Les grands sites de pornographie ne sont « pas sûrs », selon des chercheurs britanniques. Les titres de milliers de vidéos – automatiquement visibles en page d’accueil – évoquent des scénarios sexuels violents ou illicites, disent-ils, les rendant inquiets à l’idée que les jeunes croient ces comportements permissibles et peu dommageables.

Des scènes à caractère illicite ou violent sont régulièrement en vedette sur les pages d’accueil des sites de pornographie les plus fréquentés. Dès la première visite – sans même l’avoir cherché –, des jeunes se retrouvent automatiquement exposés à ce genre de contenu.

C’est le constat de chercheurs qui ont analysé les titres de quelque 132 000 vidéos pornographiques offertes sur trois sites gratuits visités des milliards de fois par an : Pornhub, xHamster et XVideos.

Chaque heure, pendant six mois, un programme informatique a capturé tous les titres affichés sur leurs pages d’accueil.

Conclusion de leur enquête : une vidéo sur huit – soit près de 16 000 – était étiquetée de manière à suggérer l’inceste, une agression physique ou sexuelle, un abus sexuel, la coercition ou l’exploitation.

Des titres pareils normalisent les comportements criminels, certains allant jusqu’à « ridiculiser ou minimiser la possibilité de préjudice », affirme l’étude, publiée au début d’avril, dans le British Journal of Criminology.

« Plusieurs titres décrivaient des crimes. Même si ce sont des mises en scène, le fait qu’ils apparaissent sur la toute première page est assez choquant », nous a écrit Fiona Vera-Gray, auteure principale de l’étude réalisée à l’Université Durham, en Angleterre.

Des titres perturbants

La professeure de sociologie, qui se décrit comme militante, y reproduit mot à mot une série de titres très crus. Elle écrit vouloir mettre fin au « silence dans le discours public et politique quant à ce que la pornographie en ligne grand public est vraiment ».

PHOTO FOURNIER PAR FIONA VERA-GRAY

La chercheuse Fiona Vera-Gray, professeure de sociologie à l’Université Durham, en Angleterre

Une des vidéos en vedette s’intitulait par exemple « Anal non désiré et douloureux ». Une autre était baptisée « Adolescent utilisé et abusé partie 2 » (voir encadré en fin de texte).

Plus de 1400 titres décrivaient des relations incestueuses père-fille. Près de 1700 comportaient les mots « molester », « annihiler », « détruire », « torturer », « poignarder », « attaquer », « battre », « ruiner », « étouffer », « déchirer », « briser ».

Parmi ces 1700, environ 500 référaient clairement à des pratiques sadomasochistes consensuelles ou n’étaient pas pertinents, et ont donc été exclus du calcul des chercheurs.

Fantasmes répandus

« L’étude a été mal faite, mais le sujet est très intéressant », estime Christian Joyal, professeur de psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur au Centre international de criminologie comparée.

Découvrir que des vidéos à caractère violent s’affichent spontanément, sans l’intervention d’un utilisateur ou d’un algorithme, l’a surpris.

PHOTO FOURNIE PAR CHRISTIAN JOYAL

Christian Joyal, professeur de psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur au Centre international de criminologie comparée, a dirigé plusieurs études sur les fantasmes et intérêts sexuels des hommes et femmes québécois.

Dans nos recherches, quand on demande aux adolescents avec quels mots-clés ils cherchent de la pornographie, la majorité nous répond qu’ils n’en utilisent pas. Ils cliquent sans a priori, comme si c’était une loterie.

Christian Joyal, professeur de psychologie à l’UQTR et chercheur au Centre international de criminologie comparée

« Si on leur offre spontanément de la violence, c’est problématique. Mais comment définir la violence sexuelle ? Où tracer la ligne ? La réponse n’est pas évidente… »

Pour le neuropsychologue, la définition de Fiona Vera-Gray est idéologique et exagérément large, car elle place trop d’actes différents dans le même panier. Ce qui l’a conduite à surestimer la proportion de titres « violents ».

Certains des mots qu’elle réprouve renvoient au voyeurisme (comme « espionnée », « attrapée », « caché », « téléphone »). Ou encore à la domination ou à l’exploitation (comme « réticente », « ivre », « endormie », « argent », « fessée », « attachée »).

Or, ces thèmes sont au cœur des fantasmes de nombreux hommes et femmes, affirme le professeur Joyal. « « Fessée » et « attachée », cela va au-delà de la pornographie, c’est rendu dans la vie des gens, lance-t-il. Il y a des données probantes là-dessus. » D’après une étude, 31 % des gens ont essayé ces pratiques de domination/soumission au moins une fois. (voir encadré en fin de texte).

