Badawi fonde le site internet Free Saudi Liberals, où il milite pour une libéralisation morale de l’Arabie saoudite, réclamant notamment la liberté de conscience, la liberté d’expression et l’égalité entre les hommes et les femmes.

2009 : Il est accusé d’avoir créé un site web qui insulte l’Islam et est forcé de quitter le pays, mais la plainte contre lui est finalement abandonnée.

2010 : Sa sœur Samar est incarcérée pour désobéissance à son père, car elle veut épouser l’homme de son choix. Raïf s’oppose publiquement à son père en prenant parti pour sa sœur.

Juin 2012 : Il est de nouveau accusé d’avoir « mis en place un site web qui compromet la sécurité générale, tourné en ridicule des figures de l’Islam, de désobéissance à son père, cybercrime et apostasie ». Son avocat Walid Abou al-Khair est également emprisonné.

Juillet 2013 : Il est condamné à 600 coups de fouet et 7 ans de prison. Badawi fait appel de cette décision.

Octobre 2013 : La famille de Raïf Badawi obtient l’asile politique au Canada.

Mai 2014 : Son appel est refusé et sa peine, augmentée. Badawi est condamné à 1000 coups de fouet et 10 années de prison.

Janvier 2015 : Il reçoit 50 coups de fouet, ce qui suscite des protestations de nombreux gouvernements et l’ONU.

2017 : Radio-Canada crée une bande dessinée virtuelle racontant l’histoire de Raïf Badawi et de sa femme.

Juillet 2018 : Toute la famille obtient la citoyenneté canadienne.

Mars 2022 : Raïf Badawi est libéré, mais il ne peut toujours pas sortir du pays pour les 10 prochaines années ni communiquer sur les réseaux sociaux.

Source : Fondation Raïf Badawi