Le très revendicateur syndicat des grutiers de la FTQ-Construction, au centre de la grève illégale qui a perturbé les chantiers québécois à l’été 2018, perd des plumes. Au terme de la campagne de maraudage syndical qui vient de se terminer, l’organisation réputée pour ses tactiques musclées et son approche de « gros bras » est la seule de l’industrie à perdre sa majorité au profit d’un syndicat concurrent.

Selon les résultats du scrutin syndical obtenus par La Presse, l’Union des opérateurs grutiers (section locale 791-G de la FTQ-Construction) voit sa part de représentation dans l’industrie passer de 53,5 % à 41 %. C’est l’Union internationale des opérateurs-ingénieurs du Conseil provincial international Construction, plus modéré, qui lui a arraché la part du lion, passant de 32 % à 47 % de représentation syndicale.

Dans l’ensemble de l’industrie, la FTQ-Construction demeure le syndicat dominant, avec 43 % de la représentation totale et très peu de changements d’allégeance dans les autres corps de métier.

Perte de statut

Concrètement, cette désertion du syndicat des grutiers de la FTQ-Construction fait perdre au 791-G sa position de porte-parole aux tables lors des négociations pour le renouvellement des conventions collectives, qui prennent fin en avril 2021.

La période de maraudage précédant ces négociations donne lieu à d’intenses luttes d’allégeance entre l’ensemble des syndicats de l’industrie, qui s’arrachent le vote des quelque 190 000 travailleurs de la construction.

Le président de la section locale 791-G de la FTQ-Construction, Evans Dupuis, dit être en train « d’analyser les résultats » et n’a pas voulu commenter davantage le recul de son syndicat. Il mène depuis des années un combat pour limiter l’accès aux grues aux travailleurs d’autres corps de métier.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Evans Dupuis, président de la section locale 791-G de la FTQ-Construction

À maintes occasions, il a braqué les projecteurs sur des accidents – parfois mortels – provoqués par des opérateurs qui n’avaient pas de formation de grutier approfondie ou qui avaient appris le métier « sur le tas ». Le syndicat jouera désormais un rôle moins important au sein du comité de formation de la main-d’œuvre patronal-syndical qui dicte les règles de formation des travailleurs du métier.

Plusieurs sources du monde de la construction affirment que le recul de la section locale 791-G de la FTQ-Construction témoigne d’une lassitude des membres face à l’attitude belliqueuse du syndicat.

C’est un syndicat qui a des méthodes nauséabondes et qui fait carrément de l’intimidation sur les chantiers. Les gars en ont assez des méthodes des années 1970 et des gros bras, alors ils ont voté autrement.

Un grutier qui a requis l’anonymat par crainte de représailles

Les grutiers jouent un rôle névralgique sur les sites de construction. La grève illégale déclenchée à l’été 2018, à la suite d’un mot d’ordre la section locale 791-G, avait paralysé plusieurs chantiers pendant 10 jours. Elle visait notamment à empêcher des travailleurs sans diplôme d’études professionnelles d’opérer des camions-flèches (boom trucks), une mesure qui aurait augmenté le nombre d’accidents, selon le syndicat.

Pour le seul chantier du pont Samuel-De Champlain, le débrayage illégal avait provoqué 17 jours de retard, selon une source chez SNC-Lavallin.

252 plaidoyers de culpabilité

À la suite du mouvement de grève, la Commission de la construction du Québec avait transmis 497 dossiers de plainte au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), visant une centaine de grutiers soupçonnées d’avoir ralenti des chantiers ou fait de l’intimidation auprès de confrères. Leur allégeance syndicale n’a pas été précisée.

Selon des informations obtenues par La Presse, ces 497 plaintes ont mené à 472 constats d’infraction, qui se sont soldés par 252 plaidoyers de culpabilité et 220 retraits. « Il s’agit d’une entente négociée en bloc », précise MAudrey Roy-Cloutier, porte-parole du DPCP. Les dossiers n’ont pas donné lieu à des procès, et le montant des amendes n’a pas pu être révélé à La Presse. Il a par ailleurs été impossible de savoir quel syndicat représentait les grutiers qui ont plaidé coupable.

La façon d’accéder au métier de grutier pour les travailleurs d’autres corps de métier a connu d’importants changements à la suite du débrayage de 2018. Une nouvelle formation théorique de 120 heures et pratique sur chantier de 150 heures, nécessitant un suivi par compagnonnage et l’obtention d’un résultat d’au moins 80 %, sera offerte dès le printemps 2021 à Lévis. « C’est vrai que c’est un métier risqué, celui de grutier », dit André Paradis, directeur du Centre national de conduite d’engins de chantier. « Mais le programme de formation a été fortement rehaussé. Ca n’est peut-être pas à la grande satisfaction de toutes les associations syndicales, mais il était auparavant très inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. »

« Avant, il suffisait que ton père ait une grue pour que tu deviennes grutier, ajoute M. Paradis. Maintenant, tu dois passer un examen avec 80 %. On est complètement ailleurs. »