Le numéro de téléphone 1-900-524-0007 sert à commettre des arnaques depuis 2013 au moins au Québec. Des sympathisants du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, des centaines d’auditeurs de la station de radio 103,3 FM, des adeptes de jeux vidéo et de nombreux internautes croyant avoir gagné un nouveau iPhone se sont fait prendre.

Éliane, 14 ans, jubile ! L’une de ses actrices préférées, Camille Felton, vient de s’abonner à son compte Instagram et lui propose de participer à un concours pour gagner un nouvel iPhone. Ce que l’adolescente ignore toutefois, c’est qu’elle n’échange pas des messages privés avec la comédienne qui joue dans la populaire émission Subito texto de Télé-Québec, mais avec un arnaqueur qui cible des centaines de jeunes victimes comme elle. Le faussaire est abonné à 3000 comptes sur le réseau social et il est suivi par 6000 personnes, en retour.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Éliane a longuement discuté avec un arnaqueur.
 Elle était convaincue qu’elle échangeait des messages avec son actrice préférée, Camille Felton.

Éliane tente sa chance au concours. À peine 90 minutes plus tard, la fausse Camille Felton lui annonce qu’elle est l’une des 50 gagnantes. Pour réclamer son iPhone X, tout ce qu’elle doit faire, c’est de lui transmettre des codes.

« Pour obtenir le code gratuitement, tu dois appeler au 1-900-524-0007. Les frais des appels ont prépayées [sic] par les sponsors donc c’est gratuit pour toi », lui écrit l’escroc via la messagerie privée d’Instagram.

Or, chaque appel coûte 7 $. Éliane compose ledit numéro ou les dérivés se terminant par 5 (5 $) ou par 3 (3 $) à 75 reprises avant que son père, Louis Archambault, ne découvre la supercherie. C’est que l’arnaqueur est gourmand. Il exige toujours plus de codes : sept codes pour un téléphone de couleur blanche, six codes pour une mémoire de 64 Go, 12 codes pour une livraison en sept jours, etc.

« Ça avait l’air super vrai comme concours. Moi, je le voulais, le téléphone », raconte Éliane.

La tromperie
  • Extraits de l’échange de messages entre Éliane et la fausse Camille Felton

    CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR LOUIS ARCHAMBAULT

    Extraits de l’échange de messages entre Éliane et la fausse Camille Felton

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR LOUIS ARCHAMBAULT

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  • Légende

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Le doute
  • Extrait de l’échange de messages entre Éliane et la fausse Camille Felton

    CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR LOUIS ARCHAMBAULT

    Extrait de l’échange de messages entre Éliane et la fausse Camille Felton

  • CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR LOUIS ARCHAMBAULT

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Le montant total des appels portés à la facture de Louis Archambault, s’élève à 615 $ avec les taxes. Après qu’il a porté plainte, Bell lui a remboursé cette somme.

Éliane est loin d’être la seule victime. Depuis 2013, le Centre antifraude du Canada a reçu 145 plaintes au sujet du numéro de téléphone 1-900-524-0007. Il reste que peu de victimes portent plainte.

Parmi les 10 victimes québécoises jointes par La Presse, seulement une, le père d’Éliane, a pris contact avec la police. La plupart d’entre elles jugeaient que leur perte financière n’est pas suffisamment élevée pour porter plainte. D’autres avaient peu d’espoirs que le malfaiteur soit arrêté. Certains affirmaient n’avoir tout simplement pas le temps de signaler l’arnaque.

Au Canada, ni la Gendarmerie royale du Canada ni le Centre antifraude ne compilent de statistiques concernant les pertes financières des victimes ayant composé un numéro 1-900. La police criminelle Europol a pour sa part déterminé que les dommages causés par les fraudes commises à l’aide d’un numéro tarifé sont passés de 3 milliards de dollars canadiens en 2013 à 16 milliards de dollars en 2017, dans l’Union européenne… seulement.

Les numéros 1-900 ne servent pas tous à flouer des victimes. Ils sont aussi utilisés pour la consultation de voyants, les échanges érotiques, la collecte de dons et pour de réels concours, notamment.

Depuis longtemps

Ce n’est pas d’hier que le numéro de téléphone 1-900-524-0007 sert à commettre des arnaques. En 2013, Michel Bellemare reçoit un message privé d’une personne qui se fait passer pour le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu sur Facebook.

