Leur amitié dure depuis un demi-siècle. Enfin, presque. Depuis quatre ou cinq ans, il faut bien avouer que c’est devenu une relation à sens unique.

Quand Diane Latour parle de Micheline, on sent la profonde affection qu’elle porte à son amie. « Je l’ai connue à 22 ans ; j’en ai 72. Elle a quitté l’enseignement pour travailler dans des organismes communautaires. Elle a toujours été d’une immense générosité. La bonté incarnée… »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Diane Latour, dont l’amie Micheline souffre d’Alzheimer avancé en CHSLD

Il y a une dizaine d’années, on a diagnostiqué chez Micheline la maladie d’Alzheimer. Depuis cinq ans, elle vit au CHSLD Berthiaume-Du Tremblay, à Montréal.

Mais bon, « vivre », c’est vite dit…

« Elle ne mange plus seule, elle ne parle plus. Elle dort 18 heures par jour », raconte Diane Latour, sa mandataire et sa proche aidante. Son amie de toujours. « Elle ne me reconnaît pas. Les yeux complètement vides… »

Quand la première vague a frappé, le printemps dernier, une cinquantaine de résidants du CHSLD ont été emportés par la COVID-19. Micheline a contracté la maladie.

Diane Latour a alors eu une pensée pour son amie.

Une pensée inavouable.

« Au plus profond de mon cœur, j’ai souhaité qu’elle meure… »

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Diane Latour n’avait pas d’héritage à toucher.

Elle ne se sentait pas écrasée par sa tâche de proche aidante.

Elle espérait que son amie soit emportée par la vague pour une seule raison : « Vivre, ce n’est pas ça. »

Elle est sans doute l’une des rares à le dire aussi ouvertement. Mais elle est loin d’être la seule à le penser.

Mercredi, à Ottawa, une majorité de sénateurs ont voté pour permettre aux Canadiens de demander l’aide médicale à mourir de manière anticipée s’ils souffrent de maladie neurodégénérative.

L’amendement au projet de loi C-7 permettrait à une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, par exemple, de recevoir l’aide à mourir après avoir perdu ses facultés mentales, ce que proscrit la loi actuelle.

« C’est une bonne nouvelle, mais ce n’est pas gagné non plus », se réjouit prudemment Sandra Demontigny. La Chambre des communes a jusqu’au 26 février pour approuver, ou non, le projet de loi amendé du Sénat.

Pour Sandra Demontigny, le temps est compté. « Mon état dégénère plus vite qu’on ne l’aurait pensé. Mes facultés commencent à baisser », se désole cette femme de 41 ans, mère de trois enfants et auteure de L’urgence de vivre – Ma vie avec l’alzheimer précoce.

Pour elle, il y a aussi… l’urgence de mourir.

Mourir dans la dignité.

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Sandra Demontigny a vu son père emporté par l’alzheimer précoce à 53 ans. Elle l’a surtout vu dépérir lentement. Cruellement. « Il était jeune, en forme. La maladie ne venait pas à bout de partir avec lui. »

C’était un véritable supplice. Pour tout le monde. « Il faisait de l’errance, nous envoyait promener, donnait des coups de poing dans les murs, marchait à quatre pattes, léchait le plancher… »

Il a fallu l’attacher à son lit. Il se débattait. « Il avait des contusions et des ecchymoses partout. Un moment donné, on s’est posé la question : à quoi ça sert ? »

Sandra Demontigny s’est juré de ne pas finir comme son père. Si les parlementaires refusent de modifier la loi, elle ira mourir en Suisse ; elle a déjà entamé les démarches. Si ça bloque du côté de la Suisse, elle en finira par elle-même.

PHOTO ISABELLE LÉGARÉ, LE NOUVELLISTE

Sandra Demontingny, 39 ans, atteinte d’alzheimer précoce

Mais pour faire ça, il faut que je sois encore lucide et capable d’agir. Ça implique que je perde trois ou quatre ans auprès de ma famille.

Sandra Demontigny

Elle n’a pas trois ou quatre années à perdre. Il lui en reste déjà si peu.

Mais elle préfère encore ça à se retrouver un jour à quatre pattes à lécher le plancher.

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Il est trop tôt pour savoir ce que fera le gouvernement des amendements proposés par le Sénat, un processus toujours en cours, indique-t-on au cabinet du ministre de la Justice.

Cela dit, il serait fort étonnant qu’on amende le projet de loi C-7 sans prendre le temps de poser des balises, admet le DGeorges L’Espérance, neurochirurgien et président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité.

Il a bon espoir qu’on y arrive d’ici la fin de l’année. Après tout, il y a là-dessus un consensus très large, dans la communauté médicale comme chez la population.

Les maladies neurodégénératives cognitives n’ont rien à voir avec la santé mentale, rappelle le DL’Espérance. « Ce sont des pathologies incurables qui vont aboutir à la mort dans des conditions d’indignité totale. »

Il n’y a aucune raison de ne pas les traiter comme n’importe quelle autre maladie physique, comme le cancer.

Il n’y a aucune raison de refuser à ceux qui en souffrent de choisir le moment de leur mort.

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Diane Latour veut avoir ce choix, si par malheur elle souffrait un jour de la maladie d’Alzheimer.

Le choix que son amie Micheline n’a pas eu.

« Le jour où je serai aux couches, où je ne reconnaîtrai pas mes enfants, où je serai incapable de m’alimenter moi-même, oubliez ça… Je suis convaincue que mes enfants vont assez m’aimer pour, le temps venu, faire ce geste-là. »

Et Micheline ? La COVID-19 ?

« Elle est passée au travers… »

Note : Pour des raisons de confidentialité, nous avons modifié le prénom de Micheline