Sans que l’on comprenne pourquoi, près du quart des hommes rêvent de violer une femme, même s’ils ne passeront pas à l’acte, ajoute le chercheur.

Ils sont aussi très nombreux à consommer de la pornographie au sujet de l’inceste. « Ça ne m’étonne donc pas qu’on retrouve des mises en scène pareilles. Oui, c’est illégal dans la vraie vie, mais on parle ici de fiction. »

« Beaucoup de gens s’intéressent sexuellement aux trucs un peu tabous, qui sortent de l’ordinaire. Ce n’est pas parce qu’ils aiment se les imaginer qu’ils veulent les faire. »

Sous influence ?

Les vidéos qui magnifient la violence pourraient-elles provoquer des agressions ? Fiona Vera-Gray le craint et conclut que les sites de pornographie « grand public » ne se révèlent pas forcément « sûrs ».

Pour Christian Joyal, une minorité d’utilisateurs risque de se laisser influencer. « Un ado typique qui est aimé et équilibré va faire la part des choses, comme pour les films d’horreur », dit-il.

« Mais un ado avec une forte libido, qui est seul et se fait rejeter, qui croit que les femmes sont toutes des ‟bitches », ça ne doit pas l’aider de voir des vidéos qui le confortent dans ses pensées négatives. » Mais ce n’est pas le facteur de risque le plus important, loin de là, précise le professeur.

Comparativement aux jeunes du même âge – y compris les adeptes de pornographie « ordinaire » –, les consommateurs de pornographie violente sont six fois plus susceptibles d’avoir un comportement sexuel agressif, d’après une étude à laquelle ont participé 1000 Américains de 10 à 15 ans pendant trois ans. Au total, 5 % des jeunes suivis ont rapporté avoir été sexuellement agressifs, en personne ou par voie électronique.

Moins de titres violents sur Pornhub

Comparativement à ses concurrents, Pornhub, propriété de l’entreprise montréalaise MindGeek, propose moins de vidéos étiquetées de manière à suggérer des actes sexuels illégaux ou violents.

D’après nos calculs, basés sur les données reproduites dans l’étude de l’Université Durham, 9 % des vidéos de Pornhub analysées par les chercheurs portaient un titre jugé problématique, contre 12 % des vidéos de xHamster et 14 % de celles de XVideos.

En consultant les normes affichées sur ces sites, Fiona Vera-Gray a constaté que certains interdisaient la « représentation » de l’inceste, ou encore le contenu qui « encourage une conduite qui serait considérée comme criminelle ou autrement inappropriée ».

À en croire leurs titres, ils ne respectent pas leurs propres règles, dit-elle.

Un porte-parole de Pornhub a répondu à La Presse que l’étude lui apparaît « fondamentalement défectueuse, ne faisant pas la différence entre la violence sexuelle réelle et les fétichismes consensuels ».

« Les adultes, écrit-il, ont droit à leurs propres préférences, tant qu’elles sont légales et consensuelles, et tous les fantasmes conformes à ces critères sont les bienvenus. »

xHamster nous a plutôt dirigée vers la Free Speech Coalition, une association qui veut « protéger les droits et libertés de l’industrie pour adultes », et critique elle aussi la façon dont l’étude a défini la violence sexuelle.

XVideos n’a pas répondu à nos questions.

*Deux passages citant le professeur Joyal ont été modifiés après la publication initiale de ce texte afin d’y ajouter du contexte.

Déviants ou pas ?

« Plusieurs comportements sexuels sont considérés comme atypiques et qualifiés de paraphilies, alors que les fantasmes à leur sujet sont répandus. »

Le professeur de psychologie Christian Joyal l’a constaté en analysant les réponses d’environ 1500 adultes québécois, il y a près de 10 ans.

Chez eux, seulement 11 fantaisies sexuelles sur 55 se sont révélées inhabituelles ou rares. « Les thèmes de soumission et de domination étaient courants et communs aux hommes et aux femmes », résume le chercheur.

Proportion d’hommes et de femmes ayant les fantasmes suivants

Ligoter quelqu’un : H 48 % F 42 % Se faire ligoter : H 46 % F 52 % Donner la fessée ou fouetter quelqu’un : H 43 % F 24 % Recevoir la fessée ou être fouetté : H 28 % F 36 % Prendre quelqu’un de force : H 22 % F 11 % Être pris de force : H 29 % F 31 % Abuser d’une personne ivre, endormie, inconsciente : H 23 % F 11 %

Source : « What Exactly Is an Unusual Sexual Fantasy ? », Journal of Sexual Medicine