« Que diriez-vous si je devenais journaliste à La Presse, au même titre que vous, sous prétexte que je lis ce journal depuis plus de 40 ans ? »

La question m’a été posée par une lectrice qui me reproche d’avoir laissé entendre, dans une récente chronique portant sur le manque de souplesse du programme de tutorat lancé par le ministre de l’Éducation, que n’importe qui pouvait s’improviser enseignant.

Je ne souscris absolument pas au préjugé selon lequel les enseignants seraient des gras-durs-privilégiés-deux-mois-de-vacances-qui-chialent-pour-rien et dont n’importe qui pourrait faire le travail. Si leur statut était si enviable et leurs conditions de travail si formidables, il n’y aurait sans doute pas une telle pénurie au Québec. Et si la profession n’en était pas une à prédominance féminine, il y a fort à parier que les choses se passeraient différemment.

« Jamais on ne traiterait des policiers, des pompiers ou des médecins comme on traite les enseignantes depuis la réforme Parent », m’écrit une enseignante qui approche de la retraite et qui décrit sa carrière en enseignement comme un « long désenchantement frustrant » face à un système kafkaïen et sexiste.

Il y a urgence de valoriser la profession enseignante et de la rendre plus attrayante — c’était d’ailleurs une promesse électorale de la Coalition avenir Québec qui n’a toujours pas été tenue.

Bref, loin de moi l’idée de penser que la tâche des enseignants est facile et que n’importe qui peut s’improviser prof. Ce n’était pas du tout le sens de mon propos lorsque je citais l’exemple de la France, qui permet aux parents de trois enfants d’aspirer à la profession enseignante même s’ils n’ont pas étudié dans le domaine. Je ne donnais pas cet exemple pour dire que l’on devrait permettre à n’importe quel parent d’expérience de se recycler en enseignement. D’ailleurs, en France, les parents de trois enfants ne deviennent pas profs en claquant des doigts. Ils peuvent simplement se qualifier pour le concours. Ils devront ensuite réussir l’examen, faire la preuve qu’ils satisfont aux exigences de la profession et se soumettre avec succès à une année de stage.

Je citais cet exemple pour dire que, surtout dans un contexte de pénurie de personnel scolaire où les besoins sont plus criants que jamais, on gagnerait parfois à être un peu moins rigide dans la sélection des tuteurs.

L’analogie avec le journalisme est très intéressante. Il se trouve que nombre de journalistes (j’en suis !) n’ont pas étudié en journalisme ou en communication. J’ai parmi mes collègues des gens qui ont fait des études en droit, en génie, en littérature, en histoire…

Ça ne veut pas dire que n’importe qui peut aspirer à la profession, pourvu qu’il « fasse ses recherches »… Mais si un candidat a les connaissances et les compétences requises, s’il peut réussir les mêmes examens d’entrée que ses collègues, faire ses preuves durant un stage ou une période de probation et respecter le code de déontologie de la profession, où est le problème ?

Est-ce à dire que je trouve formidable que l’on permette en ce moment, en désespoir de cause, à de nombreux enseignants non qualifiés d’enseigner des matières qu’ils ne maîtrisent même pas ? Bien sûr que non.

Quand je parle de plus de souplesse, je ne veux pas dire plus de souplesse devant l’incompétence. Mais on n’a pas le luxe de se priver de monsieur Lazhar (du film du même nom) et d’autres gens tout à fait compétents, sous prétexte qu’ils n’ont pas exactement le bon diplôme ni le laissez-passer A38 de la maison qui rend fou des Douze travaux d’Astérix.

Or, c’est ce que l’on fait en ce moment avec le programme de tutorat qui tarde à être mis en place et connaît quelques écueils.

> (RE)LISEZ notre article sur les écueils dans le programme de tutorat

Alors que le nombre d’élèves en difficulté explose, des gens tout à fait compétents lèvent la main pour les aider, et on leur dit aussitôt de la baisser ou on tarde à leur répondre.

« Il me semblait que ce bénévolat aurait été une bonne façon d’offrir une petite contribution en mettant à profit mes compétences », m’écrit une orthophoniste en congé de maternité, déçue de ne pouvoir poser sa candidature à Répondez présent, le programme étant réservé aux étudiants en éducation ou aux enseignants en poste ou à la retraite.

Le plus absurde, c’est que des enseignants qui ont un brevet d’enseignement et se proposent pour faire du tutorat auprès de leurs propres élèves se voient refuser cette occasion.

Alors qu’ils sont les mieux placés pour connaître les difficultés de leurs élèves et faire un suivi personnalisé auprès d’eux, des centres de services scolaires le leur interdisent. Certains croient qu’il pourrait y avoir là une apparence de conflit d’intérêts. Ainsi, selon une drôle de logique, des enseignants sont autorisés à faire du tutorat auprès d’élèves qu’ils ne connaissent pas, mais pas auprès d’élèves qu’ils connaissent.

Au cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, on dit pourtant que ce n’est pas interdit. Mais il semble que tous n’aient pas eu le mémo. Et que, près d’un an après le début de la pandémie, alors que l’on prive des élèves en difficulté de leur orthopédagogue, comme je l’ai écrit vendredi, le programme de tutorat annoncé en grande pompe comme une mesure phare pour les aider n’est toujours pas en place.

> (RE)LISEZ la chronique « Aimer, enseigner, délester »

Lors de l’annonce du ministre Roberge concernant le tutorat en janvier, la députée péquiste Véronique Hivon avait dit avec ironie que, si nous étions chanceux, ce programme qu’elle avait réclamé pour septembre 2020 verrait peut-être le jour avant la relâche scolaire. « Eh bien, j’étais trop optimiste… ! », constate-t-elle.

Ce qui me fait penser qu’au-delà de la pénurie de personnel qui mine le monde de l’éducation, il y a aussi une pénurie de gros bon sens.

> (RE)LISEZ la chronique « Répondre présent à un ministre absent »