C’est notamment pour minimiser les impacts sur les travailleurs innocents de l’entreprise que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a invité SNC-Lavalin à négocier une entente hors-cour dans le dossier de la corruption entourant un contrat de réfection du pont Jacques-Cartier, a expliqué un procureur lundi.

Jeudi dernier, la GRC a arrêté deux anciens cadres de la firme de génie-conseil, Kamal Francis et Normand Morin. Des accusations criminelles ont été portées contre les deux hommes et contre SNC-Lavalin elle-même relativement à un pot-de-vin de 2,35 millions de dollars versé à un haut fonctionnaire fédéral afin d’obtenir un contrat de 128 millions de dollars pour la réfection du pont Jacques-Cartier au début des années 2000.

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Dès le dépôt des accusations, le DPCP a annoncé qu’il invitait SNC-Lavalin à négocier un accord de poursuite suspendue en vertu des nouvelles dispositions du Code criminel introduites il y a deux ans. Cette procédure permet à une entreprise de reconnaître certains faits, de payer une amende et d’éviter ainsi une condamnation criminelle qui risquerait de lui fermer les portes des contrats publics, au Canada et ailleurs dans le monde. Plusieurs partenaires commerciaux du Canada comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la France disposaient déjà d’outils semblables en matière de crimes commis par des entreprises.

« Il s’agit d’une nouvelle disposition du Code criminel, qui permet une alternative à une sentence plus classique, une alternative qui permet de diminuer les effets sur les employés, les retraités, les actionnaires, la clientèle de SNC-Lavalin », a déclaré MPatrice Peltier-Rivest, un procureur du DPCP, après la comparution en cour de l’entreprise au palais de justice de Montréal lundi.

Avant d’inviter une entreprise à négocier un tel accord, la poursuite doit être convaincue qu’une condamnation criminelle serait possible vu l’état actuel de la preuve. L’entreprise doit aussi avoir collaboré avec les autorités pendant l’enquête. C’est le cas dans ce dossier, selon le procureur.

« Il y a eu une perquisition et des remises volontaires de documents », a-t-il expliqué.

Un refus il y a trois ans

Dans un dossier précédent où elle était accusée de corruption en Libye, SNC-Lavalin avait tenté d’obtenir un tel accord de poursuite suspendue. Les procureurs du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC), la couronne fédérale, avaient refusé d’entamer des négociations à cet effet en 2018, notamment en raison de la gravité des infractions, de leur durée dans le temps et du niveau de collaboration constaté pendant l’enquête policière.

Ce refus avait provoqué une crise au sein du cabinet de Justin Trudeau. L’ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, s’était brouillée avec le premier ministère à la suite de ce qu’elle considérait comme des pressions inappropriées de son entourage en faveur d’un accord de poursuite suspendue.

Dans le dossier du pont Jacques-Cartier, le DPCP, c’est-à-dire la couronne provinciale, juge qu’un accord hors-cour serait approprié.

L’accord de poursuite suspendue est seulement accessible à l’entreprise en tant que personne morale. Les deux anciens cadres accusés, eux, n’auront pas le choix de faire face à la justice.