Qui dit pandémie et télétravail dit moins d’usagers sur la route. Le nombre de constats d’infraction de sécurité routière a été effectivement en chute libre à travers le Québec, montrent des chiffres obtenus par La Presse, en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

98 024. C’est le nombre de constats qu’a remis le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) entre le mois de mars et d’août. C’est en avril que l’écart est le plus notable; à peine 3000 constats ont été remis, contre presque 43 000 l’an dernier. Ces cinq dernières années, la moyenne était de 263 102 constats.

« On a dû adapter nos pratiques. Au départ, juste pour une simple interception, les citoyens étaient méfiants. Et on peut les comprendre », explique le commandant en sécurité routière du SPVM, Eric Soumpholphakdy. Ce dernier s’attend à une « réponse terrain » plus soutenue des patrouilleurs dans les prochains mois, à l’approche des Fêtes et d’un éventuel déconfinement.

Ce même phénomène s’observe aussi à Québec. Seules 19 306 infractions y ont été recensées entre les mois de mars et d’août, en comparaison avec une moyenne d’environ 34 382, de 2015 à 2019. « Comme il y a moins de gens sur la route, on remarque moins d’infractions et on donne moins de constats. C’est directement en lien avec la pandémie », résume David Pelletier, du Service de police de la Ville de Québec.

Idem dans la couronne nord de Montréal, où le Service de police de Laval (SPL) enregistre un peu plus de 22 000 contraventions entre mars et août. L’an dernier, ce chiffre était de 34 852 pour la même période. « Hormis ceux qui sont affectés spécifiquement à la circulation, nos policiers sont maintenant plus sollicités par les appels en lien avec la santé publique », avoue la coordonnatrice, Évelyne Boudreau.

Une baisse… suivie d’une hausse

Plus à l’ouest, Gatineau n’enregistre que 15 500 constats lors de cette même période, soit 33 % de moins par rapport à la moyenne de 23 350 depuis cinq ans. En avril, seuls 785 constats ont été remis. Depuis mai, comme dans la plupart des corps policiers, ce chiffre est toutefois reparti à la hausse, oscillant autour de 3400. Pour autant, aucun objectif de redressement « financier » n’a été fixé, assure la porte-parole du Service de police de la Ville de Gatineau, Andrée East. « On n’ira pas mener des opérations pour remplir les coffres », illustre-t-elle.

Les montants rattachés aux infractions nous importent peu. On n’a pas d’objectif financier, mais bien un mandat de sécurité publique. […] Si ça n’était pas le cas, on viserait juste les infractions les plus coûteuses.

Andrée East, porte-parole du Service de police de la Ville de Gatineau

Les données de la police de Sherbrooke suivent la même logique. Après un creux record de 458 constats en avril, leur nombre a bondi. En août, on dénombrait 2627 constats, un chiffre légèrement en deçà de la moyenne. À Blainville, où les patrouilleurs n’ont remis que 190 constats en avril, le directeur du Service de police, Yves Tessier, avoue avoir revu ses priorités. « Avec cette faible présence sur les routes, les policiers ont été réaffectés à d’autres tâches », dit-il. Depuis, le nombre d’amendes est là encore reparti à la hausse ; vers la fin de l’été, on y a enregistré 1518 contraventions.

Saguenay connaît aussi la même progression ; à peine 79 constats ont été remis en avril, contre 3329 à pareille date l’an dernier. L’augmentation est depuis considérable : en août, la situation semblait presque revenue à la normale, alors que plus de 2000 constats avaient été donnés. « Ça a été un printemps très différent, mais il n’y a pas d’objectif de rattrapage financier pour autant », assure le sergent Dominic Simard.

Une rééducation à faire ?

Pour le porte-parole de l’Association des directeurs de police du Québec (ADPQ), André Durocher, il est inévitable que la présence policière devienne « accrue » au fur et à mesure que la pandémie se résorbe.

Compte tenu de ce qu’on vient de vivre, il ne faut pas s’en étonner. On va devoir se réapproprier certaines habitudes. Beaucoup de gens ont laissé leur auto de côté pendant des mois, et ont probablement perdu certains réflexes.

André Durocher, porte-parole de l’Association des directeurs de police du Québec

M. Durocher s’inquiète aussi que certains usagers aient développé de « mauvaises habitudes » de conduite sur des routes « moins achalandées » pendant le confinement. « Il va falloir avoir un renforcement. C’est un peu comme un retour en classe », illustre l’ex-directeur des communications du SPVM.

Chez SOS Ticket, cabinet d’avocats spécialisés en contestation de constats d’infraction, le président Thierry Rassam dit surveiller les activités des corps policiers de près, avec le retour graduel de l’achalandage. « Pour nous, c’est un enjeu. Il y a quand même une bonne augmentation du nombre de constats depuis quelques mois, et vu la circulation routière encore assez peu élevée, on peut se poser des questions », lance-t-il.

M. Rassam déplore que la plupart des corps policiers travaillent avec des « quotas » à respecter en matière de contraventions. « Pour moi, l’enjeu est aussi dans le travail personnel du policier. S’il se compare à ses collègues qui donnent dix constats par jour et que lui n’en donne aucun, ça a un impact. Par cette psychologie du travail, il y a une normalisation des tickets, qui est systémique », observe le juriste.

« Depuis cet été, notre volume d’appels est quasiment revenu à la normale. Est-ce que c’est du rattrapage, le fruit de politiques internes ou la nature des choses ? L’avenir nous le dira, mais on doit rester vigilant », conclut M. Rassam, en appelant lui aussi à la prudence sur les routes.

— Avec William Leclerc, La Presse