C’était écrit dans le ciel noir et incertain d’une longue, trop longue nuit d’élection.

Pendant que tout le monde se rongeait les ongles dans l’attente des résultats, Donald Trump a déclaré victoire.

Les jeux étaient pourtant loin d’être faits. Ni pour lui ni pour Joe Biden. « Ils essaient de VOLER l’élection, a-t-il tweeté. Nous ne les laisserons jamais faire. »

Des centaines de milliers de votes postaux n’avaient toujours pas été dépouillés. Des votes qui pouvaient encore faire la différence. Mais Trump, lui, avait décidé qu’il ne pouvait y avoir qu’un gagnant : lui-même.

Il aurait pu – aurait dû – faire preuve de retenue. Appeler le peuple américain à la patience. Et au calme.

À la place, il a déclaré – faussement – qu’on tentait de lui voler la victoire. Parce qu’on comptait encore des votes.

Ça augure mal pour la suite des choses…

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Au moment d’écrire ces lignes, il était trop tôt pour déclarer un gagnant. Joe Biden en arrachait, plus qu’on ne l’aurait cru. Il avait laissé échapper la Floride, qui lui aurait ouvert une voie royale vers Washington.

Mais il n’était pas battu.

Donald Trump logera-t-il quatre années de plus à la Maison-Blanche ? S’obstinera-t-il à y rester si les Américains, au terme de cette élection qui n’en finit plus, lui montrent la sortie ?

Le suspense est insoutenable.

Il faudra s’y faire, pourtant. Avec des résultats trop serrés pour trancher dans les trois États-clés de la Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin, avec un nombre record de votes postaux, longs à dépouiller, on pourrait avoir de quoi se faire de la bile pendant des jours, voire des semaines.

En attendant, on devra s’en tenir à des suppositions.

On ne sait pas ce que fera Donald Trump, le président le plus impulsif et imprévisible de l’histoire des États-Unis. Tout au plus sait-on qu’il peut faire… n’importe quoi, s’étant entouré de loyalistes qui n’oseront jamais le contredire.

On suppose que la passation des pouvoirs, s’il y en a une, sera chaotique.

Une seule chose semble acquise. Trump agira comme il l’a toujours fait : dans son propre intérêt.

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« Pouvez-vous imaginer si je perds ? », a demandé Trump dans un récent rassemblement. « Je ne vais pas me sentir très bien. Peut-être que je vais quitter le pays – je ne sais pas. »

Ce n’était peut-être pas juste des paroles en l’air.

Trump a beaucoup à perdre dans cette élection. Beaucoup plus que la présidence.

En fait, l’ex-magnat de l’immobilier ne peut pas se permettre une défaite, avance-t-on dans le plus récent numéro du New Yorker. « Le président a survécu à une procédure de destitution, à 26 accusations d’inconduite sexuelle et à environ 4000 poursuites judiciaires. La chance pourrait tourner, peut-être brutalement, si Joe Biden gagne. »

> Lisez l’article du New Yorker (en anglais)

Une douzaine d’enquêtes et de poursuites civiles sont en cours. Trump nage dans les dettes : 300 millions de prêts à rembourser, selon les médias américains. Sans compter ses petits ennuis avec le fisc…

Bref, les menaces sont sérieuses. Elles proviennent de tous les côtés. Si Trump finit par perdre cette élection, il perdra aussi son immunité de président.

Et risquera peut-être… la prison.

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Dans ce contexte, on peut imaginer que Trump envisage d’aller golfer sous des cieux plus cléments.

On peut aussi imaginer qu’il fera tout pour s’accrocher au pouvoir. Ou du moins, s’il perd, pour négocier sa sortie selon ses propres termes.

Même aux plus hauts échelons de l’administration, on craint que le président n’utilise les pouvoirs du gouvernement pour négocier son départ à son avantage, selon une récente enquête du New York Times.

> Lisez l’article du New York Times (en anglais)

Il pourrait par exemple profiter de la période de transition pour s’accorder un pardon présidentiel. À lui-même. Certes, ce serait du jamais-vu, mais… serait-on vraiment surpris ?

Pour l’historien Jon Meacham, cité dans le New Yorker, « l’auto-pardon serait l’acte ultime d’onanisme constitutionnel pour un président narcissique ».

Mais Donald Trump pourrait aussi concéder la victoire en échange de la promesse qu’il n’aurait pas à rendre de comptes devant la justice.

Ça peut sembler invraisemblable, ça aussi, mais il n’est pas exclu qu’on lui accorde cette « faveur », sachant que de nombreux Américains sont prêts à le suivre jusqu’au bout.

Ceux-là, les plus ardents partisans de Trump, pourraient vouloir prendre les choses en mains dans les prochains jours. Surtout si le président de la discorde les incite à le faire en se plaignant d’avoir été injustement dépouillé de la victoire.

Ils constituent sa meilleure police d’assurance.

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Malgré les tensions, la journée d’élection s’est déroulée dans le calme, mardi. C’est un énorme soulagement.

Reste que la période de transition, d’ici janvier 2021, s’annonce tumultueuse. Surtout en ces temps durs où l’économie est en crise, les cas de coronavirus bondissent et les ventes d’armes explosent. On peut s’attendre à tout.

Le pire scénario, c’est que Trump perde, mais refuse de concéder la victoire. Il parlera de fraude massive, mettra en cause tout le monde sauf lui-même. Il plongera ses partisans dans une dangereuse réalité alternative.

Il a déjà commencé.

Le meilleur scénario, c’est que le perdant – quel qu’il soit – accepte les résultats sans équivoque. C’est la seule façon de calmer le jeu. Biden en serait assurément capable.

Trump ? Ça semble au-dessus de ses forces. Pour le plus grand malheur de l’Amérique et du reste du monde.