« Tu as ta toge ? Ton mortier ? »

En prononçant ces mots, je les ai trouvés étranges. Comme si j’étais étonnée que l’on en soit déjà là. Comme si quelqu’un avait mis nos vies en mode accéléré sans nous avertir.

Il me semble que, hier encore, c’était sa première journée au secondaire et je disais : « Tu as ta carte OPUS ? Ta boîte à lunch ? »

Il me semble qu’avant-hier encore, on marchait ensemble vers la maternelle, sa petite main au creux de la mienne.

Le voilà qui me dépasse d’une tête depuis un bon moment déjà. Je dois lever la tête pour voir ses yeux. Pas de petite main dans la mienne. Plutôt ma petite épaule au creux de la sienne, bien plus imposante. En route vers la cérémonie de finissants du secondaire.

Je le regardais avec ses camarades, tirés à quatre épingles pour cette cérémonie masquée de la dernière chance. Un rite de passage qu’il a fallu diviser par bulles-classes, avec distanciation, chronomètre et gel antiseptique. Distanciation oblige, les parents n’avaient pas le droit de s’approcher pour prendre des photos. On nous a prêté la toge et le mortier pour la fin de semaine, histoire que les photos soient prises uniquement dans la bulle familiale.

Le rituel version pandémie était un peu bizarre, comme l’ont été les 15 derniers mois. Mais Dieu que c’était émouvant…

On avait eu beau diviser tout ça en bulles, l’émotion des parents, elle, n’était divisée ni par deux ni par trois. Une boule géante, indivisible, qu’aucun masque n’arrivait à dissimuler.

L’idée d’interdire les photos avait cet avantage de nous obliger à être pleinement là, sans écran interposé devant ce qui se déployait devant nos yeux embués.

Les premières fois comme les dernières marquent le passage du temps. Elles nous rappellent qu’il file trop vite, même après une année trop longue. Il file et ne revient pas.

Il n’y a rien de plus cliché que de dire à de jeunes parents : profitez-en, ça passe vite. Mais c’est vrai. Un matin, vous déposez à l’école un enfant de 5 ans, tout petit dans la cour des grands. Un après-midi, vous avez devant vous un jeune homme, sur le seuil de la vie adulte, qui lance en l’air son mortier.

Toutes les fins d’étape sont émouvantes. Mais après une telle année, celle-ci l’est encore plus.

Ils y sont arrivés, non sans peine, soutenus par des enseignants qui méritent un diplôme eux aussi. Derrière leur écran, un jour sur deux, la démotivation et la détresse à temps plein dans bien des cas.

On a eu beau leur donner un diplôme symbolique cette semaine – ils recevront le vrai par la poste une fois leurs examens terminés –, on sait tous que le vrai diplôme, celui qu’ils méritent pour avoir tenu bon durant toute la pandémie, ils l’ont déjà.

Une élève a cité Gandhi avec une pointe d’ironie : « Si vous vivez un moment difficile, ne blâmez pas la vie. Vous êtes juste en train de devenir plus fort. »

Une enseignante, la gorge nouée, leur a rappelé, sans ironie, que Gandhi avait quand même raison. Ce fut si dur, leur a-t-elle dit. Et c’est vrai, vous avez été si forts. « Vous vous êtes soutenus les uns les autres. »

Les gars avaient mis des vestons chics. Les filles, de jolies robes. Certaines portaient des talons hauts qu’elles peinaient à apprivoiser. À tout moment, on sentait qu’elles risquaient de tomber. Mais elles avançaient quand même, avec détermination, la tête haute. Métaphore de cette année éprouvante où il a fallu chausser des chaussures inconfortables, trop grandes, trop hautes, pour apprendre à marcher en zone rouge.

Ils ont lancé en l’air leur mortier en criant. Et leurs cris disaient tant de choses sur cette année rouge.

Je les ai trouvés beaux, et fiers, et forts. Magnifiques diplômés de la pandémie avec postdoc en résilience. Heureux d’être enfin au fil d’arrivée, au seuil de tous les possibles. Le rouge pandémie est derrière eux. Les voilà en zone jaune, vert adjacent. En zone espoir.

À propos du mot « homogène »

Dans ma chronique de samedi, je faisais référence à la description d’une maison à vendre que m’a envoyée un lecteur. L’expression équivoque « quartier familial homogène » l’avait fait sursauter. Il lui donnait une connotation péjorative. Le fait que, sur la même fiche, on indiquait que le quartier en question était à 97 % non immigrant me donnait à croire qu’il avait raison.

Des courtiers en immobilier me disent qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation. Il aurait fallu préciser que le qualificatif « homogène », dans leur jargon, fait généralement référence à l’unité architecturale du quartier et non à ses habitants.