L’autre jour, j’ai pris le REV vers le nord. Le soleil était magnifique, mais c’était un de ces jours simili-frisquets où tu montes sur ton vélo en te demandant : je mets des gants ou pas ? J’en ai mis. Je ne l’ai pas regretté.

Le REV, donc. C’est le Réseau express vélo, qui n’a encore rien d’un réseau : il n’existe que dans la rue Saint-Denis. Deux pistes bien balisées, unidirectionnelles, à feux distincts pour les autos et pour les vélos, ce qui protège la priorité de chacun… Et limite les interactions potentiellement fâcheuses.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La piste cyclable du REV (Réseau express vélo), sur la rue Saint-Denis

C’était un dimanche parfait pour rouler. Je suis monté jusqu’à Jean-Talon, je voulais essayer un peu cette nouvelle piste cyclable qui s’étale entre Roy (au sud du Plateau) et Gouin (au nord d’Ahuntsic). Un vélo électrique m’a dépassé en traversant Rosemont et ça m’a irrité, comme chaque fois. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me fâche toujours de me faire dépasser par un vélo électrique : je me sens comme le seul gars pas dopé à la finale du 100 mètres des Jeux olympiques.

Le REV était plein, plein de vélos. Une autoroute à bécyks.

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À vélo, on voit des choses qu’on ne voit pas en char. Ce dimanche-là, toutes les places publiques, officielles ou pas, étaient envahies par des Montréalais qui prenaient du soleil. Ça buvait du café, ça dégustait une crème glacée, les trottoirs étaient pleins de marcheurs. Les parcs, remplis de vie. Des poussettes partout. J’ai dîné sur le pouce devant un resto qui n’est accessible que par sa ruelle.

C’est cette ville-là que j’habite. Par opposition à la ville imaginaire, je veux dire. La ville imaginaire ?

Je ne sais pas comment vous résumer ça, mais je vais le dire comme ça sort : chaque fois que j’entends le mot « métropole » pour parler de Montréal, je me sens comme quand je me fais dépasser par un vélo électrique…

Prenez le Grand Prix de Formule 1. Le GP de F1, c’est formidable pour la métropole, pour une certaine idée de Montréal. Mais le Grand Prix de Formule 1, c’est comme un comptoir en granit importé d’Australie, pour une ville : c’est un joli luxe, mais tes carottes vont avoir le même goût que si ton comptoir est en bois de chez IKEA. Je suis content qu’on ait le Grand Prix (qui est sur la glace cette année), ne vous y trompez pas, mais je n’aurais pas fait de dépression si, à la faveur d’un énième chantage au déménagement, la Turquie nous l’avait « volé »…

Mais les gens n’habitent pas cette ville-là, la métropole-qui-rayonne-dans-le-monde, en tout cas, pas la plupart des Montréalais. C’est ça, la ville imaginaire. Je ne dis pas que l’imaginaire n’est pas important. Je ne sais juste pas si c’est aussi important qu’avant. Je ne sais juste pas si les villes ont comme jadis besoin d’habiter l’imaginaire, à grands coups d’évènements-de-prestige…

Peut-être. Peut-être pas.

Prenez les Jeux olympiques. Saviez-vous que les Jeux olympiques ont de plus en plus de difficulté à trouver des villes pour les accueillir ? Bien sûr, il y a les coûts, absolument prohibitifs. Bien sûr, il y a les désagréments…

Mais quand même, on ne compte plus les villes qui ont renoncé à l’idée d’obtenir les JO, pour cause d’opposition citoyenne, de gens qui habitent ces villes et qui se disent que c’est trop cher payé pour…

Pour quoi, au fait ?

Je parle bien sûr ici de villes de pays démocratiques. Juste ces dernières années, ces villes ont renoncé à l’aventure olympique : Boston, Calgary, Sion (Suisse) et Oslo…

> Consultez un article du site GamesBids.com sur le sujet (en anglais)

C’est différent pour les dictatures, remarquez. Pékin va accueillir en 2022 les JO d’hiver, 14 ans après avoir accueilli les Jeux d’été. La Russie a organisé les Jeux de Sotchi en 2014 et la Coupe du monde de soccer en 2018. Le Qatar va organiser celle de 2022.

En dictature, les citoyens ne s’opposent pas à la venue des Jeux. C’est pratique, des fois, la dictature.

Même quand des démocraties obtiennent de grands zévènements, il y a des absents. Vancouver, Chicago et Minneapolis ont déjà retiré leur candidature pour accueillir des matchs de la Coupe du monde 2026 organisée par le trio Mexique-États-Unis-Canada : trop cher. Et personne ne parie sur des matchs à Montréal, pour la même raison…

Donc, il y a les coûts. Et le trouble.

Je dis : il y a aussi l’imaginaire.

Montréal a peut-être eu besoin d’Expo 67 pour se mettre sur la mappe, pour dire au monde « J’existe ». En 2021, Montréal a-t-il encore besoin de ces Grands Évènements Internationaux pour se mettre sur la mappe ?

Personnellement, je pense que la question est ailleurs : Montréal a-t-il besoin de se mettre sur la mappe ?

La mappemonde, depuis 20 ans, s’est considérablement rétrécie à la faveur de la révolution numérique et de la démocratisation du tourisme. Je n’ai plus besoin que la Corée du Sud accueille les JO pour m’imaginer à Séoul…

Ça fait plus de 20 ans que j’habite Montréal. C’est ici que je marche, que je roule, que je vis, que j’aime, c’est la ville où grandit mon fils. Je l’haïs, parfois (Montréal, pas mon fils). Car c’est un acte de foi, habiter ici.

Montréal n’a pourtant jamais semblé aussi convivial, aussi « vivable », dans ses quartiers.

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J’ai quitté le REV pour aller rouler dans les petites rues. J’ai pensé : le REV, c’est l’Expo 67 des gens qui habitent la ville en 2021, la ville « vécue », pas la ville imaginaire.

Les arbres commençaient à dessiner des arches pleines d’un vert pomme qui annonçait le printemps, au-dessus des avenues. J’ai pensé, encore : cette ville n’est jamais aussi belle que lorsque le mois de mai se pointe le bout du bourgeon.