En conférence de presse, mardi, Justin Trudeau a fait miroiter ce qui nous fait tous baver d’envie, ne dites pas le contraire : la promesse d’un barbecue entre amis l’été prochain.

Question théorique : seriez-vous prêt à renoncer à ce barbecue si cela pouvait tirer l’Inde du cauchemar covidien dans lequel elle est plongée ?

Probablement que oui. Si la question est posée comme ça.

En voici une autre, formulée autrement : renonceriez-vous à sortir votre ado de son anxiété confinée, le laisseriez-vous baigner dans sa détresse quelques mois de plus, si cela pouvait sauver la vie de personnes âgées à l’autre bout du monde ?

La réponse, cette fois, paraît moins évidente.

Or, c’est bien cela que nous demande l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle nous demande de ne pas commencer à vacciner les enfants contre la COVID-19 tant que tous les pays n’auront pas pu vacciner leurs populations vulnérables.

Ça n’arrivera pas, on s’en doute bien. Au Canada, les campagnes de vaccination sont menées tambour battant dans chacune des provinces. Le Québec devrait réussir à administrer une première dose à 75 % de sa population adulte avant la date butoir du 24 juin. Ça va bien.

Tellement bien que les adolescents de 12 à 17 ans auront droit à leur première dose de Pfizer-BioNTech avant la fin des classes, nous promet-on. Ça veut dire que la rentrée de septembre, au secondaire, sera à peu près normale. Un soulagement pour des milliers de parents québécois. Plus qu’un soulagement ; une libération.

C’est extraordinaire, je suis parfaitement d’accord.

À l’échelle de la planète, toutefois, c’est extraordinairement… injuste.

Les enfants et les adolescents, on le sait, souffrent très peu des complications graves liées à la COVID-19. Ils ne risquent pas d’engorger les hôpitaux ni de mettre en péril le système de santé. Ils peuvent transmettre le virus, mais si une masse critique d’adultes est vaccinée, c’est moins problématique.

Bref, ils ne sont pas une priorité.

Ailleurs, le nombre de cas explose. L’Inde compte près de 4000 morts par jour. Des corps s’échouent par dizaines sur les rives du Gange. L’Afrique n’a vacciné que 1,08 % de sa population.

C’est anormal. Parfaitement inhumain.

On sait tout ça. L’OMS dénonce cette iniquité vaccinale depuis des mois. Mais la fracture entre pays riches et pauvres est toujours plus grande. C’est plus fort que nous. On ne veut pas être en queue de peloton. On veut en finir.

On veut ce qu’il y a de mieux pour notre famille, pour notre communauté.

C’est normal. Parfaitement humain.

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C’est aussi hautement contradictoire.

Justin Trudeau n’y échappe pas. « L’endroit où vous vivez ne doit pas déterminer si vous vivez », écrivait-il en juillet 2020, avec sept autres dirigeants, dans le Washington Post. « La vaccination est notre meilleure chance de mettre fin à la pandémie chez nous et dans le monde — mais seulement si tous les pays ont accès au vaccin. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau en conférence de presse mardi

« Nous comprenons très, très bien que cette pandémie ne finira nulle part si elle ne finit pas partout », répétait-il encore la semaine dernière.

Le premier ministre comprend très bien… en théorie. En pratique, toutefois, il refuse d’emboîter le pas au président Joe Biden, qui réclame la levée temporaire des brevets pharmaceutiques sur les vaccins.

La proposition, appuyée par plus de 100 pays, vise à produire des vaccins génériques en grande quantité, partout dans le monde. Pour inoculer le plus de gens possible, le plus rapidement possible.

Big Pharma, on l’imagine bien, ne veut rien savoir.

Et Justin Trudeau n’est tout simplement pas en mesure de lui tenir tête.

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C’est plus facile pour Joe Biden. Son soutien à la levée des brevets constitue un vrai changement de cap, après des mois à privilégier l’Amérique d’abord. C’est commode, dès lors que l’approvisionnement n’est plus un problème aux États-Unis, de plaider pour la levée des brevets…

Mais si Justin Trudeau fâche les pharmaceutiques en faisant la même chose, le Canada recevra-t-il les doses nécessaires au barbecue tant désiré ?

A-t-il les moyens de prendre ce risque ?

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« Ça ne peut être une course à un seul gagnant, écrivait encore Justin Trudeau dans le WaPo, en juillet 2020. Quand un ou plusieurs vaccins seront trouvés, ça devra être une victoire pour chacun de nous. Nous ne pouvons permettre que l’accès aux vaccins augmente les inégalités entre les pays. »

Décidément, cette missive a bien mal vieilli.

Quand on sait que le Canada a sécurisé une quantité démesurée de vaccins pour ses propres concitoyens…

Quand on sait qu’il continue de puiser des vaccins dans le programme COVAX, conçu pour les pays pauvres…

Quand on sait que ce programme n’a livré que 49 millions de doses dans 121 pays, alors que l’objectif est de 2 milliards d’ici la fin de l’année…

On se dit que cette profession de foi sur la justice vaccinale entre les peuples n’était, en somme, qu’un vœu pieux.

Mais bon, on va l’avoir, notre barbecue.