Le malfaiteur lui raconte qu’il est à son chalet avec son ordinateur et son téléphone cellulaire. « Il disait que suite à une mauvaise manœuvre, le téléphone s’était verrouillé et qu’on ne pouvait le déverrouiller qu’en téléphonant au numéro 1-900-524-0007 », raconte M. Bellemare. « Je suis tombé dans le piège », ajoute-t-il.

Pierre-Hugues Boisvenu a déposé une plainte à la police lorsqu’il a appris qu’une personne usurpait son identité, a confirmé Koteki Inaba, la responsable des communications du sénateur.

En octobre 2018, la station de radio 103,3 FM a été inondée d’appels et de courriels d’internautes furieux d’avoir participé à un faux concours. C’est qu’un individu a créé une page Facebook identique à celle de la station de radio et a organisé le tirage d’une console PlayStation.

La page Facebook était pareille à la nôtre. C’était la même photo de profil, la même photo de couverture. Ils avaient même copié les informations que l’on retrouve dans notre section “à propos”.

France Dubé, adjointe à la direction générale et responsable des réseaux sociaux du 103,3 FM

Le concours a duré trois jours avant que Facebook ne ferme la page fallacieuse. Entre-temps tous les participants du tirage ont été contactés pour se faire dire qu’ils avaient gagné la console. Pour réclamer leur prix, ils devaient composer le numéro 1-900 et envoyer le code qu’on leur dictait dans un message automatisé. Mme Dubé estime que des centaines, peut-être même un millier de personnes ont été flouées par cette arnaque. « Ils n’ont pas dit à une personne qu’elle était gagnante. Ils l’ont dit à des centaines de personnes », affirme Mme Dubé.

En 2018 encore, Félix Caron trouve un numéro de téléphone lui permettant d’obtenir des V-Bucks, l’argent virtuel utilisé dans le très populaire jeu Fortnite. « Si je le composais, j’allais pouvoir acheter des nouveaux skins pour mon personnage, des nouveaux habillements », raconte celui qui est aujourd’hui âgé de 15 ans. Félix tente sa chance, mais son personnage n’obtient ni pièces de monnaie ni costume. Sa mère Cynthia Genest a le souvenir de s’être fait facturer des frais pour un appel 1-900 à une dizaine de reprises.

Bell ne bloque pas

Au Québec, plusieurs compagnies de téléphone ont décidé de bloquer les appels vers les numéros 1-900 pour éviter que leurs clients ne soient victimes d’arnaques. C’est le cas de Rogers et Cogeco, mais pas de Bell.

Par courriel, Bell confirme que le numéro de téléphone 1-900-524-0007 et les dérivés se terminant par 5 et par 3 fonctionnent sur ses lignes téléphoniques. « Bell n’est pas propriétaire de ces numéros 1-900. Cependant, en tant que compagnie de téléphone titulaire, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) nous oblige à acheminer les appels 1-900 quel que soit le fournisseur de service propriétaire du numéro », explique Vanessa Damha, porte-parole de Bell.

Telus et Vidéotron sont aussi obligés d’offrir le service vers les numéros 1-900 sur leurs lignes filaires. Les deux entreprises bloquent toutefois l’accès sur leur réseau sans-fil. « Il est arrivé dans le passé d’avoir de hauts taux de contestations pour certains numéros de téléphone [de la part de clients]. Des interventions ont été faites auprès de ces fournisseurs », affirme Merick Seguin, porte-parole de Vidéotron. Il n’a pas été possible de savoir si une « intervention » a été effectuée auprès du propriétaire du 1-900-524-0007 de la part de Vidéotron ou de toutes autres entreprises téléphoniques québécoises.

Rogers n’a aucune entente avec des fournisseurs de numéros 900, et ce, pour protéger ses clients, affirme l’entreprise.

Afin d’éviter que nos clients ne soient facturés pour des appels coûteux ou qu’ils ne soient victimes de fraudes potentielles, les appels vers des numéros 900 ne sont pas possibles depuis notre réseau.

Caroline Phémius, chef des affaires publiques de Rogers

Cogeco bloque les numéros tarifés, mais précise que les clients peuvent formuler une demande pour obtenir un accès « à certains numéros 1-900 autorisés et conformes aux règlements du CRTC comme un numéro vu à la télévision pour voter dans une émission de divertissement », dit Anastasia Unterner, gestionnaire des communications chez Cogeco.

Tous les appels vers les numéros 1-900 doivent d’ailleurs commencer « par un message clair précisant les frais en cause et à quel moment ces frais commencent à s’appliquer », souligne Patricia Valladao, porte-parole du CRTC.

