On aime à dire que l’humain, après avoir accompli sa besogne sur terre, part en fumée. Mais sait-il qu’il le fait en laissant derrière lui de préoccupantes particules ?

Un projet d’implantation de crématorium à Saint-Bruno-de-Montarville suscite une vive inquiétude chez des citoyens. Ceux-ci, jugeant que le futur complexe de la Coopérative funéraire du Grand Montréal (CFDGM) sera érigé trop près des résidences, affirment que le concept ne respecte pas la réglementation municipale.

Mais surtout, ils tiennent à exprimer leurs appréhensions quant aux possibles effets néfastes de la crémation sur l’environnement et leur santé.

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Les crématoriums produisent des émanations de particules en suspension dans l’air, de métaux, de composés organiques volatils et semi-volatils, de chlorure d’hydrogène, de gaz de combustion et d’odeur.

Je vais mettre de côté les points de vue divergents sur le zonage du terrain où doit être construit cet important complexe qui servira de siège social pour la CFDGM, mais aussi de salon funéraire et de crématorium. De même que je vais vous épargner les détails de la poursuite engagée contre la municipalité de Saint-Bruno par la CFDGM, ainsi que le procès portant sur la nature du projet et dont le jugement a récemment donné raison à la CFDGM.

La question qui m’intéresse ici est : est-ce que les cheminées des crématoriums d’où s’échappent diverses particules représentent un risque réel pour la santé des gens ?

Cet aspect préoccupe grandement Robert Forget, un résidant de Saint-Bruno, également neurophysiologiste et ancien professeur à l’École de réadaptation de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. La bataille qu’il mène actuellement pour sensibiliser la population aux dangers possibles des crématoriums est impressionnante.

Je vous invite à visiter le site qu’il a créé au nom des COCARH, ou Citoyens opposés aux crématoriums adjacents aux résidences et habitations. On y trouve des données et des études qui méritent votre intérêt. Robert Forget a réuni autour de lui des gens ayant des expertises diverses et fort utiles.

« On n’est pas une bande de totos comme certains semblent le croire », m’a-t-il dit.

Des études scientifiques démontrent que les fours crématoires dégagent des polluants et des toxines. En effet, les crématoriums produisent des émanations de particules en suspension dans l’air, de métaux, de composés organiques volatils et semi-volatils, de chlorure d’hydrogène, de gaz de combustion et d’odeur.

Les opposants au projet de Saint-Bruno s’appuient sur diverses études qui montrent que les crématoriums émettent dix des douze polluants les plus toxiques au monde, dont des dioxines et du mercure.

Ceux qui exploitent les crématoriums se défendent en disant que leurs installations respectent les normes établies par les autorités et que le taux émis ne constitue pas un danger pour la population.

« On est souvent inquiets de choses qu’on ne connaît pas, dit Michèle Raymond, directrice générale de la CFDGM. Ce ne sont pas des déchets que l’on met dans le four, ce sont des êtres humains. Je peux vous assurer que nos installations actuelles sont conformes et que les prochaines le seront encore plus. »

J’ai quand même rappelé à Mme Raymond que ce qui sort des cheminées contient des éléments polluants. « Peut-être, mais l’autoroute 30 qui passe près de Saint-Bruno est aussi très polluante. »

86 crématoriums au Québec

Le monde funéraire a complètement changé au Québec au cours des dernières années. La crémation a de loin supplanté l’inhumation. Près de 75 % des gens choisissent maintenant de se faire incinérer. À la CFDGM, on m’a dit que ce taux monte même à 95 %. Cela explique pourquoi il y a actuellement au Québec 86 crématoriums. « Nous ne sommes plus à l’époque où on incinérait cinq corps par semaine », dit Robert Forget.

La capacité annuelle maximale d’incinération pour les deux futures unités de crémation de la CFDGM serait d’environ 6000 corps, selon Robert Forget. Michèle Raymond tempère ces chiffres en donnant comme exemple cette unité de crémation de la CFDGM qui fonctionne au maximum de sa capacité et qui a accueilli 2000 dépouilles l’an dernier.

