La lourde charge de travail, les menaces et la violence de certains parents, la peur des agressions physiques, l’épuisement émotif : voilà le lot des intervenantes à la DPJ, a raconté l’une d’elles à la Commission spéciale sur la protection de la jeunesse. Quand cela mène à des congés de maladie ou des démissions, ce sont les enfants vulnérables qui en paient le prix, a-t-elle dit.

Nathalie Pépin, une intervenante de la DPJ en Mauricie – Centre-du-Québec, a témoigné à visage découvert mercredi.

En commençant son récit, elle a voulu parler de la charge mentale des intervenants. « On a une fatigue de compassion », a-t-elle dit à la Commission, présidée par Régine Laurent, qui tient ses audiences à Sherbrooke cette semaine.

Toujours plongés dans la misère humaine, cela finit par entraîner une fatigue émotionnelle et mentale, a expliqué Mme Pépin, qui travaille en protection de la jeunesse depuis 2008.

Les intervenants vivent des traumas à répétition, a-t-elle ajouté. Comme lorsque des jeunes qu’ils aident se suicident.

Des choses qu’ils rapportent ont aussi un lourd impact. Elle a relaté avoir travaillé avec des enfants victimes d’agressions sexuelles, et les avoir écouté raconter en détail ce qu’ils ont subi. « C’était très dur. C’est toujours dans le cerveau », a dit la jeune femme, qui a avoué en avoir fait des cauchemars la nuit.

Devant les commissaires, elle a raconté comment l’une de ses journées pouvait parfois se dérouler : en matinée, un parent lui crie après et l’insulte. En après-midi, elle doit dire à un parent, qui pleure et la supplie, que son enfant lui sera retiré.

Et malgré tout cela, les intervenants n’ont pas de soutien psychologique, contrairement aux policiers, a-t-elle témoigné. Elle peut seulement bénéficier de quelques rencontres par année offertes par le programme d’aide aux employés (PAE).

Mme Pépin dit aussi ressentir la lourde responsabilité « d’être les yeux et les oreilles des enfants ». Il lui revient d’expliquer aux juges pourquoi un enfant doit être protégé ou retiré de sa famille. Si le juge n’arrive pas aux mêmes conclusions que moi, « c’est dur ».

L’absence de reconnaissance lui pèse aussi, tout comme l’incompréhension et les blâmes de la population.

Elle explique que les bénéfices reliés à son emploi d’intervenante de la DPJ sont les mêmes que ceux d’un employé qui travaille dans un CLSC. Les intervenants vont donc y travailler, car ces emplois sont moins stressants.

Mais quand elles quittent leur emploi, ou lorsque la surcharge de travail les envoie en congé de maladie, « ce sont les enfants qui en paient le prix, parce qu’ils changent d’intervenantes continuellement », déplore-t-elle.

Nathalie Pépin a également détaillé des craintes liées à sa sécurité.

Elle rapporte que des policiers lui ont dit qu’ils se rendaient armés dans des endroits où les intervenantes arrivent munies uniquement d’un calepin et d’un crayon.

Parfois, elles se font accompagner d’un policier, mais pas toujours car « la violence est souvent imprévisible ». Un père a un jour défoncé le mur d’un coup de poing, à quelques centimètres de son visage.

« La sécurité, c’est quelque chose qui nous hante. »

Pendant des années, elle a demandé d’être munie d’un téléphone cellulaire lorsqu’elle se rend chez les familles, pour des questions de sécurité. Sans jamais recevoir de réponse. Elle utilise le sien, car un seul téléphone est disponible par équipe, et est habituellement en possession de la personne qui est de garde.

Son cellulaire personnel, « il a fait souvent le 911 », dit-elle.

À ce sujet, la présidente Régine Laurent a laissé entrevoir son exaspération.

« Je vais m’abstenir de commenter. Ce serait disgracieux de ma part », a-t-elle dit.

Mme Pépin propose donc d’offrir de meilleures conditions de travail aux intervenantes, plus de vacances pour se remettre de ce qu’elles vivent et un soutien psychologique adéquat.

Elle aimerait aussi pouvoir toujours se rendre en équipe de deux chez les familles, soulignant que la deuxième personne ne devrait pas être une intervenante.

Mais après avoir parlé des difficultés, Mme Pépin a tenu à expliquer pourquoi elle est toujours là, comme ses collègues.

« On fait ce travail-là parce qu’on voit les effets sur les enfants », parce que leur bien-être nous tient à cœur. Elle raconte avoir reçu en cadeau le dessin d’un bambin confié en famille d’accueil qui a écrit sur son oeuvre : « maintenant je souris et c’est grâce à toi ».

C’est ça le point positif : « l’évolution de nos enfants », a-t-elle dit avec affection. Sans oublier le soutien des collègues de travail.

Plus de prévention

Plus tôt en journée, des médecins en santé publique ont déclaré qu’il fallait avoir le courage d’investir dans la prévention pour les enfants vulnérables du Québec.

Si des lacunes du système de la protection de la jeunesse ont été relevées par des intervenants qui se sont déjà présentés devant la commission, les médecins qui ont témoigné mercredi, Dr Alain Poirier et Dr Irma Clapperton, ont tous deux souligné l’importance d’agir en aval, avant même que la DPJ ne soit interpellée.

Bref, avant même que les enfants ne fassent l’objet de signalements.

Le Directeur de santé publique de l’Estrie par intérim, le Dr Poirier, a signalé qu’il fallait ajouter des ressources pour renforcer les capacités parentales des populations vulnérables. Et cela se fait notamment en identifiant mieux les facteurs de risque pour les bambins, dit-il.

Il faut investir dès maintenant, et ne pas attendre qu’il y ait de l’argent, soutient le médecin. Sinon, il y aura des files d’attente pour les services, qui seront épuisés à faire du rattrapage.