Mais comme l’a constaté Éliane, les arnaqueurs peuvent se montrer très persuasifs. « Je vais t’expliquer le processus, ce n’est qu’un robot publicitaire qui dit que l’appel est facturé 7 $, a expliqué la fausse Camille Felton quand l’adolescente a émis ses premières craintes. Si un seul centime a été facturé à cause de ces appels, ça se rembourse automatiquement après la fin des codes d’accès. »

Une entreprise française

Le numéro 1-900-524-0007 est détenu par l’entreprise française Starpass, filiale de BD Multimedia. Cette société possède des marques spécialisées en méthode de paiement en ligne et un site de rencontre.

>> Écoutez un extrait de l’appel fait par La Presse au 1-900-524-0007

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Dans des forums de discussion, plusieurs commentaires contre StarPass sont virulents. Autant les clients de l’entreprise que des personnes se disant victimes d’un numéro 1-900 se plaignent qu’on refuse de leur rembourser leur argent.

Lorsque La Presse a contacté StarPass à propos du cas d’Éliane, l’entreprise a offert de rembourser Louis Archambault. Le remboursement a bel et bien été effectué. « StarPass n’est qu’une solution de micropaiement mise à disposition auprès de divers sites Internet et webmasters. Nous ne sommes bien sûr absolument pas les initiateurs de cette escroquerie », écrit Jean Luc Viala, du service client.

StarPass affirme avoir touché 50 % du montant facturé à Louis Archambault pour les appels qu’Éliane a réalisés. « Le reste est perçu par son opérateur [Bell] et par les taxes », indique M. Viala. Il a été impossible de savoir quelle part a été remise à la personne qui se cachait derrière l’identité de l’actrice Camille Felton.

M. Viala affirme que son entreprise n’est pas en mesure d’identifier la personne à qui Éliane a transmis 75 codes. Il s’est contenté de dire que les codes ont été utilisés sur différents sites de jeux, ne renvoyant La Presse que vers l’un d’entre eux.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE STARPASS

L’un des 75 codes d’Éliane a servi sur ce site hébergé par StarPass.

Ce site, hébergé directement sur celui de StarPass, propose des « lobbys » pour les jeux Call of Duty et Fifa. Les « lobbys » (aussi appelés « cheat ») sont interdits par les éditeurs de jeux. « Ça peut rendre un mur invisible, ça peut bloquer les projectiles des autres joueurs, ça peut rendre les ennemis plus visibles », explique Simon Marin, président de DreamHack Canada, organisateur d’un populaire tournoi de jeux vidéo. Lui-même affirme qu’il n’a jamais utilisé d’outils permettant de tricher. « Si tu te fais prendre, tu peux être banni à vie du jeu », prévient-il.

Une enquête en France

L’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication a ouvert une enquête sur des numéros tarifés utilisés par des malfaiteurs, en France, en 2018. Quatre des cinq employés de l’entreprise Viva Multimedia, un fournisseur de numéros payants, ont été mis en examen. Selon les enquêteurs, le quatuor aurait frauduleusement réalisé des gains de 55 millions de dollars canadiens en trois ans, soit de 2015 à 2018, rapportait le journal Le Parisien à l’époque.

La plainte qui a mené à l’ouverture de cette enquête ne venait pas d’une jeune adolescente comme Éliane, mais d’un groupe de médias, dont la marque avait été usurpée par les arnaqueurs sur les réseaux sociaux. Mais un an et demi plus tard, aucune accusation n’a été déposée.

Que faire si vous êtes une victime ?

1. Obtenez un remboursement

Le CRTC oblige les entreprises de téléphonie comme Bell à rembourser leurs clients lorsqu’ils sont victimes, pour la première fois, d’une arnaque relative à un numéro 1-900.

2. Portez plainte

Contactez votre service de police. Avec un mandat, les enquêteurs peuvent obtenir des informations concernant les arnaqueurs auprès des fournisseurs de service 1-900. « Si la fraude a été commise en ligne au moyen de Facebook, d’eBay, d’un site de petites annonces comme Kijiji ou d’un site de rencontres, assurez-vous de signaler l’incident directement au site Web », recommande le Centre antifraude du Canada. Cet organisme peut également être joint pour dénoncer une fraude.

3. Éviter une nouvelle arnaque

Lorsqu’un client en fait la demande pour la première fois, les compagnies de téléphone doivent assurer le blocage des appels vers les services 1-900, explique le CRTC. Par la suite, les entreprises de téléphonie peuvent exiger des frais de 10 $ pour la réactivation ou la désactivation de l’option de blocage.