Toujours selon Robert Forget, on n’écarterait pas l’idée d’ajouter un troisième four au projet de Saint-Bruno dans un avenir rapproché. « Non, rétorque Michèle Raymond, nous n’avons pas l’intention d’installer une troisième unité. »

Au Québec, un crématorium doit fournir une modélisation de la dispersion atmosphérique des contaminants au ministère de l’Environnement pour pouvoir être en activité. Il doit ensuite publier un rapport de caractérisation tous les cinq ans, c’est-à-dire qu’il doit faire état des émissions de particules totales, mais pas celles des émissions de tous les polluants.

Cette méthode de contrôle suscite l’ire de Robert Forget. « On est arriérés au Québec à ce sujet. Il y a une méconnaissance des contaminants atmosphériques qui sont rejetés. Les lois et les règlements du ministère de l’Environnement du Québec sur les crématoriums sont vétustes et désuets. »

Absence de règlement

Ce qui inquiète surtout les habitants de Saint-Bruno, c’est la proximité entre le futur crématorium et la zone résidentielle. Selon Robert Forget, seulement 22 mètres sépareront le crématorium du quartier résidentiel le plus proche, qui comprend des garderies, des parcs, des écoles et une partie du parc national du Mont-Saint-Bruno.

La CFDGM parle plutôt de 100 mètres si on mesure la distance à partir du haut des cheminées.

Quoi qu’il en soit, des villes canadiennes ont adopté ces dernières années des règlements qui imposent des distances minimales pouvant aller jusqu’à 300 mètres. Au Québec, ce règlement n’existe pas. Cela m’a été confirmé par un porte-parole du ministère de l’Environnement qui « s’assure que les émissions atmosphériques qui sont générées par le projet présenté dans la demande d’autorisation respectent les normes de qualité de l’atmosphère à l’extérieur du site ».

Pour le moment, le Ministère n’a pas l’intention de revoir le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère (RAA) portant sur les distances minimales des crématoriums.

Sur le site de l’organisme des COCARH, on apprend, grâce au travail minutieux d’un citoyen, que 40 % des crématoriums du Québec sont à moins de 20 mètres des résidences et 87 % à moins de 300 mètres.

Ailleurs au Canada, certaines villes exigent que les crématoriums soient installés dans des zones industrielles. « Beaucoup de personnes veulent faire un dernier adieu au défunt et ça se passe à l’endroit où a lieu la crémation, explique Michèle Raymond. Ça doit être fait dans un cadre respectueux. Un quartier industriel ne se prête pas à cela. »

Une solution écologique

En attendant que le Québec se penche plus sérieusement sur les effets possiblement néfastes des crématoriums, plusieurs pays s’intéressent de près à l’aquamation, une méthode jugée plus écologique que la crémation.

Avec l’aquamation, la dépouille est placée dans un grand cylindre métallique qui est rempli d’un mélange de 300 litres d’eau et d’une solution qui facilite la décomposition du corps. Après avoir été chauffé à basse pression pendant 12 heures, le corps ne laisse que les os du squelette qui sont réduits en poudre comme lors d’une crémation.

Cette méthode ne convainc pas Michèle Raymond. « Il faut savoir que cette eau est ensuite jetée dans les égouts. Vous voyez, peu importe comment ça se passe, il y a toujours un petit impact. Pour nous, ce n’est pas un mode qui est à considérer en ce moment. »

Il est difficile de déterminer les effets réels des émissions crématoires sur la qualité de l’air local et la santé des citoyens, car peu d’études se sont penchées sur ce phénomène.

Il serait peut-être temps qu’on s’y mette.

La question des rites funéraires a pris beaucoup de place ces dernières années. Au-delà des considérations philosophiques, le débat qui a lieu à Saint-Bruno devrait nous amener à élargir notre réflexion.

L’industrie commerciale funéraire (car c’en est une) dicte-t-elle exagérément ses lois ? Quelle est la parole des citoyens dans cette vaste opération faite de mystère ? Est-il temps qu’ils prennent en main la dernière étape de leur parcours ?

L’être humain ne choisit pas quand et comment il arrive sur terre. Mais peut-il avoir une emprise sur la façon dont il va la quitter ?